Libéralisme, sphère privée et transparence

Olivier Meuwly
Olivier Meuwly
Historien, écrivain
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Libéralisme, sphère privée et transparence vus par la gauche et la droite. Etat de la question…

Les Actes d’un colloque tenu à Berne en novembre 2010 sur le libéralisme sont sortis en janvier dernier. Occasion rare de se pencher sur cette pensée, majeure dans l’histoire des deux derniers siècles, mais souvent caricaturée ou soumise à des définitions si variables qu’elle semble perdre toute substance. Les contributions réunies dans ce recueil, qui reprennent les conférences prononcées lors du colloque, ouvrent quantité de pistes pour une réflexion nouvelle sur le libéralisme, notamment dans sa variante helvétique, en une période où ses fondements sont particulièrement chahutés.

La première difficulté qui se pose au libéralisme aujourd’hui résulte de sa récupération par quasiment tous les courants politiques, à la suite de la dissociation opérée dans le discours philosophique entre le libéralisme politique, qui serait bon et utile, qui aurait permis l’avènement des grandes libertés publiques hérités des Lumières, et le libéralisme économique, qui ne serait que le paravent d’un capitalisme destiné à l’opprobre général.

Et le fait que ces deux libéralismes ne peuvent être séparés continue à être nié, contre vents et marées. On se refuse encore à admettre que l’élan libertaire qui balaie l’occident depuis les années 70 se nourrit certes de la quête irrépressible d’une liberté individuelle à opposer à l’autoritarisme issu de la société d’avant-guerre, mais aussi d’un épanouissement économique et consumériste en phase avec le Moi triomphant de notre modernité...

La question de la protection de la liberté

D’où le problème du libéralisme aujourd’hui, impliqué dans ces deux traditions. La gauche se réclame de la tradition libérale d’obédience « libertaire » alors que la droite non conservatrice s’attache à un libéralisme tant économique que sociétal, dans une large mesure du moins. Le rapport à l’Etat est ainsi dûment quadrillé, entre une gauche qui fera de celui-ci non seulement le garant, mais surtout la source principale de la liberté, et une droite concevant la liberté comme un phénomène autonome, que l’Etat devra protéger mais sans en altérer la portée.

C’est précisément sur la question de la protection de la liberté que le libéralisme se voit particulièrement exposé à une menace diffuse, stimulée par la faiblesse du discours « conceptuel » des libéraux. Car la combinaison qu’il convient d’opérer entre un libéralisme porteur de l’idéal d’une liberté individuelle à protéger par tous les moyens renvoie au problème de la ligne de démarcation à tracer entre la sphère privée, en effet digne de protection, et la sphère « extérieure », celle de l’Etat, dont il faut aménager le contrôle.

La loi, instrument privilégié

Pour cerner le modèle protecteur des libertés contre les intrusions de l’Etat, le libéralisme s’appuie traditionnellement sur le droit, la Constitution en premier lieu, la loi. Or la loi est aussi l’instrument privilégié et naturel de l’intervention de l’Etat. Par elle, on établit les règles qui définiront le cadre protecteur de l’individu et, par elle, on définit en même temps les limites qu’il sied de lui infliger et la marge de manoeuvre laissée à l’Etat.

Comment dès lors contenir la loi comme vecteur de l’activisme étatique tout en la vénérant comme garantie de la liberté, selon les règles de tout Etat de droit qui se respecte? S’ouvre ainsi un piège qui ne peut être contourné que par une réflexion renouvelée sur le rôle de l’Etat que le libéralisme, qui n’a jamais nié en soi son importance, pourrait faire sienne. Cette réflexion devra se caractériser par un traitement plus serré des concepts qui rythment la pensée libérale. Que peut-elle dire du droit dans son effectivité moderne et de la nature de la liberté confrontée à un besoin d’ordre inhérent à la nature humaine? Comment penser la cohabitation de la liberté et des contraintes que cette même liberté doit subir dans un contexte économique en forte mutation?

L’évolution que connaît la notion de droit de l’homme est-elle encore compatible avec le libéralisme originel? Des concepts sur lesquels ceux qui se réclament de cette pensée politique, habitués à une approche pragmatique et concrète des problèmes, butent trop souvent.

L’un d’eux, central dès qu’il s’agit de penser la relation entre l’individu et le pouvoir, s’est transformé en lieu commun du discours politique et médiatique en répandant un parfum de malaise sur tout le spectre politique, y compris sur le libéralisme : le concept de transparence. Qui refuse la transparence? Elle seule permet aux affaires de se réaliser, par les liens de confiance qu’elle construit; elle seule permet une surveillance démocratique des autorités toujours susceptibles, par nature, de dévoyer les missions étatiques dont elles ont la responsabilité ; elle seule rend possible le discours «social» et la libre concurrence, par une fixation des prix répondant à des critères objectifs.

Nécessaire transparence

Mais qu’en est-il advenu aujourd’hui? La gauche ne jure que par elle dès lors qu’elle ouvre les porte-monnaie de chacun au regard de tous, qu’elle livre à la suspicion générale les prétendus secrets qu’entretiennent les puissants exploiteurs… Pour la droite, la transparence doit aussi servir à l’ordre public, quitte à froisser le respect intégral de la sphère privée. La délicate question des caméras de surveillance sublime de façon paradigmatique les ambiguïtés des uns et des autres, qui se rejoignent toutefois, chez certains, derrière l’illusion qu’une économie « transparente », sans intermédiaire, où rien ne coûterait, serait vivable.

Les libéraux ne pourront sortir de ce dilemme qu’en «osant» assumer la face sombre de la transparence. Oui, la transparence est nécessaire ; oui, elle peut aussi se retourner contre elle-même et devenir, par sa propension à exciter le voyeurisme, le pire ennemi… de la transparence! Tout concept renferme les germes de ses propres dérives futures, admettons-le une fois pour toutes! Par une reconnaissance adéquate de tous les aspects de la transparence, il sera possible d’en suggérer un traitement libéral et modéré, qui sache faire la part des choses et qui sache susciter les choix opportuns.

Sur les traces du libéralisme suisse, Pierre Bessard et Olivier Meuwly (dir.), Liberales Institut et Cercle démocratique Lausanne, Zurich, 2011.

3 commentaires

  1. Posté par Marcel Rubin le

    Avant de pouvoir se prononcer sur les propositions les Madame Herzog, encore faudrait-il savoir quelle réalité (politique, économique, sociale) recouvre sa conception de « paradis fiscal ».

  2. Posté par Michèle Herzog le

    Bonjour, Merci pour votre article. Le capitalisme a atteint ses limites, car justement il favorisait un système secret, souvent totalement dénué d’éthique, au nom de la liberté. La crise actuelle montre qu’il faut fixer des règles et des limites. Voici un exemple. Je ne comprends pas pour quelles raisons le Conseil fédéral n’a pas proposé au peuple suisse de voter sur la question: Acceptez-vous que la Suisse soit un paradis fiscal ? La réponse à cette question permettrait de savoir quelles limites sont fixées par le peuple suisse, de façon démocratique. Si les citoyens refusent le paradis fiscal, cela apporterait immédiatement plus de transparence, plus d’éthique et des changements profonds et nécessaires. Si les citoyens veulent un paradis fiscal, il suffira alors de clairement l’exprimer ce qui correspond aussi à plus de transparence. La Suisse figurera alors sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE qui devrait de toute façon aussi inclure les USA, la France, la Grande Bretagne, etc. Ce qui mine le système actuel ce sont les hypocrisies en tous genres. Plus de détails sur mon blog « Egalité des citoyens ».

  3. Posté par Jacques Dilbert le

    « Comment dès lors contenir la loi comme vecteur de l’activisme étatique tout en la vénérant comme garantie de la liberté, selon les règles de tout Etat de droit qui se respecte? » La loi doit être conforme à des règles supérieures à elle, celles du droit naturel, qu’on peut ramener à un simple « axiome de non agression ».
    http://www.wikiberal.org/wiki/Droit_naturel
    http://www.wikiberal.org/wiki/Axiome_de_non-agression
    « L’évolution que connaît la notion de droit de l’homme est-elle encore compatible avec le libéralisme originel? »
    Non, puisque avec l’influence socialiste, tout devient « droit de l’homme », y compris le droit de piller son voisin par l’impôt. Les « faux droits » sont revendiqués comme de vrais droits!
    http://www.wikiberal.org/wiki/Faux_droits

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