Du sursis pour Hillary? les raisons de la victoire de Donald Trump

Thomas Mazzone
Enseignant, écrivain

La victoire de Donald Trump a surpris de nombreux observateurs et analystes. Le polémiste genevois Thomas Mazzone ne fait pas partie de ces derniers. Son analyse est plus sérieuse et sort des sentiers battus de l’expertise universitaire, très à l’arrière-garde. Dans nos discussion privées, Thomas Mazzone était une des rares personnes à prédire une victoire de Donald Trump. Ici, il livre quelques éléments analytiques qui s’y réfèrent :

 

En privé, nous n’avons fait que prédire depuis des mois la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle des USA. Si nous n’avons pas fait de prédictions visibles réitérées, c’est parce que la politique n’est pas une science exacte et que je n’avais aucune garantie que notre théorie allait s’avérer fonctionnelle. Ce n’est pas de la couardise de notre part, mais de la réserve. Sur le papier, il nous semblait avoir raison, mais, tout de même, ça nous paraissait parfois surréaliste.

 

En revanche, l’exposé – inédit – des raisons à notre prédiction attestent (à la fois) l’authenticité de la prédiction et ouvrent des angles d’analyse nouveaux, inspirants pour d’autres et utiles pour la suite. Notons encore ceci: parmi la multitude des Américains et la myriade des êtres humains sur terre, on trouve sans doute des milliers – voire des millions – de gens qui ont prédit la victoire de Donald Trump. En revanche, leurs raisons varient. Ce qui compte, ce n’est pas de partager un avis avec quelqu’un, d’être d’accord sur une issue ou une mesure à prendre, mais (bien davantage) les raisons pour lesquelles on fait ce choix, qui, en dernière ligne de compte, nécessite un arbitrage, une part d’arbitraire.

 

Si l’idée d’un soudain réveil des peuples, ou du peuple américain (blanc) était une mauvaise raison de croire que Trump allait gagner, c’est simplement que Trump a “infiltré” un système de jeu électoral bipartite, qui, fondamentalement, [pour permettre à Trump de gagner] n’a pas changé d’un iota. Dès lors, tout était possible. Sa victoire aux primaires, en revanche, aux allures de putsch populaire au sein du parti républicain, est plus impressionnante, mais si elle résonne surtout comme un ras-le-bol très localisé, elle est avant tout la conséquence de l’absence de candidats sérieux pour concurrencer Trump. Après G. W. Bush Jr., qui n’était pas non plus l’incarnation de la transcendance, n’a-t-on pas remarqué que les Républicains peinaient à avoir un candidat sortant du lot? McCain passait encore, mais Romney… "Come on!" comme on dit. Tous deux ont d’ailleurs perdu contre le clown Obama – le qualifier de singe serait malvenu, alors que, pourtant, il n’est pas avare en singeries. En fait, il y a une raison à cela: le “Système”, fondamentalement rattaché au triptyque dit français “liberté-égalité-fraternité”, par un égalitarisme à toute épreuve et par une “fraternité” (scabreuse) qui interdit de constater les différences au sein d’une compétition, qui est elle-même le contre-coup d’une "égalité” forcée dans un monde "libre”, a pour effet de produire un nivellement par le bas. Cela finit par se traduire par une illégitimité de la classe dite “d’élite" et une pénurie, en son sein, de gens brillants.

 

Et la campagne du Donald? Encore moins! Donald a multiplié les bourdes, les coups d’épée frileux et les pas de retrait, surtout lorsqu’il s’est rendu compte qu’une partie de ce qu’on appelle “l’establishment” souhaitait peut-être qu’il vienne à gagner. Il ne voulait pas la décevoir et encore moins se la mettre à dos. Plus concrètement: lorsqu’on nous reproche une conversation privée, ressemblant à beaucoup d’autres conversations privées, bien souvent beaucoup plus choquantes que celle-là, comment ne pas pointer l’hypocrisie de ces gens, leur malhonnêteté et, pour finir, inverser la tendance, en pointant notamment le fait que, finalement, on n’a rien d’autre à nous reprocher (contrairement à Hillary, qui portait les casseroles du gouvernement en place… et d’autres encore)! Un gros “fuck you” aurait été de mise, rapportant, au final, un soutien encore plus considérable de la part des électeurs. Pourtant, Donald s’est platement excusé. En revanche, il a capitalisé sur sa campagne anti-système, sur le fait que lui, le milliardaire, était finalement le mieux placé pour tout réformer, tout remettre sur de bons rails et, last but not least, “make America great again”! Ne nous trompons pas: les riches hommes d’affaires sont monnaie courante à l’élection présidentielle américaine, ce n’est pas ça qui doit être reproché à Trump. Ce qui a peut-être joué un rôle dans sa conduite, en revanche, – et un rôle positif – c’est que Trump était un peu plus riche que les riches affairistes qui l’ont précédé ; c’est qu’il avait les moyens de ne pas tout se laisser dicter!

 

Quelles vraies bonnes raisons d’anticiper la victoire de Donald Trump? Nous en avons identifié deux, et deux qui vont de pair. Tout d’abord, il est clair que « le Système” a vomi Hillary. Cette femme pleine de sales histoires et d’ennemis, elle flirte régulièrement avec l’hystérie, se faisant souvent pincer l’air hautain ou le rire diabolique. En plus de ne pas plaire ainsi aux électeurs, elle renfermait aussi une ambition incontrôlable et dangereuse pour conserver la stabilité nécessaire à tous les acteurs hauts placés. Maintenant, c’est terminé: elle est (très probablement) à jamais écartée du poste présidentiel. Nous pouvons vous assurer que ça soulage beaucoup de gens… et non des moindres! A ce propos, nous avions aussi anticipé que des éléments allaient influencer la campagne durant le dernier mois. Ici, ce furent des révélations sur Hillary Clinton qui, tout à la fin, firent office d’ “October surprise”.

 

Et ensuite? Ensuite, il faut entendre que Donald Trump n’est pas seulement un président par défaut. Pour comprendre cela, il est, en premier lieu, nécessaire de mieux cerner ce qu’on appelle “le Système”. Certains pensent à “l’establishment”, au complexe “militaro-industriel”, au lobby bancaire, à un autre lobby ou, de façon plus abstraite, à une élite qui agit dans l’ombre, en sous-main… En fait, il nous semble que « le Système » est une sorte d’extension de l’Etat-Léviathan de Hobbes, qui, bien que basé sur les hommes qui lui donnent naissance, vit aussi de sa propre énergie. Lorsqu’on observe sa façon de fonctionner, c’est comme s’ “il » avait sa propre existence. Si sa constitution fait que “ses” intérêts convergent avec ceux de certains groupes influents, on a pourtant aussi l’impression qu’ « il” a, pour premier but, “sa” propre survie (de même qu’on a l’impression qu’ “il” vit de lui-même). Un système, en soi, n’est pas forcément nuisible ou négatif: c’est le mode de fonctionnement d’une société ou d’un ensemble de sociétés. Mais ce que d’aucuns appellent “le Système”, c’est un ensemble de considérations tordues, qui correspond au mode de fonctionnement actuel des choses: peu de bonnes considérations sur les causes et les effets (bien identifiés dans les phénomènes observés) et des changements qui adviennent assez brutalement, par la force des choses, parce qu’il faut bien que le monde continue de tourner (et “le Système” avec lui). Autrement dit: l’image que les gens ont du système auquel ils participent est trop éloignée de la réalité ; réalité qui fait que le système en question produit énormément d’effets inattendus (et donc pervers).

 

Et concrètement? Concrètement, cela signifie que le Système, pour survivre, a besoin de freiner le progressisme. Le progressisme trop exacerbé conduit vite à l’absurde et à l’explosion (comme le ferait la production sans limite et au-delà de ce que permet la Nature, comme le ferait la liberté poussée à l’absolu, simplement parce qu’elle entrerait assez vite en conflit brutal avec elle-même – selon l’adage, la liberté s’arrête là où commence celle des autres). La seule façon pour « le Système”, tel qu’il est aujourd’hui, de survivre, ce n’est donc pas de pousser le progressisme à ses limites, mais sans, toutefois, revenir à la tradition radicale, aux racines et à la recherche de la vraie nature des choses: c’est de verser dans un conservatisme modéré, en contrepoids au progressisme. Un coup en avant suivi d’un coup en arrière, pour un bon équilibre et une bonne stabilité. Il n’y aura pas de Grand Soir, de Grande Révolution, prétexte au cynisme de certains et à l’attentisme d’autres, mais plutôt un lent déclin, un déclin qui affectera fatalement la qualité des hommes et qui les rongera dans l’âme jusqu’aux os, de même que la faim corrompt lentement un corps dont souffre l’estomac (cf. La Fontaine). Ainsi, aujourd’hui, ce contrepoids modéré, c’est Donald Trump, le Donald, qui, en quelque sorte, pourrait sauver l’Amérique de son déclin et du méli-mélo international sans fin dans lequel elle s’est engagée.

 

Cependant, ce ne sera pas facile et les différentes forces en présences ne seront pas toutes avec lui. En fait, Donald Trump aura l’essentiel de l’establishment contre lui dans les mesures les plus essentielles et révolutionnaires qu’il propose d’adopter. Construire son “mur » salutaire sera sans doute une tâche impossible: physiquement possible, mais politiquement infranchissable. Nous disions d’ailleurs dans un débat (http://lapravda.ch/index.php/2016/05/21/la-chevre-et-le-chou-discussion-avec-david-lepee-et-thomas-mazzone/), que Donald Trump, s’il arrivait au pouvoir, aurait encore tout à faire, tout à prouver, et que la présidence n’était qu’une étape ; qu’une fois élu, un « coup d’état » resterait à faire.

 

Là, cela peut paraitre paradoxal, mais il faut bien voir que les nécessités des individus qui le composent ou semblent diriger « le Système », ne sont pas toujours les mêmes que celles “du Système” lui-même. Il est aussi possible, comme pour Kennedy et pour le sombre Luther King, que des intérêts particuliers finissent par vouloir et parvenir à l’assassinat de Donald Trump. Sans doute le sait-il et sans doute avancera-t-il de façon d’autant plus prudente, à tous les niveaux. Ce qu’on peut prédire de la présidence Trump, c’est un fiasco, d’une part, mais aussi un possible et malin pas en arrière, impliquant de nouvelles stratégies géopolitiques pour les Etats-Unis, peut-être même de concours avec la Russie. Ce qu’on peut encore anticiper, c’est une rationalisation du chaos social américain, qui permettrait de retrouver un peu d’ordre dans une sorte de jeu qu’on aurait beaucoup trop laissé aller dans tous les sens. Il n’y aura pas de miracle. Il y aura sans doute un peu de spectacle, mais, sous Trump, on s’affairera peut-être à ce que tous (ou presque) aient un toit et à manger, que tous bénéficient de soins essentiels, sans pour autant trop toucher aux causes de ces problèmes. Eventuellement, on parviendra à faire diminuer l’immigration mexicaine, non pour des raisons culturelles et ethniques, mais pour des raisons économiques. Au final, par la mise en place d’une vraie stratégie d’Etat (voire de capitalisme d’Etat), les Etats-Unis d’Amérique pourraient enrayer leur déclin: non de façon absolue, mais comparativement aux autres états dans le Monde. Ainsi, on ne mettra pas fin aux doux rêves et aux fantasmes idéologiques, qu’ils soient genrés, marxistes ou sexuellement révolutionnaires, mais on les laissera un peu de côté, pour donner la priorité à la résolution des problèmes concrets. On trouvera des solutions opportunes et efficace, mais on ne répondra pas aux problèmes de fond, qui minent l’Amérique et le Monde, et qui, fatalement, reviendront.

 

Si, en d'autres termes, Trump était, peut-être, tout compte fait et en tout cas en partie, le candidat "du Système", quel intérêt, alors, à s’être réjoui et à avoir souhaité le succès de D. Trump? D’abord, un peu de bon sens ne fait jamais de mal. Ensuite, dans le discours et dans l’impression qui en ressort presque physiquement, mille « Hillaries » ne valent pas un Trump. Enfin, c’est une bonne claque que la gauche internationale, arrogante, mégalomane, dangereusement insensée et idéologiquement autoritaire se devait de recevoir depuis longtemps. C’est bas, c’est mesquin, mais ça fait du bien! Loin de la Justice Divine et d’un retour inespéré à un âge plus doré, ça nous rappelle pourtant, sous la forme d’une ébauche, que la vérité, à la fin, triomphe de tout ; et que “tout », cela veut aussi dire qu’on ne prend jamais une fausse route sans avoir, un jour, même au-delà de notre propre vie, à en assumer les conséquences. Bien évidemment, nous avons peut-être tort sur la vraie nature et sur la tournure que prendra le mandat de D. Trump, nous espérons nous tromper et nous espérons également qu’il ne finisse pas prématurément dans un cercueil… Pourtant, Trump n’étant pas fou, il ne fera pas de miracle. On ne devient pas un émissaire de la Providence par subitement et sans y travailler… ni même, juste comme ça, du jour au lendemain, un “fasciste pragmatique” ; mais les réveils sont parfois brutaux!

 

Il y a 4 ans, la proportion d’électeurs blancs était plus importante que maintenant et cela n’avait pas empêché la victoire d’un métis, Barack Obama. Lors du duel Trump-Clinton, de nombreux analystes prévoyaient que les minorités dites visibles, noires et latino, allaient voter massivement contre Trump. Se pourrait-il que de nombreux électeurs noirs et latinos masculins aient été séduits par l’anti-féminisme assumé de Donald Trump?

Nombreux, c’est possible, mais à notre avis, largement minoritaires. Le comportement de l’électeur non-engagé, très largement majoritaire, reste un phénomène difficile à anticiper. Cependant, les USA, depuis plusieurs décennies maintenant, ont vécu une alternance Démocrate-Républicain tous les huit ans, soit deux mandats successifs avant de passer la main. C’est une conséquence directe de l’insatisfaction inéluctablement croissante, liée au déclin progressif des Etats-Unis. Les huit ans au lieu de quatre viennent, eux, s’inscrire dans notre analyse ci-dessus, sur la difficulté à trouver de nouveaux leaders qui semblent respirer la légitimité du chef d’Etat. Lesdites minorités font partie, dans des proportions assez fixes en leur sein, de l’électorat qui est peu susceptible de changer de camp. L’électorat blanc non-engagé est celui qui, actuellement, génère l’alternance. Il est possible que plusieurs noirs et hispano-américains aient été séduits par la virilité de Trump et son attachement à l’ordre naturel des choses, notamment en ce qui concerne diverses déviances. C’est même logique! Mais ils n’ont pas forcément tous voté ; et s’ils ont voté, ils représentent, de nouveau, une minorité dans la minorité ethnique à avoir fait ce choix: les autres s’en sont bien gardés… pour des raisons purement ethniques!

 

François Hollande vient de féliciter Donald Trump de manière très glaciale. Que cela vous inspire-t-il?

François Hollande fait partie de la même caste idéologico-politique internationale que Hillary Clinton. On comprend donc sa déception. En revanche, au vu des récents aveux de François Hollande quant à ses constats froids sur la société et la politique, au-delà de toute idéologie, dans un livre qui, justement, vient de paraître, on pourrait se dire qu’il regrette que son camp, que sa caste, n’ait pas pu anticiper les choses, afin d’avoir été mesure de jouer le futur rôle de Trump… à sa place! Evidemment, au niveau géopolitique, la France est un nain comparé au géant américain, et ces réactions d’agacement, liées à une certaine immaturité idéologique, doivent certainement être perçues avec un petit sourire compatissant, outre-Atlantique. C’est non sans nous rappeler les chaînes de télévision francophones, qui, pour une raison qu’on n’évoquera pas ici, s’en sont données à coeur joie pour rendre Trump ridicule: lui ne sait sans doute même pas qu’elles existent. Vu comme ça, on frôle le pathétique, l’invective gratuite, la haine à peine dissimulée… Bref, encore une fois, une claque bien méritée!

 

Propos recueillis par Alimuddin Usmani le 8 novembre 2016

Article publié en collaboration avec lapravda.ch

Un commentaire

  1. Posté par Stephane Montabert le

    « Tout d’abord, il est clair que « le Système” a vomi Hillary.  »

    Oui, en la soutenant à bout de bras jusqu’à la nuit de l’élection, remplissant de 2 milliards de dollars son budget de campagne. Comme rejet, on a vu pire.

    « En fait, Donald Trump aura l’essentiel de l’establishment contre lui dans les mesures les plus essentielles et révolutionnaires qu’il propose d’adopter. »
    Il a la double majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants… Et avec sa victoire magistrale les « électrons libres » républicains qui appelaient à voter Hillary vont sérieusement se tenir à carreau.

    Bref, cet article est un tissu de grand n’importe quoi.

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