Tariq Ramadan doit être innocent des faits dont on l'accuse, c'est une nécessité absolue. Il y a bien évidemment la présomption d'innocence, principe cardinal de la justice telle que nous la concevons. Il y a aussi une accumulation de témoignages qui montre un personnage très différent de celui auquel son discours nous a habitués. Après quelques trous de mémoire, Martine Brunschwig-Graf, la présidente de la Commission fédérale contre le racisme, admet avoir eu vent de rumeurs évoquant un comportement fort peu déontologique à l'époque où Tariq Ramadan enseignait dans un collège genevois. Venant d'une dame dont l'obsession consiste à traquer toute éventuelle ébauche d'esquisse de propos islamophobe, l'aveu prend de l'importance et n'arrange pas les affaires du présumé innocent.
Ceci dit, il en faut plus pour ébranler les soutiens inconditionnels du professeur d'études islamiques contemporaines à l'université d'Oxford, noble établissement qui vient de mettre en congé notre homme "d'un commun accord et avec effet immédiat", ce qui ajoute quelques nuages à l'horizon déjà bien chargé de l'enseignant.
Ainsi, Jacques Neirynck, l'homme au côté de qui Albert Einstein fait petit bras, prend fait et cause pour Frère Tariq, lui conservant une estime intacte, intimant à tout un chacun d'en faire autant. Il est vrai que notre intellectuel universel a cosigné un ouvrage forcément essentiel avec l'islamologue sulfureux. Imaginez ! Ce serait vraiment fâcheux pour M. Neirynck d'avoir ainsi ajouté sa plume à celle d'un vulgaire harceleur. Pour l'ancien conseiller national, Tariq Ramadan restera innocent, quel que soit le devenir judiciaire de cette affaire, étant entendu que M. Neirynck ne se trompe jamais, ici pas plus qu'ailleurs. En maintenant sa confiance à Tariq Ramadan, l'éminent personnage veille surtout à ne pas blesser son orgueil incommensurable, seule chose qui lui reste.
Il en va de même des musulmans du canton de Neuchâtel qui ne peuvent admettre qu'ils auraient remis le salut de leurs âmes entre les mains d'un monsieur qui pratique l'exact inverse de ce qu'il professe. Découvrir que Tariq Ramadan se comporte comme ces personnes que son frère voue à la lapidation est inconcevable, frère qui d'ailleurs profère des menaces pas si voilées que ça, c'est un comble, envers celles qui ont parlé. En attendant, les supporters inconditionnels de Tariq Ramadan réclament pour eux la reconnaissance d'utilité publique. Tout va bien.
Pour la France enfin, qui n'a aucune envie de voir les banlieues s'enflammer, il va falloir faire de Tariq Ramadan un innocent. La chose ne demandera guère d'efforts tant la sieste judiciaire est un sport national dans les palais de justice. La lenteur de la procédure sera exactement inverse à la vitesse à laquelle le magistrat chargé de l'affaire grimpera dans la carrière, un enterrement final pour cause de prescription valant un siège à la cour de cassation.
C'est un long calvaire qui attend les présumées victimes. Le comité de soutien qui vient de se créer à Genève pour les accompagner tout au long de ce triste feuilleton aura bien à faire.
Respect et courage à celles qui ont osé briser l'omerta.
Yvan Perrin, le 10 novembre 2017