Contes et légendes pédagogiques

 On ne sait jamais, sur un malentendu, certains de ceux-ci pourraient adhérer au propos. Des trésors d'inventivité sont ainsi déployés pour tordre suffisamment la réalité afin de faire valider leurs analyses. Une des techniques les plus prisées pour garder une position dominante consiste à accuser autrui de tout et n'importe quoi, peu importe si le propos n'a aucun fondement.

Petit florilège de mythologie constructiviste:

La première des fables systématiquement rabâchée consiste à faire croire que face à un enseignement qualifiable de traditionnel, les élèves sont passifs. S'ils sont passifs, alors les conditions optimales d'apprentissage ne sont pas remplies. Si le raisonnement est mené à son terme, un élève passif ne peut tout simplement rien apprendre! Un légume aux yeux écarquillés et dont l'activité neuronale s'apparente à un encéphalogramme plat ne peut en aucun cas retenir quoi que ce soit. Cette accusation est-elle fondée? Imaginons un instant un enseignant qui ne procéderait que par la simple modalité du cours magistral. L'élève désireux d'apprendre devrait, mémoriser l'ensemble des savoirs exposés par l'enseignant pour pouvoir ensuite les reproduire. Il est totalement impossible de mener ces opérations dans un état de passivité. Il est vrai que ce type d'enseignement peut amener les élèves à se désintéresser de ce que le maître dit. Encore faut-il savoir pourquoi. La raison est simple: on ne leur donne pas les instruments nécessaires pour suivre le cours qui leur passe ainsi par dessus la tête. Dans le corps enseignant, à peu près tout le monde le sait et si une partie du cours consiste en un exposé magistral, l'élève est automatiquement mis en activité plus tard par le biais d'exercices. C'est le minimum syndical.

En revanche, lorsqu'on met des élèves en face d'une situation de découverte complexe le décrochage d'élèves va être nettement plus important. Qui dit découverte dit que les outils de résolution de cette situation ne sont pas donnés au préalable. De nombreux élèves se trouvent ainsi dans l'incapacité de réaliser ce que l'on attend d'eux. Dès lors, le taux de passivité vis-à-vis du cours explose littéralement. Il est donc faux de prétendre qu'un enseignement normal génère automatiquement de la passivité. Et il est tout aussi faux d'avancer que l'entrée dans les savoirs par la découverte prônée par le constructivisme permet de pallier  cet éventuel manque. L'inverse est bien plus vrai.

Une deuxième légende pédagogique consiste à affirmer que la répétition d'exercices tue la pensée autonome et la créativité. Les élèves confrontés à ce genre d'enseignement ne seraient bons qu'à réagir de manière pavlovienne à l'image de bêtes dressées à adopter un certain comportement en réaction à un certain stimuli. En fait, tout (ou presque) nous démontre le contraire. Il suffit de penser au musicien de génie qui a passé des heures et des heures à répéter ses gammes, au sportif d'élite ayant entraînement après entraînement réalisé inlassablement les mêmes gestes. Les plus grands joueurs d'échecs sont ceux qui ont mémorisé le plus de parties. Qui oserait sérieusement prétendre que ces milliers d'heures de répétition les ont rendu inaptes à la créativité? Certainement pas les récents développements des sciences cognitives: les travaux du professeur Weisberg, psychologue cognitiviste, sont en  effet  parvenus à la conclusion qu'

il y a des preuves qu'une immersion profonde est nécessaire dans une discipline avant de produire quelque chose d'une grande nouveauté (1)

Dont acte. Cette conclusion peut être étendue à la pensée critique: il n'est pas possible de penser un sujet de manière critique sans en avoir une parfaite maîtrise. Lorsqu'un individu connaît sur le bout des doigts le sujet qu'il veut traiter, il libère de la place dans sa mémoire de travail et peut donc utiliser celle-ci à plein régime pour l'analyse critique. Sans ce prérequis, le cerveau ne peut tout simplement pas être aussi efficace. (2)

La troisième fable consiste à faire croire que les pédagogies de la découverte (constructivisme et socio-constructivisme) sont des révolutions singulièrement novatrices, qu'elles sont issues des dernières avancées de la recherche. Or, quiconque creuse un peu se rend vite compte que ce n'est pas du tout exact. Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) déjà évoque, dans un écrit consacré à l'enseignement, cette forme d'acquisition du savoir dans les termes suivants:

lorsque la raison naturelle parvient d’elle-même à la connaissance de ce qu’elle ignorait, ce qui s’appelle : invention (3)

Cela fait donc au moins 750 ans que des penseurs se sont déjà penchés sur la question. Niveau innovation on a déjà vu mieux. Il ne sera pas fait ici mention de la prétendue efficacité des pédagogies constructivistes, le sujet a déjà été traité à plusieurs reprises. (4)

La quatrième illusion savamment distillée dans les instituts de formation est la foi inébranlable dans les travaux de groupe. Non seulement les futurs enseignants sont formatés à penser "travail de groupe", mais ils sont également, à de nombreuses reprises, sollicités à travailler eux-mêmes de la sorte. Le dogme est si fort que certains enseignants se permettent même de noter collectivement les travaux réalisés en groupe, pratique complètement inacceptable puisque personne ne peut être tenu responsable des actes d'autrui. Dans les faits, selon la méga-analyse de John Hattie faisant office de référence actuellement car portant sur 80 millions d'élèves, la pédagogie coopérative arrive juste à se maintenir à la moyenne des différentes influences envisageables (effet d'ampleur de 0.41 pour une moyenne à 0.40) et même derrière l'impact que peut avoir la taille de l'école (effet d'ampleur 0.43) sur les résultats des élèves (5). Ces résultats sont largement inférieurs à ceux que peuvent obtenir des enseignants clairs dans leurs explications (effet d'ampleur 0.75), donnant de nombreux feedbacks (effet d'ampleur 0.73) et pratiquant des évaluation formatives (petites feuilles et autres dispositifs du genre pas forcément notés mais permettant à l'enseignant de vérifier par écrit où en sont ses élèves (effet d'ampleur 0.9). Ainsi donc, si les travaux de groupe ne pénalisent pas dans l'ensemble les élèves, ils ne sont aucunement une solution pour les faire progresser. Et donc, puisque leur utilisation s'avère limitée dans les cas où les enseignants usent de méthodes explicites, autant dire que les travaux de groupe ne sont en tout cas pas à recommander, surtout si l'ensemble des nuisances qu'ils peuvent engendrer  sont prises en compte (6).

Cette liste est bien entendue non exhaustive. Certains des points traités prêteraient à rire s'ils n'étaient malheureusement pas assénés en dogmes dans des institutions à prétention universitaire! Des institutions se réclamant de la science mais qui justement ignorent les règles les plus élémentaires de la recherche scientifique (la preuve empirique à large échelle) ainsi que les résultats de cette même science quand celle-ci contredit leurs dogmes….

Stevan Miljevic, le 11 janvier 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://www.formapex.com/sciences-cognitives/640-et-la-creativite-le-point-sur-la-recherche-en-sciences-cognitives-sur-la-creativite-la-fin-dun-mythe consulté le 9 janvier 2014

(2) http://www.formapex.com/sciences-cognitives/788-la-pratique-conduit-a-la-perfection-mais-seulement-si-vous-pratiquez-au-dela-du-point-de-perfection consulté le 9 janvier 2014

(3)Saint Thomas d’Aquin, De l’enseignement (De Magistro), Klincksieck, 2003, p.37

(4) on pourra par exemple relire ceci: http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/06/pour-un-enseignement-de-qualite/

(5) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 11 janvier

(6) Voir à ce sujet les discussions au sujet de l'article ici http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/12/29/quand-les-pedagogos-sen-prennent-a-guillaume-tell/