Ce mercredi, la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris a relaxé le «logeur de Daech» mais a déclaré coupables les deux autres prévenus. Quelques heures seulement après le jugement, le parquet a annoncé son intention de faire appel.
«On m'a demandé de rendre service, j'ai rendu service.» Le 18 novembre 2015, cette petite phrase prononcée sur BFMTV a suffi à faire de Jawad Bendaoud la risée du Web. Un peu plus de deux ans plus tard, à son procès, il s'est illustré par ses déclarations parfois loufoques. Mais les victimes des attentats du 13 novembre, leurs proches et les anciens habitants du 48 rue de la République à Saint-Denis, eux, n'ont pas ri. La présidente de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris et ses assesseurs non plus.
Le tribunal a annoncé ce mercredi, vers 16h30, qu'il relaxait Jawad Bendaoud. Un jugement accueilli avec jubilation par le prévenu, qui est allé jusqu'à embrasser le crâne de son avocat Me Xavier Nogueras. Ce dernier s'est d'ailleurs dit «extrêmement ému». Le «logeur de Daech» pourrait même sortir de prison dès ce soir, à en croire une source judicaire. Poursuivi pour «recel de malfaiteurs terroristes», il risquait jusqu'à six ans de prison. Le substitut du procureur avait réclamé quatre ans d'emprisonnement à son encontre.
Sur le cas de Mohamed Soumah, l'intermédiaire entre Jawad Bendaoud et Hasna Aït Boulahcen, le tribunal s'est montré plus ferme que le procureur lui-même. Le représentant du ministère public avait estimé que le prévenu ne savait pas que les «locataires» étaient terroristes, et avait donc réclamé quatre ans de prison. La présidente a au contraire assuré que Mohamed Soumah «ne pouvait ignorer que les fugitifs étaient des terroristes» et a donc condamné «Mouss» à cinq ans de prison ferme.
Enfin, le procureur avait réclamé une peine de cinq ans de prison assortie d'un mandat de dépôt à l'encontre de Youssef Aït Boulahcen, frère d'Hasna, jugé pour «non-dénonciation de crime terroriste . «On a affaire à un personnage qui fait froid dans le dos, [au] profil vraiment inquiétant», avait-il souligné. La présidente Isabelle Prévost-Desprez et ses assesseurs ont finalement choisi de condamner Youssef Aït Boulahcen à quatre ans de prison, dont un an avec sursis, sans mandat de dépôt. «Vous saviez que votre cousin était impliqué dans un nouveau projet d'attentat», a insisté la magistrate.
«J'ai envie de faire justice moi-même»
Une relaxe, deux condamnations: les réactions ont fusé, tant au Palais de justice que sur les réseaux sociaux. «Je ne m'y attendais pas», a ainsi déclaré au Figaro le père d'une des victimes du Bataclan, sous le choc de la relaxe de Jawad Bendaoud. «Je n'ai jamais vu ça, c'est un scandale. Jawad a embobiné tout le monde. Je suis révolté, j'ai envie de faire justice moi-même.»
«La justice a été bien trop clémente», regrette également Patricia Correia, mère d'une victime du Bataclan. «Je ne suis pas étonnée mais écœurée. La justice d'aujourd'hui n'est pas conforme à la réalité du monde dans lequel on vit, avec ces attaques terroristes» ajoute-t-elle. Avant de déclarer sur la remise en liberté de Jawad Bendaoud: «Savoir que ce type va être dehors, ça me fait peur.»
Représentant de neuf parties civiles, Me Gérard Chemla ne semble pas particulièrement surpris par la relaxe du «logeur de Daech». «J'avais préparé mes clients à cette éventualité, le dossier était plus fragile à l'égard de Jawad Bendaoud qu'à l'égard des deux autres prévenus», souligne auprès du Figaro l'avocat rémois, tout de même satisfait que Youssef Aït Boulahcen, qu'il juge «particulièrement inquiétant», ait été «déclaré coupable».
Mêmes échos chez sa consœur Me Astrid Ronzel, pas vraiment surprise mais qui comprend néanmoins que ce jugement suscite «l'incompréhension» chez ceux qui n'ont pas suivi le procès de près. L'avocate salue une décision très motivée», même si elle estime que le tribunal aurait pu «aller plus loin encore» sur le cas de Mohamed Soumah.
Du côté des rescapés de l'assaut de Saint-Denis, la relaxe de Jawad Bendaoud est placée en second plan. Me Mouhou, représentant de 52 habitants du 48 rue de la République à Saint-Denis, ne cache pas sa satisfaction: «C'est une grande victoire. Enfin mes clients vont être indemnisés». Leandro Mendes Dos Santos, père de famille dont le logement a été complètement détruit par l'opération du Raid et de la BRI le 18 novembre 2015, fait part de son soulagement au Figaro: «On a été mis de côté pendant deux ans. Enfin, nous sommes reconnus comme des victimes à part entière. C'est un grand soulagement pour ma famille et moi.»
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