Ce n'est pas un secret militaire, une guerre ne se gagne jamais dans les airs mais sur terre. Depuis l’avènement de l'aviation, toute l'histoire militaire démontre qu'un conflit ne peut être définitivement gagné sans une intervention de troupes au sol. Les bombardements massifs de la Seconde Guerre Mondiale, au Vietnam, durant la guerre du Golfe ou encore au Kosovo n'ont jamais fait plier ceux qui les ont subis. Au mieux, ces bombardements ont réduit le potentiel militaire de l'adversaire, au pire ils ont poussé les peuples à s'unir derrière leurs dirigeants.
Ce constat historique, il est désormais nécessaire de le prendre en compte dans le conflit syrien, alors que les lignes de fracture tendent à bouger suite, notamment, aux attentats du 13 novembre. Désormais, l'éventualité d'une « coopération » entre la coalition menée par les États-Unis et les forces armées russes déployées dans la région, peut être envisagée. Bien sûr, tous n'ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes intérêts, pour autant une ligne de convergence semble apparaître avec la reconnaissance d'un ennemi commun à toutes les forces en présence, à savoir l’État Islamique. Cet « objectif commun » doit désormais permettre la coordination des moyens mis en œuvre. Sans aller jusqu'à dire que l’État Islamique représente le seul danger en Syrie (et en Irak), il devient évident qu'aucune résolution du conflit actuel ne peut aboutir tant que ce groupe jihadiste devenu un proto-état, existera.
Pour vaincre Daech, il convient aujourd'hui d'établir une stratégie militaire cohérente disposant de moyens à la hauteur du défi. Pour cela, les frappes aériennes de la « nouvelle coalition » (intégrant la Russie), doivent certes viser les ressources des jihadistes pour les affaiblir mais également appuyer les offensives des troupes au sol qui les combattent. Ces troupes terrestres sont bien sûr, l'Armée Arabe Syrienne et ses milices alliées, les différents groupes armés kurdes mais également certains mouvements rebelles opposés au pouvoir de Bachar El Assad. Des accords devront être trouvés entre ces différents acteurs, accords qui pourront reposer par exemple sur l'établissement d'élections libres ou en offrant plus d'autonomie à certaines communautés.
Mais pour rétablir une paix durable dans cette région du monde, il serait avisé de repenser en profondeur des États dont les frontières reposent essentiellement sur le découpage artificiel réalisé à l'époque coloniale, dont les accords Sykes-Picot sont une parfaite illustration. Car le problème fondamental que pose l’État Islamique, au-delà du caractère jihadiste particulièrement exacerbé, c'est que cet « État » repose quasiment sur une base « communautaire ». En effet, Daech n'a pu avoir l'ampleur qu'on lui connaît actuellement qu'en s'appuyant sur une population arabe sunnite qui a tout perdu depuis l’avènement du régime d'Hafez El Assad en Syrie et la chute de Saddam Hussein en Irak alors même qu'ils représentent 75 % de la population syrienne et presque 40 % de la population irakienne. Sans un changement politique radical mais concerté, les bombardements aériens menés actuellement ne peuvent qu'aboutir à une impasse. Comme le disait Charles Maurras, « politique d'abord » !
Jordi Vives, 27 novembre 2015