Et si un ministre de l’Éducation nationale proposait aux élèves de… travailler !

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Le Mariannaute Antoine Desjardins nous propose un exercice de politique-fiction fort réjouissant : que se passerait-il si, demain, un ministre de l’Éducation nationale invitait les élèves à bien travailler pour que plus tard, ceux-ci soient récompensés de leurs efforts ? Indice : il n'arrivera rien de bon à ce pauvre ministre...

Un ministre de l’Éducation nationale qui, pris d'un accès de paternalisme bienveillant et de lucidité, s'adresserait directement aux élèves (en utilisant les grands médias de masse) pour leur dire, entre autres encouragements  : « Chers élèves de France, n'oubliez pas de travailler, travailler et encore travailler ou vous n'arriverez jamais à rien ». Ce ministre imprudent et d'un autre âge serait immédiatement la risée de de la FCPE, des experts de l'enseignement scolaire, des grands scientifiques de l'éducation, de presque toute la sociologie française, de la plupart des syndicats d'enseignants. Il serait en butte à l'hostilité du PS, de la « gauche », de la  pseudo « gauche de la gauche », d'une bonne partie de la « droite », des écologistes, des associations philanthropiques, des ONG, des « cahiers pédagogiques », des chercheurs du CNRP. Tout le monde y trouverait à redire.

Pourtant le laboureur de Lafontaine ne dit rien d'autre à ses enfants et cela paraît la sagesse même : « Travaillez, prenez de la peine : c'est le fonds qui manque le moins. (...) Le travail est un trésor. »

Venue d'un ministre cette amicale exhortation d'un autre âge serait tenue pour ridicule et même grotesque, on prétendrait qu'elle est inutile et stigmatisante, on verrait du pétainisme moisi, là où il n' y aurait que bon sens. Les petits français ne sont-ils pas les ouailles du ministre de l'Instruction comme ils le sont de leurs maîtres ou de leurs professeurs ? On renverrait ce pauvre ministre à quelques mauvaises fiches sur Bourdieu.

Les communicants, les spécialistes de media training, le lendemain de sa prestation improvisée, l'accableraient de reproche : « Vous allez vous mettre tout le monde à dos ! », entendez par là les groupes de pression qui comptent, ceux qui font et défont les ministres...

Il est entendu désormais que les élèves n'ont plus aucune part à leur destin scolaire (si ce n'est qu'ils doivent pouvoir choisir leur orientation, tout à fait indépendamment des résultats, des notes ou des efforts
consentis, évidemment : la FCPE l'exige en effet.)

Or donc ce ministre passéiste et rétrograde, victime d'un moment de douce folie, n'aurait plus qu'à démissionner, s'étant mis à dos, par son invraisemblable bourde, non pas le peuple de France, mais toute la presse bien pensante, tout la gent doctrinale, tout ce que le monde compte d'esprits modernes, avant-gardistes, progressistes et surtout scientifiques. C'est aussi cela la « science » !

"La sociologie ne pouvait naître que si l’idée déterministe, fortement établie dans les sciences physiques et naturelles, était enfin étendue à l’ordre social"
Durkeim

La version dogmatique de la sociologie qui prévaut aujourd'hui, qu'on pourrait appeler sociologisme, réifie complètement les individus et donc les élèves, quand il s'agit d'élèves. On identifie complètement le devenir de l'individu à un destin social. Le problème est que le déterminisme sociologique utilisé de façon sottement systématique, devient un fatalisme. La conscience individuelle, la subjectivité, la volonté propre, la complexité des interactions diverses, finie par être niée ou oubliée. On réduit la réalité sociale à un état, une chose, on s'intéresse à l'institué plus qu'à l'instituant.

L'élève, par exemple devient un matériau entièrement passif, un épiphénomène de la structure, un pauvre objet qui va subir un usinage sur une chaîne de montage dont il n'a nullement conscience. Il est absolument dessaisi de toute volonté propre : ses efforts éventuels sont tenus pour insignifiants, incongrus ou pire, indécents. Ces positivistes bornés sont devenus complètement fous ! Il nient la conscience, crachent sur la liberté, transforment le « pour soi » en « en soi ». Nous sommes (multi)déterminés, en situation, mais nous sommes libres ! C'est le seul pari de l'humain qui vaille, plus encore que le pari de Pascal.

Mais les mauvaises sciences humaines travaillent dans l’unidimensionnel, le réducteur, et finissent par oublier que l'homme ou l'élève n'est pas seulement un objet ou un agent mais aussi un sujet. Qu'il y a toutes sortes de processus singuliers par lesquels l'individu échappe aux « régularités » mises en avant par les « sciences » humaines qui n'ont souvent de sciences que le nom. C'est d'ailleurs ce processus singulier lui-même qui devrait susciter la curiosité des sociologues : comment se fait-il que tel élève ayant apparemment contre lui toutes les déterminations, échappe à son destin ?

C'est une « science du singulier » qui pourrait nous éclairer ! "Il n'est rien dont le travail et l'exercice ne viennent à bout"
PlutarqueMais les sociologues envisagent toujours les choses selon la même perspective trompeuse objectivante, désespérante et finalement fausse et mutilante : le social n'est pas seulement (en synchronie) une structure figée mais aussi un processus fluide qui déconstruit à chaque instant, par le moyen de chaque individu libre, de chaque élève, cette « structure » qu'on finit par hypostasier étourdiment et que les petits sociologues appointés finissent par prendre pour le seul réel, leur réel à eux.

Mon pauvre ministre, donc, n'aurait pour lui que le bon sens (celui de Descartes par exemple) et que l'assentiment du peuple. Car le peuple, au rebours des technocrates, sait bien faire preuve de bon sens.

 

 

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