Javier Milei : pas si fou « El Loco »

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Peste et famine vont sévir, le délire ultralibéral anéantir les acquis sociaux, et les sauterelles ravager les cultures. C’est, à peine caricaturé, la réaction de la plus grande partie de la presse française (notamment Ouest France, FranceTVinfo, France24, LaTribune, Alternatives économiques…) à l’arrivée au pouvoir, le 10 décembre, en Argentine de Javier Milei, élu sur un programme libertarien, c’est-à-dire de réduction drastique du rôle de l’État sur les plans économique et sociétal.

Le récit dominant en France serait que l’économie argentine, déjà engluée dans une profonde crise caractérisée par une corruption endémique et une inflation de 160 %, la plus élevée au monde actuellement, allait être définitivement mise à terre par cette expérience ultralibérale absurde tentée par « el loco » (le fou, surnom de Javier Milei) dont on se demande bien par quel aveuglement 55 % d’Argentins ont voté pour lui.

 

L’annonce d’un désastre peut-être un peu prématurée

Les médias racontent, avec quasi-jubilation, que des « manifestations monstres » se déroulent aux quatre coins du pays contre l’appauvrissement déjà perceptible et la « casse sociale ». Et, selon eux, des électeurs de Javier Milei regretteraient déjà leur choix. En fait, les manifestations monstres se résument pour l’instant à trois cortèges en dix jours d’une dizaine de milliers de personnes dans Buenos Aires, où le syndicat CGT a appelé à une grève générale le 24 janvier qui constituera un test crucial.

Quant à la casse sociale, elle peut difficilement faire encore sentir ses effets pour la bonne raison que la première vague de décisions économiques du nouveau président n’est pas encore vraiment entrée en vigueur, à l’image des privatisations d’ampleur, qui prendront des mois, ou la réduction de la durée d’indemnisation du chômage, actuellement de 9 à 12 mois, pour la ramener aux normes habituelles dans cette partie du monde (une horreur évidemment vue de Paris où, de 18 à 28 mois, elle est la plus longue de la planète, avec le Danemark et l’Espagne). En gros, la presse française se fait l’écho d’une souffrance qui n’est pas encore perceptible. Bien que douleur il y aura, effectivement, comme l’a d’ailleurs admis Javier Milei en évoquant six premiers mois difficiles.

Les seules mesures en passe d’être ressenties sont la baisse des subventions à la consommation de produits de première nécessité à partir du 1er janvier, subventions truffées – l’expérience le montre partout dans le monde – , d’effets pervers sur l’offre des biens et services concernés. Ces mesures, sont en outre, très coûteuses pour l’État. Ainsi que la suppression de 300 normes et règlement, dont la plus emblématique est l’encadrement des loyers. Cette dernière suppression a été particulièrement clouée au pilori par une presse française qui ne semble pas envisager que des prix administrés suscitent généralement des pénuries. D’un effet immédiat, via le renchérissement des produits importés, a aussi été la dévaluation de 50 % du peso, dont le cours, à vrai dire, était insoutenable à moyen terme.

 

Vous reprendrez bien un petit peu de banqueroute ?

À l’inverse, visiblement, d’une bonne partie de la presse française, les Argentins ont compris dans leur majorité qu’il ne fallait plus foncer dans le mur en klaxonnant et que les demi-mesures hésitantes, un pas en avant, deux en arrière, ne suffiraient pas.

Il faut savoir, en effet, ce qui peut paraître inconcevable à des cercles parisiens médiatiques, universitaires ou politiques biberonnés à l’étatisme comme horizon indépassable du genre humain et convaincus que l’argent public serait infini et gratuit, que l’État argentin était acculé. C’était d’ailleurs la raison principale du vote des Argentins en faveur d’une politique moins dépensière (en sus de leur colère contre l’inflation et la corruption, contrepartie quasi automatique d’un État très interventionniste). Les dépenses publiques sont équivalentes en Argentine à 41 % du revenu national, ce qui, vu de France où elles frôlent 65 % du PIB, record du monde, peut paraître petit bras, mais est très élevé pour un pays à revenu intermédiaire. La dette argentine, « seulement » 73 % du PIB mais là aussi c’est beaucoup pour un pays émergent, était notée CCC par les agences de notation, dernier cran avant le constat d’un défaut de paiement.

Les Argentins ont payé pour en voir les effets, avec celui survenu il y a exactement vingt-deux ans.

À l’intention des Français qui ont perdu l’expérience de la banqueroute depuis 1794 et dont certains, à la culture économique disons… perfectible, tonnent parfois « eh bien on ne remboursera pas et puis voilà », un défaut de paiement, cela a une conséquence simple : du jour au lendemain les prêteurs, qui savent qu’ils ne reverront plus jamais une bonne partie de leurs créances, ne vous prêtent plus. Cela implique donc que si l’État empruntait 35 chaque fois qu’il dépensait 100, ce qui est, exemple pris totalement au hasard, actuellement le cas en France, il doit, soit ramener ses dépenses à 65, et pas à moyen terme, non, en quelques jours, c’est-à-dire soit diminuer d’un tiers les salaires ou les effectifs des fonctionnaires, soit augmenter ses recettes de 50 %, pour qu’elles passent de 65 à 100. C’est-à-dire doubler le barème de l’impôt sur à peu près tout, puisqu’une grande partie de l’assiette fiscale s’effondrera par fuite à l’étranger, dissimulation et activité au noir. Une TVA qui monte à 40 % et un impôt sur le revenu équivalent à quatre mois de salaire pour les classes moyennes, alléchant, non ?

 

Le péronisme, passeport pour un naufrage

Un petit rappel : corporatisme, clientélisme, nationalisme, interventionnisme tous azimuts de l’État sont les ingrédients principaux de la doctrine péroniste appliquée la plupart du temps depuis l’arrivée au pouvoir du général Juan Péron en 1946, et grâce à laquelle le pays, jadis parmi les plus riches du monde, s’est terriblement appauvri (depuis dix ans le taux d’Argentins vivant sous le seuil de pauvreté absolu ne tombe pas sous la barre de 40 %), a été frappé par des vagues d’hyperinflation et des épisodes de dictature militaire.

On compte juste deux courtes parenthèses libérales, mal menées, dont une pilotée par un Carlos Menem… se réclamant aussi de Péron. En 78 ans, on peut compter seulement une quinzaine d’années, avec le parti de centre gauche UCR (au demeurant avec une forte instabilité institutionnelle et aux relations ambiguës avec les Péronistes), où cette doctrine, incarnée en divers courants, révolutionnaire, orthodoxe, justicialiste, fédéral, n’inspirait pas les pouvoirs publics. On comprend mieux le désastre.

Comme le montre l’échec du président argentin, mouture libérale classique, Mauricio Macri (2015-2019), l’art du libéralisme est délicat et tout d’exécution. Attention à ne pas mourir guéri, suivant la formule bien connue. Même un libéral peut aussi objecter au projet de Javier Milei de supprimer la banque centrale, s’interroger sur sa capacité à faire passer les lois nécessaires au Congrès, où son parti est très minoritaire, et répugner à sa personnalité emportée et colérique, ainsi que ses propos indulgents envers les dictatures militaires, son opposition à l’avortement, curieuse pour un libéral, et son appui aux… ventes d’organes. Quant à sa demande d’avoir les pleins pouvoirs économiques pour un mois, elle peut paraître discutable, et on peut légitimement ne pas être convaincu par sa réforme du divorce, ou du droit de manifester (en revanche, le voir arracher les affichettes représentant les bureaucraties inutiles en criant « afuera », ou brandir une tronçonneuse pour symboliser ce qu’il compte faire aux dépenses pas indispensables n’est pas déplaisant).

Mais son véritable crime, aux yeux de la presse française, n’est pas là, plutôt d’être ultra-libéral, de la variété qui dévore les nourrissons à la pleine lune, c’est-à-dire de vouloir réduire le poids de l’Etat dans l’économie. Pour mieux le discréditer il est d’ailleurs classé systématiquement à l’extrême droite, alors que l’extrême droite est, par construction, antagoniste du libéralisme, a fortiori ultra : ce dernier mise massivement sur les individus autonomes, tandis que l’extrême droite considère ces derniers comme des pions au service d’un projet national.

Cette critique frénétique émise par la presse française sans tenir compte du contexte argentin illustre la prééminence du dogme social-étatiste. Cela rappelle un peu la détestation à la limite de la névrose envers, jadis, Margaret Thatcher en oubliant qu’elle avait récupéré un pays sur le point de passer sous la tutelle du Fonds monétaire international.

La plupart des commentateurs pourront continuer à hurler au grand méchant loup ultra-méga libéral sans d’autres risques qu’une immense déconvenue si jamais Javier Milei et son équipe réussissent. La France n’est, elle, pas menacée par la banqueroute, puisque notre système paternaliste que le monde entier nous envie mais se garde bien, curieusement, d’imiter (où s’ajoutent même régulièrement des subventions pour rapiéçages de chaussettes) est financé par des emprunts imperturbables. Avec une brillante série de cinquante déficits annuels consécutifs, sans équivalent historique nulle part au monde. Tout va donc très bien, Madame la marquise.

Bien sûr…

 

 

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