Ndlr. Le New York Times, journal progressiste, n’en souligne pas moins le caractère extrêmement meurtrier et destructeur de cette guerre qui s’éternise.
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La guerre s'intensifie dans une série de villages du front oriental, où les médecins tentent de gérer un afflux de patients aux blessures horribles et où les soldats font face à l'armée russe qui envoie des vagues de nouveaux conscrits.
6 février 2023
Dans un petit village de l'est de l'Ukraine, à l'épicentre de la prochaine phase de la guerre, Lioudmila Degtiariova mesure l'avancée russe en écoutant les explosions des obus d'artillerie qui approchent.
"Vous devriez voir les feux d'artifice ici", dit Mme Degtiariova, 61 ans, au milieu du vacarme de l'artillerie. "On se croirait au Nouvel An."
L'armée russe se prépare à lancer une nouvelle offensive qui pourrait bientôt engloutir son village, Nevske, et peut-être beaucoup d'autres dans cette région de l'Est de l'Ukraine appelée Donbass. Mais déjà les effets de l'intensification de l'assaut russe se font sentir dans les villes et villages situés sur les centaines de kilomètres vallonnés du front oriental.
Les troupes ukrainiennes, épuisées, se plaignent d'être déjà dépassées en nombre et en armement, avant même que la Russie n'ait engagé le gros de ses quelque 200'000 soldats nouvellement mobilisés. Et les médecins des hôpitaux parlent de pertes croissantes tout en s'efforçant de soigner les combattants souffrant de blessures horribles.
Les civils qui se trouvent sur le chemin de l'avancée prévue de la Russie sont confrontés une fois de plus à la décision angoissante de partir ou de rester en attendant la calamité à venir. Cette zone du nord du Donbass a été l'une des dernières à être libérées lors de l'offensive éclair ukrainienne de l'automne dernier, qui a fait espérer aux habitants locaux que leurs mois de traumatisme étaient terminés.
Mais la guerre est revenue. Il y a deux semaines, un obus russe a atterri dans la cour de Mme Degtiariova et sa grange a été détruite par les flammes.
Si les Russes reviennent, se lamente-t-elle, elle devra fuir.
"J'ai commencé à faire mes bagages, pour tout dire", confie-t-elle. "Les soldats me protégerons et je vais partir. Je laisserai sortir mes vaches et je m'en irai. Je ne veux plus revenir."
On ne sait toujours pas quand ni où la nouvelle offensive commencera véritablement, mais les responsables ukrainiens sont très préoccupés. L'armée ukrainienne a déjoué les pronostics pessimistes d'avant la guerre, en faisant échec aux premiers efforts de la Russie pour s'emparer de la capitale et en repoussant finalement les forces russes dans le nord-est et le sud.
Mais l'armée russe continue d'arriver. En ce moment, les troupes récemment mobilisées terminent leur formation et entrent sur le terrain; ces forces comprennent autant de soldats que lors de l'invasion initiale l'année dernière.
Elles pourraient être prêtes à combattre dans deux semaines seulement, dit Serhiy Haidai, le gouverneur de la région de Louhansk, où se trouve Nevske - bien avant la date où les nouvelles armes occidentales, notamment les chars et les blindés lourds, sont attendues en Ukraine.
"Ils sont très nombreux", dit M. Haidai à propos des nouveaux conscrits. "Ce ne sont pas des soldats professionnels, mais cela fait tout de même 200 000 personnes qui tirent dans notre direction".
On s'attend à ce que la Russie frappe fort, afin de réparer près d'une année d'échecs en cascade. Bien qu'une nouvelle attaque sur Kiev passe désormais pour improbable, les forces russes tenteront vraisemblablement de récupérer les territoires qu'elles ont perdus l'automne dernier, ainsi que de prendre le contrôle total du Donbass, un objectif essentiel du président russe Vladimir Poutine.
Selon les analystes militaires, un scénario vraisemblable serait que les forces russes descendent du nord et remontent du sud en arc de cercle, créant une grande tenaille qui couperait les lignes d'approvisionnement ukrainiennes allant d'ouest en est. Cela placerait des villages comme Nevske sur la trajectoire directe de l'avancée probable des Russes.
Pour les habitants, ce serait un désastre. Ici, à l'extrême limite de la contre-offensive ukrainienne, les gens n'ont pas connu les fruits de la libération comme l'ont pu les Ukrainiens plus à l'ouest. Il n'y a toujours pas d'électricité ni d'eau et les combats n'ont jamais cessé. Les champs de tournesols noirs non récoltés sont criblés de cratères remplis de neige, et la région est jonchée de chars brûlés, de munitions non explosées et de mines qui tuent fréquemment le bétail. En traversant la région, on tombe occasionnellement sur les cadavres ou les ossements gelés de ces animaux.
À Makiivka, juste au nord de Nevske, cinq des vaches de Rouslan Vasiltchenko ont été tuées, et celles qui restent étaient blotties l'autre jour dans une grange minuscule recouverte d'éclats d'obus. Il y avait un tank brûlé dans son jardin et deux voitures détruites dans sa cour. Il s'attend à ce que les choses empirent bientôt.
"Ces derniers jours, les soldats sont passés nous dire de ne pas sortir de chez nous", dit-il.
Les premières étapes de l'offensive russe ont déjà commencé. Les troupes ukrainiennes affirment que Bakhmout, cette ville de l'est de l'Ukraine que les forces russes tentent de prendre depuis l'été, devrait bientôt tomber. Ailleurs, les forces russes avancent par petits groupes et sondent les lignes de front à la recherche de faiblesses ukrainiennes.
Ces efforts mettent déjà à rude épreuve l'armée ukrainienne, épuisée par près de 12 mois de combats intenses.
Les troupes disent disposer de chars et de pièces d'artillerie, mais pas en nombre suffisant, et avoir beaucoup moins de munitions que leurs adversaires. Les forces russes ont aussi commencé à déployer des armes plus perfectionnées, comme le char T-90, équipé d'une technologie capable de détecter les systèmes de ciblage des armes antichars comme les Javelins de fabrication américaine, ce qui limite l'efficacité de celles-ci.
Mais le plus souvent, le défi est une simple question de chiffres.
"C'est vraiment difficile quand vous avez 50 gars et qu'ils en ont 300", dit un soldat d'infanterie de 35 ans nommé Pavlo, qui a été touché à l'œil par un éclat provenant d'une grenade propulsée par fusée près de Bakhmout. "On les dégomme mais ils reviennent et reviennent. Il y en a tellement."
Les pertes au sein des forces ukrainiennes ont été sévères. Les troupes d'un contingent de volontaires appelé le Sitch des Carpates, positionné près de Nevske, ont affirmé qu'une trentaine de combattants de leur groupe étaient morts ces dernières semaines, et des soldats ont dit, en ne plaisantant qu'à moitié, qu'à peu près tout le monde a une commotion cérébrale.
"C'est l'hiver et les positions sont ouvertes; il n'y a nulle part où se cacher", dit un soldat de l'unité au nom de code Rusyn.
Dans un hôpital de la ligne de front du Donbass, la morgue était remplie de corps de soldats ukrainiens dans des sacs en plastique blancs. Dans un autre hôpital, les couloirs étaient encombrés de civières avec des soldats blessés recouverts de couvertures thermiques métallisées couleur d'or, et un flux continu d'ambulances arrivait du front presque toute la journée.
Un chirurgien militaire de cet hôpital, Myroslav Doubenko, 36 ans, fait défiler des photos de soldats présentant des blessures effroyables: une mâchoire inférieure arrachée, la moitié d'un visage manquant. Un soldat a été amené d'urgence avec la gorge tranchée d'une oreille à l'autre. Le Dr Doubenko a pu réparer rapidement les dégâts et le soldat a survécu.
"Dans la vie civile, vous savez que, quelle que soit l'horreur de votre service, il se terminera tôt ou tard", a déclaré le Dr Doubenko. "Ici, vous ne savez jamais quand ça va se terminer."
L'afflux de soldats n'est pas le seul à épuiser les médecins; les civils aussi sont fréquemment victimes des attaques russes. Pour Andrii Drobnytsky, un médecin militaire de 27 ans, cela fait partie d'une stratégie délibérée visant à submerger les hôpitaux militaires ukrainiens. La semaine dernière, un gardien de prison à la retraite a été transporté d'urgence à l'hôpital militaire où travaille le Dr Drobnytsky, sa main ayant été déchiquetée par un obus de mortier qui a explosé alors qu'il ramassait du bois de chauffage. Le Dr Drobnytsky a aidé à recoudre sa main, sauvant probablement son index.
"S'il y a beaucoup de victimes, nous oublions le reste", dit-il. "On ne peut pas les abandonner, n'est-ce pas ?"
La question de savoir si la Russie sera en mesure de capitaliser sur sa force en nombre est ouverte. Les soldats russes, selon les évaluations ukrainiennes et occidentales, meurent en bien plus grand nombre. Les responsables américains estiment aujourd'hui que le nombre de soldats russes blessés et tués avoisine les 200 000, un taux de pertes énorme.
Dans les dortoirs d'une base située près de Bakhmout, un soldat au nom de code Badger sort un sac en tissu et en déverse le contenu sur un lit de camp. À l'intérieur se trouvaient une demi-douzaine de couteaux - dont un avec une poignée faite d'un sabot de cerf - des trophées qu'il a dit avoir pris sur les corps de soldats russes morts.
"Nous avons aussi des pertes, mais ils ont des pertes énormes", dit Badger. "Nous les avons éliminés en très grand nombre."
De retour près de Nevske, les soldats du Sitch des Carpates disent avoir assez de munitions pour tenir le coup pour le moment. Un soldat surnommé Diesel montre sur son téléphone des vidéos des corps de soldats russes qu'il a tués quand ils se sont trop approchés.
Comme depuis le début de la guerre, les Russes continuent de faire des erreurs stupides, dit-il. D'un officier mort, il a pris un ordinateur tablette sans code d'accès qui contenait les coordonnées de toutes leurs mines et de tous leurs snipers.
Source: Outnumbered and Worn Out, Ukrainians in East Brace for Russian Assault - New York Times (nombreuses photographies)
Traduction libre: Cenator
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