Elections au Gouvernement genevois 6.5.2018. « Ce qui a coulé Luc Barthassat, et ceux qui y ont participé »

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Blog de la Tribune de Genève édité par Jean-Charles Magnin.

07/05/2018

Ce qui a coulé Luc Barthassat, et ceux qui y ont participé.

 

Devant la pauvreté pour ne pas dire l'indigence des analyses, produites par les grands médias, sur l'échec de Luc Barthassat dans sa tentative de réélection au gouvernement genevois, il est nécessaire d'en évoquer les causes profondes, moins avouables dans le landerneau politique. Passons sur quelques évidences lues ici et là, principalement nourries par la langue de bois politique ou la superficialité médiatique, pour décrypter d'une façon un peu plus pointue le sort réservé dimanche au premier paysan qui fut élu au Gouvernement cantonal.

D'abord, et pour que ce soir clair, je suis de ceux qui regrettent la non-réélection de Luc Barthassat. Au-delà de ses défauts, d'ailleurs connus bien avant son élection en 2013, j'appréciais sa franchise, sa loyauté, son optimisme et son absence de dogmatisme. Mais l'évidence commande d'avouer que Luc Barthassat n'était plus de taille à vaincre une conjonction trop grande de vents contraires, qui se sont cumulés au fil des années, et qui ont peu à voir avec le soi-disant dicastère maudit des Transports. Alors reprenons dans l'ordre chronologique.

  1. L'agacement des élites. Qu'un horticulteur-paysagiste, fils de paysan, non universitaire, à l'orthographe hésitante et au franc-parler dérangeant soit élu au Conseil d'Etat en 2013 fut d'emblée insupportable pour une grande partie des élites intellectuelles du canton. Dans son camp de droite d'abord: devancer un médecin réputé, puis une conseillère d'Etat sortante aura été son péché originel. Chez ses adversaires ensuite: le rock et la moto, ce n'est pas très culturel, n'est-ce pas? Les moqueries et petites phrases pouvaient alors fleurir, relayées complaisamment par une presse qui aspire toujours à s'identifier bien davantage aux adeptes d'une culture des livres plutôt qu'ầ ceux d'une culture des champs. Certains conseillers d'Etat, bien en cour médiatique, ne se sont d'ailleurs pas privé de distiller quelques fuites habiles. Et puis en Suisse romande, on n'aime pas tant que les paysans gouvernent. A Neuchâtel, Fernand Cuche et Thierry Grosjean en ont aussi fait l'amère expérience.
  2. Le style et l'hyper-communication. Le style populaire, ouvert, franc du magistrat aurait pu faire mouche s'il n'avait pas été desservi par une hyper-communication agaçante, limite insupportable. Il eut fallu au minimum faire la distinction entre vie publique et vie privée. Ok pour mettre sur Facebook 20 photos sur les journées Portes ouvertes du CEVA, ou sur le Millésime genevois. Mais en revanche, les vacances ou les concerts... Nous restons en Suisse, on demande malgré tout un peu de recul au magistrat, même s'il est populaire. Et puis tout le monde sait qu'il faut prendre connaissance de montagnes de dossiers pour bien gouverner, ce qui est peu compatible avec de la représentation permanente.
  3. L'entourage et la maitrise des dossiers. Devenir conseiller d'Etat, ça monte à la tête, même des plus équilibrés. Du jour au lendemain, mille personnes vous sollicitent, vous courtisent, vous harcèlent, et 2'000 dossiers vous dégringolent sur la figure. Le rôle de l'entourage devient primordial, notamment pour délivrer l'information pertinente au magistrat. Au Secrétariat général d'un Département, il faut des personnes loyales, sensées, solides, capables d'anticiper, restituant au magistrat la vérité, quitte à déplaire. Cela s'est-il pratiqué au DETA? J'ai des doutes. La tendance naturelle des magistrats est de s'entourer de gens du même parti. Faire le tri entre les fidèles et les opportunistes n'aura sans doute pas été la qualité première de Luc Barthassat, notamment pour le prévenir des dangers de l'hyper-communication. Quant aux directions d'Offices, comme les Transports ou l'Environnement, il eut fallu mettre à leur tête des personnalités au cuir solide, à la loyauté éprouvée et à forte personnalité afin d'appliquer la politique du magistrat, si ce n'est de la lui inspirer. En 12 ans de gestion par des magistrats écologistes, ces offices ont en effet été noyautés par un personnel marqué politiquement à gauche qui n'allait pas dérouler le tapis rouge sous ses pas...
  4. Les médias. Qui dit hyper-communication dit médias. Une arme à double tranchant. Dire que Luc Barthassat a été pris en grippe, notamment la RTS et la Tribune, c'est une évidence. Il faut dire qu'il multipliait les raisons pour devenir leur cible: il est de droite alors que 70% des journalistes ont le cœur qui penche fortement à gauche, il défend la mobilité individuelle alors que le dogme intellectuel dominant roule pour les transports publics et le vélo, il prône une fermeture relative des frontières (notamment pour protéger l'agriculture) alors que la doxa intellectuelle médiatique encense le libre-échange à tout va. Et surtout, offense suprême, il critique les médias lorsqu'ils lui sont défavorables. Il n'en fallait pas plus pour devenir leur tête de turc. Luc Barthassat a donc été exécuté par la presse, comme l'ont été avant lui Gérard Ramseyer, Micheline Spoerri, Michèle Kunzler, Mark Muller et Isabel Rochat.
  5. L'alliance peu fiable. Croire que l'électorat PLR allait se mobiliser pour sauver le soldat Barthassat, c'était se bercer d'illusions. La priorité du PLR, c'était d'assurer l'élection de Nathalie Fontanet, la concurrente directe. On touche là aux limites des alliances, où la dynamique négative emporte toujours le maillon faible, et plus particulièrement à droite où la "discipline de vote" est nettement plus faible qu'à gauche. Pour le surplus, l'Entente, qui a longtemps fonctionné avec un équilibre de trois partis, se trouve aujourd'hui davantage marquée par une relation dominant PLR-dominé PDC. La tendance ne risque pas de s'inverser avec les résultats de cette élection. Le siège supplémentaire gagné par le PDC au Grand Conseil est davantage une non-défaite qu'une victoire, dans la mesure ou la dispersion des suffrages des formations n'ayant pas atteint le quorum (Genève en marche, Verts libéraux, PBD et divers groupuscules d'extrême-gauche) et le recul des formations jugées populistes (MCG-UDC) assurait une progression mathématique aux autres partis.
  6. Le mode d'élection. Enfin le nouveau mode d'élection au Conseil d'Etat a achevé le tableau. Avant, l'électeur pouvait se contenter de voter "passivement" en glissant simplement le bulletin d'un parti ou d'une alliance dans l'urne. Maintenant, il se doit d'être actif en désignant lui-même d'une croix ceux à qui il veut accorder son suffrage. Psychologiquement, c'est une tout autre affaire, et les taches sur la réputation du magistrat deviennent rédhibitoires. C'est sans doute préférable démocratiquement, même si cela redonne aux médias un pouvoir d'influence plus considérable. C'est d'ailleurs assez piquant de le constater, au moment ou leur existence même est remise en cause. Les fossoyeurs (de droite) qui avaient sacrifié La Suisse et le Journal de Genève sur l'autel de la sacro-sainte rentabilité continuent d'ailleurs à s'en mordre les doigts...

 

Un commentaire

  1. Posté par Sergio le

    Genève passe à gauche ! La belle affaire, car le Genevois de souche est devenu une denrée extrêmement rare. Le peuple a été peu à peu remplacé par une faune allant du révolutionnaire de salon fils de notaire au zadiste de deuxième génération. Billag se chargeant du reste.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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