La Hongrie organise en 2018 des élections législatives. Le parti démocrate-chrétien du Premier ministre Viktor Orbán (Fidesz) est donné gagnant. Afin d’en savoir plus sur la situation politique actuelle dans ce pays, Lionel Baland a interrogé pour Eurolibertés Ferenc Almássy, un journaliste indépendant résidant en Hongrie, fondateur du site d’information sur les pays du Groupe de Visegrád (Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie ou V4), le Visegrád Post, et collaborateur de Boulevard Voltaire et de TVLibertés.
Les élections législatives doivent avoir lieu en avril 2018. Quels en sont les enjeux ?
Peu de changements par rapport aux deux dernières élections sont attendus. En revanche, ce qui est radicalement modifié, c’est l’importance accordée à ce scrutin. Les enjeux sont importants. Nous sommes à une période charnière, autant à l’échelle européenne où la voix du groupe de Visegrád est devenue incontournable et remporte de plus en plus de succès qu’à l’échelle nationale, car Viktor Orbán, après ces deux mandats consécutifs, est en train de reformater complètement le régime hongrois.
Pour les différents partis d’opposition, il s’agit donc d’assurer leur survie politique, car si Viktor Orbán gagne une fois de plus avec les deux tiers du Parlement, l’opposition risque d’être complètement balayée, et il pourra véritablement transformer le pays comme il l’entend, et rester encore un bon moment.
Le Fidesz du Premier ministre démocrate-chrétien Viktor Orban disposera-t-il d’une majorité absolue à l’issue de ce scrutin ?
C’est la grande question. Et même si, à quelques mois des élections, certains partis d’opposition disent être confiants dans leur victoire, personne n’est dupe. Sauf accident de voiture à la Jörg Haider, Orbán gagnera en avril. Mais il a besoin des deux tiers du Parlement pour continuer ses réformes en profondeur, envisager éventuellement d’autres modifications constitutionnelles – mais je pense que celles votées en 2011 lui suffisent – et tâcher de poser les bases de sa « contre-révolution culturelle ».
C’est donc l’objectif premier de l’opposition que d’empêcher Viktor Orbán d’avoir les deux tiers des sièges à l’assemblée.
La popularité de Viktor Orbán s’est-elle accrue ces derniers mois suite au conflit entre l’Union Européenne et la Hongrie à propos de la relocalisation forcée de migrants ?
En 2015, Viktor Orbán a été le premier à refuser de subir la crise migratoire. Et depuis, il maintient un climat permanent de lutte. Je pense que, d’une part, il a réalisé la force fédératrice d’une telle stratégie politique, et d’autre part, il voit aussi quelle force cela lui confère à l’échelle internationale, car il n’y a aucun politicien en Europe actuellement qui ose dire ce qu’il dit, et qui sait aussi bien calculer ses coups, gérer ses esquives et préparer ses pièges.
Viktor Orbán a toujours été populaire, et a su se forger un noyau dur de partisans depuis le changement de régime dont il a été un acteur majeur – du moins, sur le devant de la scène. Mais l’été 2015 a été le début d’une nouvelle ère. Sa popularité a grandi et s’est renforcée, et il a détruit l’opposition, complètement éclatée à gauche et sans base électorale solide depuis l’effondrement du vote des retraités du communisme, et à droite, en appliquant les principales idées du Jobbik (citoyenneté accordée aux Hongrois d’outre-frontières, construction de la barrière contre l’immigration illégale, politique nataliste, ouverture à l’Est,…).
Aujourd’hui, le Fidesz culmine à 34 % d’intentions de votes sûrs et le Jobbik arrive en deuxième position avec seulement 8 % ; les six partis de gauche cumulant ensemble péniblement 18 %… tout en étant incapables de s’allier.
Donc, pour répondre clairement à la question, oui, la stratégie de la lutte permanente fonctionne bien pour Viktor Orbán, qui rejette tout débat avec l’opposition nationale, la détruisant par ailleurs, pendant qu’il s’affiche comme le défenseur des intérêts hongrois et centre-européens à l’échelle internationale, où ses succès et son personnage s’imposent de plus en plus. De politicien populaire, il est devenu un homme d’État, et joue de cette posture en vue des élections à venir.
Le parti nationaliste Jobbik dirigé par Gábor Vona a-t-il changé de tactique électorale et de ligne politique ? Le député européen élu sur les listes du Jobbik, Madame Krisztina Morvai, a annoncé qu’elle ne se présentera pas en 2019 sous les couleurs du Jobbik pour les élections européennes. Quelles sont les raisons de ce choix ? L’ancien député national du Jobbik Tamás Gaudi-Nagy est lui aussi très critique envers la nouvelle ligne choisie par Gábor Vona. Pourquoi ? Cette évolution du Jobbik a-t-elle une influence sur les résultats de ce parti dans les sondages ?
Il n’y a pas qu’un changement de tactique, mais aussi de stratégie – et, en fait, d’idéologie, de but. Ce qui au départ apparaissait comme une « dédiabolisation », est devenu ensuite une « popularisation », et aujourd’hui, les nationalistes sont mis au ban du parti.
Certains font profil bas, attendant un probable effondrement aux élections d’avril, et espérant reprendre en main le parti après l’éventuelle éjection du président historique du parti, Gábor Vona. D’autres y voient une preuve de maturité politique et de pragmatisme habile, qui permet au Jobbik de n’être plus traité en paria, et de réunir potentiellement toute la population, notamment en récupérant des électeurs à la gauche, déçus par l’incapacité notoire des dirigeants de gauche à coopérer.
Mais la tendance actuelle est à la baisse du Jobbik dans les sondages, alors que le Fidesz de Viktor Orbán s’envole toujours plus haut, fort de sa mainmise sur l’appareil d’État et du climat de combat contre des forces extérieures savamment maintenu, et amenant des résultats concrets. Après l’opposition aux migrants, ce fut Bruxelles qu’il fallait arrêter, et en ce moment, Orbán veut empêcher le milliardaire immigrationniste George Soros de rire en dernier. Cette stratégie marche, celle de s’opposer à Orbán au nom de la sauvegarde de la démocratie et de l’opposition à la corruption, les deux thèmes de campagne du Jobbik, ne semble pas prendre.
Une coalition regroupant la gauche et le Jobbik est-elle envisageable ?
Gábor Vona, invité fin novembre à un forum avec des intellectuels juifs et libéraux, afin de dépouiller pour de bon le Jobbik de son image de « parti d’extrême droite antisémite », a annoncé – sans avoir consulté sur la question le collège dirigeant le parti – que le Jobbik était prêt à former une coalition avec Momentum – le petit parti ni droite ni gauche, sauce « En Marche ! », et bénéficiant de soutiens américains, ou encore de celui de Guy Verhofstadt ou Brigitte Macron – et d’autres partis de gauche libérale.
Depuis, la guerre est totale entre Orbán et Vona, et les rares et courts échanges à l’assemblée frôlent l’insulte et les accusations sérieuses. Gábor Vona a pour de nombreux radicaux de droite franchi le Rubicon, en voulant s’imposer comme le chef de file de toute l’opposition, au nom de la sauvegarde de la démocratie.
Tout cela résulte d’un climat préélectoral tendu comme jamais de mémoire de Hongrois.
Pour l’opposition, ces élections sont cruciales pour « sauver la démocratie » d’un nouveau régime de parti unique et de la corruption et sont considérées comme étant plus importantes que jamais.
Selon les autorités Fidesz, les réseaux Soros sont prêts à lancer la contre-attaque, et les thématiques de corruption et de démocratie employées par désormais toute l’opposition ne sont que l’application de stratégies classiques et facilement identifiables de la nébuleuse libérale-libertaire de George Soros et consorts.
La crainte d’un « Maïdan » à la hongroise est cependant écartée pour le moment : le gouvernement a su gagner la sympathie d’une partie des nationalistes, qui ne sont plus acquis au Jobbik. Dès lors, aucune force capable d’une opération coup de poing d’envergure ne menace le gouvernement, qui est assuré du soutien de la police et de l’armée. En parallèle, Viktor Orbán a renforcé considérablement ses liens avec ses voisins, notamment à travers le V4.
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