Les prophètes étaient-ils des gens bien intégrés ?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Dans les débats publics sur le terrorisme, la question de l’intégration est première et se décompose en deux temps : on deviendrait djihadiste parce qu’on n’aurait pas été intégré – si les pouvoirs publics intègrent mieux, nous n’aurons plus de terroristes. Dans la foulée on ajoute que les délinquants et petites crapules, eux non plus, n’ont pas été intégrés et l’on fait d’une pierre deux coups : les terroristes étant souvent des petites crapules, l’intégration nous débarrassera de tous ceux qui nous gênent, voire nous tuent.

Il suffisait d’y penser : tout le mal vient de ces gens qu’on laisse au bord de la route, les plus démunis comme disent les socialistes. La société fonctionne mal en défavorisant, excluant ou stigmatisant certains de ses membres. Corrigeons ces dysfonctionnements et tout baignera !

J’entends déjà des couinements : « les plus démunis ne sont pas des terroristes ! » Certes, mais là n’est pas l’essentiel. Qui est que tous nos malheurs, selon la bien-pensance, viennent d’une société qui fonctionne mal. Ah, les mauvais fonctionnements du social ! Ça attire les bons samaritains comme des mouches qui font du buzz tout autour. Les SDF sont mal logés, les enfants mal éduqués, les criminels mal rééduqués. Allez, du balai dans tous ces recoins où s’accumulent ceux qui fonctionnent mal ! Du balai ou de la rééducation ! Comment ? J’entends mal… de la rééducation ou du parcage ? Dans des camps vous voulez dire ?

Pourquoi pas ? Mais à condition, vous en conviendrez, d’y amener, dans ces camps, des commissaires des Nations Unies habilités à faire respecter les droits de l’homme. La communauté internationale a d’ailleurs entrepris de le faire sur l’île de Lesbos où affluent des migrants. C’est dire si c’est au goût du jour !

Rony Braumann, ancien président de Médecins Sans Frontières, a une fois déclaré que l’humanitaire lui faisait parfois penser à de belles âmes apportant des couvertures à Auschwitz. Nous y sommes ! Comme ce stupide colibri qui apporte quelques gouttes d’eau pour arrêter un incendie de forêt. Il est tout content ce colibri et se rengorge : « moi, je fais ma part et je fais le bien ». Les prisonniers d’Auschwitz auraient-ils été tout contents de recevoir des couvertures ?

La tentation humanitaire est une tentation totalitaire. Le totalitarisme n’a rien à voir avec une dictature, parce qu’il consiste à voir le mal dans un dysfonctionnement, une mauvaise intégration, une mauvaise gestion. Pourquoi donc est-ce totalitaire ? Parce que, comme ce mot l’indique, cette tentation se nourrit de la nostalgie d’une belle totalité fonctionnant harmonieusement. Cette nostalgie, les nazis l’avaient. Ils voulaient une Allemagne qui fonctionnât parfaitement et les Juifs étaient des empêcheurs de tourner en rond.

Ce n’est hélas pas que les socialistes qui sont obsédés par le mythe d’une société bien huilée qui fonctionnerait sans le moindre grain de sable. Hier soir, sur notre bien-aimée RTS nous était proposé un programme sur les dysfonctionnements dans un EMS. Des vieux et des vieilles sont méchants avec les infirmières. Certains sont même racistes. Ça dysfonctionne et il faudra faire de la rééducation. Ce n’est qu’un exemple parmi des milliers. L’air du temps est à une réparation tous azimuts. Pas un jour ne se passe sans que nous ne soyons invités à écarquiller les yeux d’épouvante ou d’indignation devant l’état de notre société. Les réparateurs abondent qui, contre espèces sonnantes et trébuchantes, nous proposent plâtres et pansements. A nos enfants sont proposés des cours d’infirmiers du monde dans les Universités et instituts d’études… hautes bien entendu. Faire carrière comme réparateur du monde sur le mode colibri. Fabuleux destin !

A un réparateur colibriesque il ne vient pas à l’esprit que le monde sur lequel il se penche puisse être remis en question. Il s’agit seulement de se pencher sur un moteur qui fonctionne mal. Ici le carburateur, là une bougie, ici la guerre, là une maladie. Un médecin ne juge pas, il panse et ne pense pas.

Or, penser le monde est possible. Les prophètes de l’Ancien Testament nous montrent le chemin. Ils pensent, jugent Israël corrompu, ne songent donc pas à réparer et prient pour une conversion. Ils n’étaient pas intégrés et ne songeaient pas à se réintégrer. Ça leur coûtait cher et ils payaient souvent par la mort ou l’exil. Les prophètes n’étaient pas des petits colibris. Quant au Christ, il jugeait aussi, mais pas seulement Israël. A lui aussi ça a coûté cher, comme on pourrait le rappeler en ce temps de Pâques, à côté des petits lapins et du chocolat.

Jan Marejko, 27 mars 2016

2 commentaires

  1. Posté par Sancenay le

    Eh oui, il est interdit de penser, cela évite d’avoir à panser: suicide collectif au programme selon la Religion du « Progrès » contre l’humanité.

  2. Posté par Renaud le

    « Mieux vaut penser le changement que changer le pansement » (Francis Blanche)

    « Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être adapté à une société profondément malade. » (Jiddu Krishnamurti)

    « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison !  » (Coluche)

    « Toute vérité passe par 3 étapes : d’abord elle est ridiculisée ; ensuite elle est violemment combattue ; et enfin elle est acceptée comme une évidence. » (Arthur Schopenhauer)

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