Un homme de parole, un amoureux du verbe et de la musique, un redoutable bretteur, un fou de politique, une âme ouverte à la dimension spirituelle. Tel était Pierre Weiss, qui vient de nous quitter après un très courageux combat contre la maladie. Un homme habité par la vie. Tout sonore de l’excitation d’être. Un homme de culture, sensible aux langues (il en parlait plusieurs, dont l’italien), à la musicalité des syllabes, au chant des phrases. Orateur, il cherchait tout en parlant, s’écoutait dire, scandait, variait le tempo, décochait : le rythme, dans son discours, occupait une place majeure.
Il ne lisait pas, Dieu merci. Il devait avoir quelques mots-clefs, savait de toute façon où il allait, se laissait trahir par ses propre pièges, et justement cette imperfection le servait, authentifiant l’improvisation. L’oralité est un métier, il l’avait appris très tôt, je sais exactement où et avec quels maîtres. Il savait avec une belle maîtrise compenser le défaut de grave, dans la tonalité de sa voix, par l’exubérance, tel le rossignol, sur la plus haute branche.
Nous n’étions pas d’accord, Pierre Weiss et moi, sur le rôle de l’Etat en politique, disons que j’en voulais plus que lui. Ni sur le libre-échange économique. J’ai toujours été protectionniste, lui pas. Mais en vérité, combien ces dissensions-là sont vaines, lorsque remonte à la mémoire le champ de ce qui fut partagé. Nous avons eu les mêmes professeurs, dans cette école où j’ai passé onze années de ma vie et où, de six ans mon aîné, il m’avait précédé. Nous en parlions souvent, laissant se mélanger nos nostalgies, puissantes.
Pierre Weiss était un homme de culture. Son rapport à la musique, par exemple, était bouleversant. Sa relation, aussi, avec la langue italienne, si subtile, si complexe. Son ancrage dans les humanités. Sa passion rhétorique pour la « disputatio », la joute oui, mais aussi construite que vivace, où la structure le dispute à l’étincelant. Parler en public comme on se met, au sens propre, à l’ouvrage. L’improvisation ne s’improvise pas.
Il y aurait beaucoup à dire sur le lien qu’entretenait cet homme de passion avec les Lumières. Il n’en était héritier que partiellement, dans l’ordre de la liberté, qui nous réunit tous. Mais lorsqu’il n’était plus nécessaire de démontrer du haut d’une tribune, cet homme, en cercle plus fermé, ne cachait pas la part de spiritualité dans son chemin. Dans ces échanges-là, on pouvait découvrir une autre dimension que le métallique « Freisinn » de certains de ses collègues de parti. Aussi, ses goûts littéraires, et surtout musicaux, attestaient d’une incroyable ouverture à cette part de l’intime et du tellurisme que d’aucuns, pour faire court, ont appelé « le romantisme ». Disons, tout au moins, la dimension lyrique, celle qui s’en va faire vibrer d’autres cordes que les seuls accents de la Raison. Vernunft.
Le monde politique genevois perd un homme d’une grande valeur. Un humaniste, l’un des derniers. Trempé dans la splendeur et la puissance du verbe. Habité par l’oraison. A sa famille, ses proches, émotion et sympathie. Quelque part, dans la partition inachevée du cosmos.
Pascal Décaillet, 25 avril 2015
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