Procès Pistorius: acquittement pour la corruption

Thomas Mazzone
Enseignant, écrivain
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Dans la Weltwoche 39.14, on pouvait découvrir l’avis du romancier Mike Nicol sur le procès de l’athlète amputé Oscar Pistorius, accentué par un préambule sévère: “la sentence légère contre le sportif d’élite anéantit l’espoir que la Justice, au moins, pourrait fonctionner [en Afrique du Sud].”

 

Dans tous les médias, on s’interrogeait sur l’éventuelle corruption du juge Masipa et on s’indigne que Pistorius ne fût pas en prison. Dans un pays où les criminels s’en sortent souvent sans peine, on souhaitait qu’un crime fût enfin condamné. Les espoirs furent déçus, mais comme la corruption est si répandue en Afrique du Sud, l’explication à ceci coulait de source, jusque dans la bouche des gens!

 

Avec plus de cinq fois la moyenne mondiale de taux d’assassinats, dont 56% de femmes tuées par leur compagnon, avec six femmes violées par heure, Pistorius symbolisait aussi la guerre des hommes contre les femmes. Avec tout ce qu’on lui reprochait d’autre quant à son arrogance et à son attitude douteuse, il représentait tout ce qu’il y a de plus mauvais dans le pays.

 

De plus, l’appareil étatique fonctionne mal et on se soigne à des prix exorbitants dans des hôpitaux privés. Le chômage, officiellement à un taux de 25%, est sous-évalué. Il y a toujours plus de meurtres perpétrés et de plus en plus de tentatives de meurtres, de vols à main armée et de cambriolages. On espérait alors que le cas de Pistorius démontrerait que la Justice fonctionne et que l’on pourrait ainsi entraver la violence qui sévit.

 

Très vite, alors, on passa du meurtre à la tragédie accidentelle, car les cambriolages sont fréquents en Afrique du Sud! Le procès lui-même était une anomalie, car ce jour-là, se déroulèrent pourtant 39 homicides de plus. Les quelques meurtriers qui furent arrêtés ont été rapidement jugés. Pistorius, figure proéminente, méritait un procès à l’attention du Monde, présentant une procédure absolument correcte et prouvant que, maintenant, vingt ans après l’Apartheid, une femme noire pouvait diriger le procès d’un homme blanc!

 

L’intérêt n’était pas là. On apprit finalement que les preuves avaient été perdues, que des fonctionnaires avaient dérobé des objets de valeur et qu’on soupçonnait même l’enquêteur en chef. Ce n’était pas la première fois que la lumière était faite sur l’incompétence de la police. La criminologue Liza Grobler avait déjà écrit, dans une enquête sur la corruption dans la police, qu’on enquêtait pour meurtre, viol et autres délits sur environ 500 fonctionnaires. Celle-ci note l’absence de lutte contre la corruption dans le pays, en parallèle avec l’aberration de la présence d’autant de politiciens dans la police, jusqu’à son plus haut rang.

 

Ce n’est pas un hasard si la criminalité a grimpé sous le président Zuma, lequel fit scandale en agrandissant sa villa aux frais de l’Etat. Ainsi, lorsque Masipa acquitta Pistorius de l’accusation de meurtre, un rapport était rendu au parlement. Beaucoup plus important pour la vie politique de l’Afrique du Sud, il ne figurait à la une d’aucun journal, de même que, le jour d’avant, on avait dissimulé quelque part au milieu des journaux, une lettre de Zuma à la médiatrice d’Etat.

 

La commission d’enquête décréta que quinze collaborateurs du ministère des constructions et l’architecte Minenhle Makhanya étaient responsables du manquement concernant les quelques 250 millions de Rand en nature dont aurait bénéficié Zuma ; dans un cas bien particulier où le contractant avait été particulier et où ils s’étaient sentis obligés d’exaucer les souhaits du président. L’architecte fut condamné à verser des dommages et intérêts pour 155 millions de Rand, mais, à la colère de la médiatrice, le président ne fut coiffé d’aucune faute.

 

Celle-là finit par être accusée d’être un agent de la CIA, avant que ses deux plus hauts collaborateurs ne démissionnent et que l’on ne suggère partout qu’ils aient été intimidés. Tel fut l’arrière-plan politique au procès Pistorius. Alors qu’on cherchait un bouc-émissaire et qu’il était clair que rien n’allait se passer, on s’indigna beaucoup trop pour voir ce qu’il se passait hors de la salle du jugement.

 

Thomas Mazzone,  le 21 octobre 2014

Un commentaire

  1. Posté par john Simpson le

    C’est la première fois dans les médias que je lis une analyse de qualité à propos du procès Pistorius. Bravo Thomas Mazzone!

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