La francophonie tue-t-elle le français?

Anne Lauwaert
Ecrivain belge

 

Quand, au début des années ’60, j’étais au Lycée Royal de Forest à Bruxelles, il n’existait qu’un seul français, « le » français, celui de l’Académie Française et il n’y avait qu’une seule prononciation du français, celle décrite dans “Comment on prononce le français” par Philippe Martinon.

Nous y avons appris que “restaurant” se prononçait « restorant »; « Paul » se prononçait  « Pol » contrairement à  « Paule », etc.

Je suis certaine qu’à l’époque, dans mon lycée bruxellois, nous pratiquions un meilleur français que celui des Parisiens, grâce  à nos dictées, nos dissertations hebdomadaires et à nos prof. puristes et intransigeants.

Enfin,  Bob Dylan vint nous dire que le monde changeait… et en effet…

Même Stéphane Bern, qui présente “Secrets d’Histoire”, une des rares émissions intéressantes au monde, ne prononce pas “lundi” mais « laindi”… et Patrick Simonin avec ses “goshje” au lieu de “gauche” est insupportable...

Comme technicien du son on n’engage pas de  sourd, ni d'aveugle comme technicien de l’image, pourquoi n’exige-t-on pas que les techniciens de la parole parlent convenablement ?

Ces gens qui maltraitent le français sont cependant censés répandre la francité dans le monde grâce à  TV5 monde … eh bien, pour le coup, c’est raté ! Le professeur Cerquiglini (au joli nom italien) de « merci professeur » devrait expliquer à ses collègues comment on prononce cette belle langue qu’ils estropient…

Les temps ont changé…   Mon français s’est bâtardisé suite à la pratique simultanée de l’italien, dialecte tessinois, flamand, dialecte flamand, anglais, allemand… même switserdutch… Je confesse à regret que la littérature française m’est devenue ennuyeuse depuis que j’ai découvert les Américains… oui, j’ai honte mais c’est comme ça… Mon français n’est plus le français de l’Académie, mais un méli-mélo, un potpourri… qui m’aurait fait horreur il y a 50 ans…

Aujourd’hui, quand je demande au correcteur de mon ordinateur de corriger un de mes écrits en français, lui me demande quel français me ferait plaisir? Le français de Belgique ? du Camerun (sic), Canada ? République Démocratique du Congo ? Côte d’Ivoire ? France ? Haïti ? Inde Occidentale ? Luxembourg ? Mali ? Maroc ? Monaco ? Réunion ?  Sénégal ? Suisse ? …

Eh bien voilà : « le » français n’existe plus… il a été régionalisé par la francophonie… Bien sûr les langues régionales et les patois sont des richesses à préserver jalousement, mais quand on parle du français … il n’y en a qu’un seul, sinon je m’insurge car en démocratie ou tous, ou personne !

Le français belge ? qu’est- ce que cela signifie ? le français parlé en Wallonie ? qui n’a rien à voir avec le français parlé à Bruxelles ?!

Etant donné que Bruxelles est la capitale de la Belgique, mais aussi de l’Union Européenne et des choux et des moules-frites et du stoump et j’en passe et des meilleures… j’estime légitime d’exiger que le français bruxellois c.-à-d. le Brusselair, figure au nombre des français mondialement reconnus.

Ou bien on décide qu’il n’existe qu’un seul français, celui de l’Académie et de Philippe Martinon et de Bernard Cerquiglini et que tous les autres sont des dialectes, des patois, des idiomes très respectables mais ne sont pas le français,  ce qui revient à ignorer par exemple le Brusselair et à instaurer ainsi une discrimination inacceptable.

Anne Lauwaert, 20 avril 2014

 

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