La propagande politique n’a pas sa place à l’école (partie 2: l’immigrationnisme)

Stevan Miljevic
Enseignant

Les acteurs

On continue dans ce billet sur la voie de la politisation de l'école obligatoire. En fait, il n'est guère surprenant qu'on en arrive à de telles absurdités, le concordat HarmoS définissant la conférence des directeurs de l'instruction publique (CDIP) comme responsable de l'élaboration des standards de formation et les régions pour l'élaboration des objectifs concrets d'apprentissage. A ce stade, la Suisse romande est représentées par la conférence intercantonale d'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). L'ensemble du plan d'étude romand est donc téléguidé par des institutions politiques! Inutile de chercher beaucoup plus loin pourquoi l'école se politise autant que cela.

Passons outre le fait qu'il serait intéressant de se demander si la CIIP a une réelle légitimité pour représenter la région romande qui ne l'a, à ma connaissance, pas désigné comme tel. C'est un travail de juriste dont je ne suis pas capable mais qui mériterait d'être creusé. S'il s'avère que la CIIP est, comme je le pressens, une instance créée par le haut et donc sans aucune légitimité démocratique, on pourrait directement mettre le plan d'étude romand à la poubelle et tout recommencer. Sans doute serait-ce salutaire, mais on n'en est pas là encore.

Une fois ce cadre extrascolaire fixé, il faut encore, pour que le Valais puisse disposer d'une séquence d'enseignement, qu'un enseignant s'attelle à la tâche. David Evéquoz s'est généreusement proposé pour le faire.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas David Evéquoz, il est membre du comité de la section du parti socialiste sédunois (1). Je précise d'emblée qu'il ne s'agit pas là d'un réquisitoire contre monsieur Evéquoz: je suis convaincu de son honnêteté et que ce n'est pas intentionnellement qu'il a présenté les choses de manière biaisée. L'ennui réside bien plus dans le fait qu'il est vraisemblablement tellement convaincu du bien fondé de sa manière de voir les choses qu'il ne se rend même pas compte qu'il n'est pas neutre et que son travail est en fait très orienté. Celui qui est à blâmer, ce n'est pas celui qui a réalisé un tel travail, mais les instances qui ont choisi un tel sujet et celles qui ont donné leur aval pour que ce travail (réalisé sous l'ère Claude Roch, cela va sans dire) soit officiellement distribué tel quel dans les écoles du canton. Ne me reste dès lors plus qu'à préciser que cette séquence s'adresse aux élèves de deuxième année du cycle d'orientation, comme la séquence déjà critiquée sur les changements climatiques. Maintenant que le décor est planté, on va pouvoir entrer dans le feu de l'action.

 

Le formatage par Education21

La séquence démarre par un questionnement sur les raisons des migrations, à savoir la misère, la guerre, le travail et autre recherche d'un plus grand confort. Rien de bien méchant en somme. Sauf que rien n'est fait pour aiguiller les élèves sur le fait que les prestations sociales de certains états peuvent jouer un rôle d'aspiration flagrant. Mais bon, ne chipotons pas. En revanche, il ne me semble pas exagéré de dénoncer l'utilisation de certains textes comme "L'exil en noir et blanc" (2) dans lequel un homme ayant quitté son pays natal, le Burundi, pour les causes bien évidentes et atroces que l'on connaît, débarque en Suisse pour en vue d'obtenir l'asile. Il faudra un jour m'expliquer comment un malheureux finit par demander l'asile chez nous alors qu'il doit traverser au préalable la moitié du globe. Certes, le texte donne quelques explications (sur les pays limitrophes notamment), mais quand je lis que ce monsieur a décidé de venir en Suisse après avoir entendu que Genève est la ville "où la Convention internationale sur la protection des réfugiés avait été signée", j'ai de forts doutes. Mais admettons. Je relève également l'extrait suivant survenant lorsque ce monsieur arrive à Vallorbe pour poser sa demande d'asile:

Il me semble assez évident qu'il est fait mention ici d'une écrasante majorité de requérants d'asile déboutés mais traités de "victimes" par l'auteur du texte. J'en déduis donc que les renvois sont injustes dans leur écrasante majorité! Est-ce bien là le rôle de l'école?

Certains me diront que c'est marginal dans le texte utilisé. Je le concède volontiers. Ceci étant dit, il me parait opportun de signaler que le texte en question (comme un autre d'ailleurs) sont issu du site globaleducation.ch dont le but est l'éducation "à la citoyenneté mondiale", ce qui est un non-sens puisque la citoyenneté est par définition rattachée à la notion d'Etat et qu'il n'existe pas d'état mondial. Doit-on en déduire que le but est d'en créer un? Ce site est rattaché à une organisation dénommée education21 (3) qui a fait de ce but un de ses chevaux de bataille. Comment les cantons et la confédération ont-ils pu donner un mandat à une organisation qui, sous couvert de développement durable, vise (entre autre) un tel but? (4) Et comment cette organisation a-t-elle le culot de prétendre avoir reçu mandat de la société civile également? A ma connaissance, on ne m'a jamais consulté. Et vous?

 

Encore et toujours la traite négrière

Mais ne nous égarons pas plus et revenons-en à nos moutons. Après cette introduction déjà discutable se profile une deuxième partie traitant d'éléments de démographie. Les éléments à étudier sont plutôt intéressants, rien à redire. S'ensuit un troisième chapitre sur les migrations dans le monde commençant par un petit exercice concernant certains éléments historiques sur les migrations. On y trouve, entre autres, l'extrait suivant au sujet de la traite négrière:

Voyons ce que dit Bouda Etemad, professeur d'histoire aux universités de Genève et Lausanne de cette affirmation:

Les récents chiffres globaux avancés par David Eltis au début des années 2000 restent dans les fourchettes de Curtin: 9,6 millions d'esclaves à l'arrivée et, avec une mortalité moyenne durant la traversée de 13,2%, 11,1 millions au départ. La plupart des spécialistes s'accordent aujourd'hui sur ces ordres de grandeur; contesté seulement par une minorité d'historiens, notamment africains, pour qui le chiffre des départs pourrait s'élever à 15, voire 19 millions d'individus. (5)

Ainsi donc, même les chiffres les plus astronomiques concernant l'embarquement des esclaves en Afrique par des historiens sont inférieurs aux chiffres totaux de déportation articulés par monsieur Evéquoz. Alors ne parlons même pas de l'estimation de 60 à 100 millions! En revanche, on remarquera que le silence le plus complet est de mise sur la traite africaine réalisée les musulmans, pourtant considérée comme la plus importante de toutes comme le démontre le tableau suivant:

Ne jetons pas la pierre à monsieur Evéquoz. Tout le monde n'est pas historien, loin s'en faut, et les sources du web sont ce qu'elles sont. Remarquons simplement que lorsque des données sont mal traitées, elles le sont systématiquement dans le sens d'une plus grande auto-culpabilisation. Etonnant non?

 

Schwarzenbach à la rescousse

La suite du travail semble assez correcte. Tout du moins jusqu'à ce qu'on en arrive au chapitre sur l'immigration en Suisse. Il fallait, en effet, bien arriver à ce sujet hautement politique et ne pas s'arrêter simplement à des considérations globales sur les migrations.

Le point A de ce chapitre s'intéresse aux raisons pour lesquelles on vient en Suisse. Ici également, aucune remarque sur l'effet de pompe aspirante que peut jouer notre système social. Ceci dit, il est vrai que personne ne peut se pointer ici et bénéficier immédiatement de ce genre de prestations. N'insistons pas. La suite est somme toute assez intéressante et bien ficelée jusqu'à ce qu'on en arrive à une section dénommée "Passé-Présent". Là, l'élève va être confronté à ceux qu'on appelle les xénophobes par le biais de documentaires vidéos de l'époque Schwarzenbach.

On décèle immédiatement un premier problème: le fait de traiter des xénophobes en parallèle avec les initiatives Schwarzenbach contribue à créer un amalgame entre les deux. L'élève va donc être incité à croire qu'un xénophobe aujourd'hui est quelqu'un qui se situe dans la même mouvance que l'Action Nationale d'époque. Or, ces initiatives fixaient un taux plafond d'étrangers en Suisse et si elles avaient été acceptées, il aurait fallu expulser l'ensemble des étrangers surnuméraires, alors que les initiatives xénophobes d'aujourd'hui, se contentent de vouloir limiter l'immigration. C'est un peu comme si, pour illustrer le cas dans un sens contraire, on avait pris un reportage sur les terroristes des brigades rouges pour illustrer l'idée de l'internationalisme et de la suppression des frontières!

Outre ce premier aspect, l'amalgame est clairement fait un peu plus loin. Il est demandé, sur la base toujours de ces reportages vidéos, de dresser la liste de ce qui est reproché aux étrangers d'alors, les Italiens.

Voilà ce que le document pour les enseignants donne comme réponses possibles:

Et de surenchérir en ajoutant:

Ainsi donc un xénophobe est aujourd'hui encore quelqu'un qui pense que les étrangers puent et sont paresseux notamment. En revanche pas un mot à ce niveau sur la pression à la baisse sur les salaires et sur l'augmentation du taux de chômage désormais admise par le secrétariat d'état à l'économie (6) et (7). Ni d'ailleurs sur la pénurie de logements ou l'augmentation des loyers créées par la surpopulation. Je passe sur la surcharge des transports et infrastructures publiques. Bref, l'argumentaire prêté aux xénophobes est largement incomplet et recèle des perles de racisme non acceptables. Alors certes, on est obligé de simplifier un minimum, mais dans ce cas qu'on m'explique pourquoi on a gardé les arguments les plus détestables et fait l'impasse sur ceux qui ont une certaine envergure. Il va de soi que ces manques flagrants ne seront pas comblés non plus dans la partie finale du dossier servant de synthèse conclusive.

 

Des liens ahurissants

Nous allons maintenant entrer dans la partie la plus époustouflante du dossier. Tout d'abord, un petit texte expliquant que l'économie a besoin de migrants quoi qu'on puisse penser de l'immigration. Ce qui n'est pas faux en soit. Le petit souci est le déplacement systématique de la véritable question qui n'est plus depuis belle lurette (contrairement à ce que laisse penser le dossier) "pour ou contre l'immigration", mais "combien d'immigration". Mais l'amalgame est tellement plus facile et efficace!

S'en suit un lien absolument incroyable:

Donc en gros, c'est soit UNIA (vu que le lien mène sur une campagne du syndicat), soit Schwarzenbach. On aurait pu aller encore un peu plus loin en parlant carrément de Mussolini ou de Hitler, mais avouez qu'en matière de manichéisme c'est pas mal! Puisqu'on est sur le sujet de Schwarzenbach, je regrette qu'il n'ait pas été fait mention des arguments des opposants à ces initiatives. Je suis prêt à parier qu'une partie de ceux-ci visaient à rassurer la population en faisant la louange des quotas annuels. Mais bien entendu, cet aspect-là est dérangeant pour ceux qui veulent voir le monde en noir et blanc.

Passons plus loin. L'avant dernière partie du dossier traite des préjugés. Toute une série d'affirmations concernant les requérants d'asile sont proposées:

Le document enseignant invite le professeur à aller sur le site de la forteresse.ch pour vérifier la validité de ces dires:

Il s'avère que le site en question n'est rien d'autre que le site promotionnel d'un des films de ... Fernand Melgar, activiste gauchiste plus que reconnu! On imagine aisément la scientificité et la neutralité des affirmations qu'on peut y trouver. Petit florilège:

Donc puisqu'il n'y a "que" une personne sur 100 dans notre pays qui est intégrée au processus d'asile, il faut combattre l'affirmation selon laquelle il y a trop de réfugiés...

Effectivement, ce ne sont pas plus de 90% des requérants qui sont de faux réfugiés puisque 15% obtiennent le droit d'asile. Ne reste donc que 85% de faux réfugiés potentiels. Melgar crée un amalgame plus que douteux en associant les admissions provisoires à de vrais réfugiés: une admission provisoire concerne tout aussi bien celui qui est vraiment persécuté (mais par une guérilla et pas un état) que celui qu'on ne peut pas renvoyer parce qu'il n'y a pas d'aéroport disponible dans son pays. La part de vrais réfugiés là dedans n'est donc pas quantifiable. La seule chose qui est sûr c'est qu'entre 60 et 80% des requérants ne sont pas de vrais réfugiés. Ce genre de stratagèmes peu honnêtes fourmillent sur le site de la forteresse. Mais est-ce vraiment étonnant?

A propos de Melgar, signalons encore que l'auteur de la séquence propose d'éventuels prolongements possibles par le visionnage de ses films !

Enfin, pour clore ce chapitre sur les préjugés, un certain nombre d'affirmations doivent être validées ou non par les élèves:

L'enseignant est invité à donner un coup de pouce aux élèves à y répondre par le biais des liens suivants:

Le premier de ces liens tend à montrer que les étrangers rapportent plus au pays qu'ils ne coûtent parce qu'ils contribuent largement aux caisses AI et AVS. En revanche aucun coût global n'est envisagé, on passe sous silence complètement toute la croissance du secteur étatique nécessaire à l'absorption de ce flux migratoire, les frais sécuritaires et j'en passe. Pas un mot non plus sur l'alourdissement des charges AVS dans le futur: certes les étrangers contribuent largement à payer les AVS actuels, mais qui paiera les leurs? Il semblerait que la question ne soit pas encore réglée et qu'une étude allant dans ce sens a été demandée. (8) Il s'agit donc d'un domaine où il ne semble pas y avoir de réponse définitive.

Le deuxième lien s'attaque à l'idée de la surreprésentation des étrangers dans les prisons. Ou disons plutôt qu'il tend à montrer que si les étrangers sont plus nombreux dans les prisons, ce sont surtout des étrangers n'ayant pas de permis de séjour au moment de leur arrestation qui font lourdement penchés la balance. Mais sont-ils exempts d'avoir violé la loi oui ou non? Et qui paie les frais d'emprisonnement?

 

Conclusion

Il me semble qu'il y a assez d'éléments démontrant que ce support de cours n'est pas neutre et incite largement les élèves à penser d'une certaine manière, ce qui est le contraire de l'esprit critique qu'on est en droit d'attendre de l'école. Je réitère mon affirmation selon laquelle l'auteur de cette séquence n'est pas à blâmer, il a vraisemblablement fait du mieux qu'il a pu selon ses propres conceptions et connaissances, sans même se rendre compte qu'il faisait oeuvre de propagande. D'ailleurs, pour tout dire, j'ai beaucoup de doutes sur la possibilité de traiter de tels sujets d'une manière réellement impartiale. Si on veut éviter ce genre de problème, il faut se rendre à l'évidence: l'école doit arrêter de se mêler de politique.

Stevan Miljevic

http://stevanmiljevic.wordpress.com/

1: http://www.ps-sion.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=60&Itemid=50

2: http://www.globaleducation.ch/globaleducation_fr/resources/MA/Chameau_pp_119-125.pdf

3: http://www.education21.ch/fr/home

4: http://globaleducation.ch/globaleducation_fr/pages/HO/HO_Al.php

5: Bouda Etemad, "De l'utilité des empires, colonisation et prospérité de l'Europe", Armand Colin, 2005, p.99

6: http://www.lesobservateurs.ch/2013/11/26/immigration-linitiative-de-ludc-est-elle-xenophobe/

7: http://www.seco.admin.ch/dokumentation/publikation/00008/00022/05293/index.html?lang=fr

8: http://www.lematin.ch/suisse/L-UDC-sattaque-a-lAVS-des-travailleurs-etrangers-/story/17328364

Voir encore

La propagande politique n’a pas sa place à l’école (partie 1)

Un commentaire

  1. Posté par JeanDa le

    Bonjour M.Miljevic,
    Si vous dites « l’école doit arrêter de se mêler de politique », comment la gauche va-t-elle maintenir et développer son électorat ?

Et vous, qu'en pensez vous ?

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