11 ans, un scandale mondial et la pression du gouvernement italien plus tard, le Ministère public valaisan se décide enfin à exécuter les mesures d’instruction que commandait la plus élémentaire logique.
Les Observateurs vous l'annonçait il y a quelques jours, le Ministère public valaisan semble enfin décidé à rendre la justice et à envisager une autre piste que celle du chien sadique, repliant soigneusement les vêtements de sa victime après lui avoir maintenu la tête sous la neige d'une main ferme pendant de longues minutes. Quitte à noyer l'affaire, autant dire que le chien avait la rage. Une version difficilement défendable, mais qui a pour avantage de dédouaner l'Etat de la lourde charge d'indemniser Luca Mongelli, relevé gravement handicapé de son agression. En effet, du fait du chien, les propriétaires, soit les parents de Luca, sont responsables. Du fait d'un inconnu, c'est la Loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) qui prend le relais. Dépenser le moindre centime pour un fils d'immigré... pensez donc !
"Quérulents"
Quiconque a déjà eu à faire à la justice valaisanne sans être l'heureux dépositaire de la carte d'un grand parti majoritaire, est coutumier d'un principe immuable: Si, après avoir eu l'outrecuidance de se plaindre, l'on n'est pas satisfait de la première décision, souvent rendue, comme c'est le cas ici, sans considération des demandes d'instruction, et que l'on a le malheur de faire recours, l'on est définitivement classé comme "quérulent", c'est le mot qu'ils emploient à titre de synonyme d'hostile à leur vision de l'ordre établi. Attendre une version cohérente de la justice, surtout dans les cas graves, c'est être forcément marginal, chicanier, asocial.
C'est pour cela que, sans la moindre considération pour la décennie de souffrances et d'angoisses qu'ils ont vécu, le procureur général Nicolas Dubuis (photo) se permet d'entamer sa réponse aux parents Mongelli par une pleine page de reproches sur la validité de la première audition du petit frère de Luca, Marco, témoin longtemps silencieux du drame vécu par son frère. Les parents demandent de pouvoir profiter de dispositions entrées en vigueur huit mois après la première audition. La demande n'a rien d'extraordinaire, mais en Valais, c'est la norme, contester ce qui peut fonder la conviction ou le jugement de l'un de ces hauts fonctionnaires, c'est déjà se rendre coupable d'une faute. Ceci étant dit, ne pas admettre que la mémoire traumatisée d'un petit enfant puisse prendre un certain temps à éclore (1), refuser encore de considérer qu'il est facile de faire dire ce que l'on veut à un enfant qui n'a pas été encadré selon les dispositions prévues par le droit actuel ("c'est le chien n'est-ce pas ? Hein, c'est le chien ?"), c'est se résoudre à ne pas aller chercher très loin ce qui constitue la "libre appréciation" du juge.
Les parents Mongelli ont-ils le toupet d'espérer voir cette affaire un jour conclue - non pas débarrassée, mais conclue - le procureur Dubuis les reprend sans ménagement:
"J’ai pris note de la façon dont vous entendez que l'affaire soit "conclue", ainsi que de vos arguments.
Ce n’est cependant que lorsque le ministère public estimera que l’instruction est complète, ce qui n’est actuellement pas le cas, qu’il vous informera de la clôture prochaine de l’instruction et de la façon dont il entendra y mettre un terme."
La vérité est accessoire, le Ministère public décidera de tout, puis vous fera savoir... Qu'en était-il de l'instruction il y a 11 ans ? Faut-il comprendre que le Ministère public reconnaît lui-même un manquement dans le bouclage de l'enquête ? Et si le peuple italien au grand complet n'avait pas crié sa protestation, le Ministère public parlerait-il de même ?
A l'abri
Et ledit Ministère de battre le rappel des experts pour les confronter aux rapports sans concession de leurs homologues italiens. La thèse du chien n'étant plus soutenable, l'on a déjà l'excuse toute trouvée: "l'évolution de la science"; les journalistes n'y verront que du feu. L'on jettera encore un oeil aux radios pour déterminer si le chien a porté un uppercut du gauche ou du droit au visage du gamin. Une chose amusante au passage, ça fait dix ans que ça dure, mais les parents Mongelli ont dix jours pour se déterminer sur ces mesures; il ne faudrait pas faire attendre le Ministère...
Le Prof. Patrice Mangin, qui se dit "surpris" des oublis de certains de ses collègues l'ayant précédé, donne déjà des signes, sinon de détresse, du moins d'une très forte envie de se mettre à l'abri, le cas échéant où l'évolution de la science ne correspondrait pas tout à fait à celle de la justice dans son acception valaisanne:
"A cet égard, je voudrais rappeler que nous n’avons jamais évoqué la notion d’agression ou d’attaque du jeune Luca par son chien. En revanche, nous avons seulement évoqué comme scénario possible une interaction excessive probablement de type ludique du chien avec l’enfant pouvant aboutir à l’épuisement physique de la victime voire à une hypothétique asphyxie par enfouissement de la tête maintenue plaquée contre la neige par le poids de l'animal."
Rocky, jeune bâtard joueur et ne tenant pas en place, aurait froidement maintenu la tête de son jeune maître sous la neige pour l'étouffer. En revanche, les experts consultés n'ont pas pu dire avec certitude si Rocky avait esquissé un rictus de satisfaction malveillante en retirant ses gants de cuir noir sur fond de musique angoissante.
Et de blinder son argumentation:
"A aucun moment, nous n’avons émis l’hypothèse d'un déshabillage de l’enfant par le chien comme cela a été avancé"
L'enfant s'est donc déshabillé lui-même, pour ne pas abîmer ses vêtements, avant d'être agressé (ou pas) par son chien; le cher petit...
Enfin, l'évidence d'une morsure à la fesse droite, sans trace de pénétration punctiforme qui pût faire penser à des canines animales, est loin d'être avérée, du moins sur les photographies que nous avons pu consulter.
L'on utilise tous les ressorts du conditionnel pour ne pas finir au ban de sa profession en cas de preuve flagrante, mais l'on ne se prive pas de relancer, sous le couvert de l'hypothèse, une théorie des plus abracadabrantes. Il n'est pas dit que ce climat de peur généralisée, mêlé à l'orgueil blessé de la justice valaisanne, serve en définitive la seule cause qui compte, celle de la vérité.
Lettre du Ministère public du 17 avril 2013
Rapport du prof. Mangin du 14 mars 2013
(1) Alors même que le peuple suisse vient de l'admettre pour les victimes d'actes pédophiles en inscrivant l'imprescriptibilité dans le code pénal.
http://www.lesobservateurs.ch/wp-content/uploads/2013/04/Mangin.bmp
Merci pour cette analyse
Nico