Professeur à HEC Lausanne, Philippe Bacchetta (photo) livre son anayse sur la débâcle de certains pays de la zone euro. Selon lui, il faudra des décennies pour qu’un État comme la Grèce puisse se relever. Interview.
Les années à venir s’annoncent orageuses pour l’Union Européenne. Les moins bons élèves tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande tirent l’ensemble de la communauté vers le bas. Et les plans d’austérité imposés par ces gouvernements n’augurent pas une reprise nette de l’activité économique à court terme. Quant à la Suisse, il est probable qu’elle entre prochainement dans une « petite récession », dixit ce spécialiste d’économie politique.
- Pourquoi les pays européens appliquant un plan d’austérité ont-ils vécu au-dessus de leurs moyens durant plusieurs décennies ?
Plusieurs décennies, je ne suis pas sûr, mais il est clair que dans les années 2000, certains pays dépensaient trop, car leurs perspectives de croissance étaient plus fortes que prévues. C’était le cas pour l’Espagne et le Portugal. Quant à la Grèce, c’est différent car les dirigeants ont falsifié les chiffres et c’est davantage le système politique qui est en cause. Pour l’Espagne, les observateurs n’avaient pas l’impression que l’État dépensait trop, mais la crise a révélé que des engagements économiques trop importants ont été pris.
- Quel type d’engagements ?
Au niveau des finances publiques, les autorités ont investi dans des infrastructures qui étaient basées sur des prévisions de croissance très élevées. Il y a par exemple le cas célèbre d’un aéroport à Ciudad Real (à 200 kilomètres au sud de Madrid), qui est fermé depuis quelques temps. Depuis un bon moment, plus aucun avion ne décollait. Cet aéroport a été construit en pensant qu’il y aurait un grand développement. Beaucoup d’argent a été injecté en raison des prévisions qui se sont avérées fausses. Toute une série de dépenses ont été basées sur des recettes prévisibles et finalement ces recettes ne sont jamais venues, à cause de la crise. Le déficit a subitement explosé. Il y a eu aussi les garanties pour le secteur bancaire, qui ont drastiquement pesé sur les dépenses étatiques, une fois la crise arrivée. Le système de retraite, de protection sociale est également devenu plus généreux, car les dirigeants pensaient que tout irait bien.
- Qu’est-ce que ces plans d’austérité vont-ils engendrer pour les classes moyennes ? Le niveau de vie va-t-il progressivement baisser en Europe ?
Ça dépend des pays. Les classes moyennes des pays tels que le Portugal, l’Espagne, la Grèce et l’Irlande vont connaître une baisse du niveau vie. Dans ces pays, les salaires baissent dans la fonction publique, mais également dans le privé, bien que plus légèrement. Il y aura également une augmentation du chômage. Et dans les pays moins touchés, tels que l’Angleterre, la France ou l’Allemagne, je ne pense pas que l’on puisse parler d’une baisse du niveau de vie. Il s’agit davantage d’une stagnation, due à une faible récession.
- Comment ces pays en difficulté peuvent-ils rebondir ?
Il faudra du temps et cela variera d’un pays à l’autre. Pour la Grèce, des décennies seront nécessaires, car les dirigeants doivent restructurer toute leur économie. En Espagne et au Portugal, ça prendra aussi de nombreuses années, car ils doivent aussi réorienter leur économie, trop axée sur la construction. Ces derniers ont des problèmes de compétitivité et ils ont été dépassés par les pays asiatiques, avec lesquels ils sont en forte concurrence. Ils devront donc abaisser leurs salaires, à l’instar de l’Estonie qui a su s’adapter. L’Irlande aussi, mais dans une moindre mesure. Pour éviter des baisses de salaires, les pays du Sud de l’Europe devront augmenter leur productivité. Et pour l’accroître, des réformes structurelles sont requises.
- Mais si ces États font appliquer des plans d’austérité en diminuant leurs dépenses, comment peuvent-ils remettre la croissance sur de bons rails ?
Des mesures structurelles peuvent se faire, malgré l’austérité. Il faut des réformes en profondeur et ils ne peuvent pas couper partout. Il faut revoir les priorités et l’augmentation de la productivité est nécessaire, afin de relancer la consommation et baisser le chômage.
- Quid de l’économie verte ? Peut-elle se profiler comme une aubaine pour les pays en crise ?
C’est une piste, mais elle net peut pas couvrir l’ensemble du système économique, bien qu’elle puisse permettre à une frange des travailleurs de se recycler. A long terme, elle prendra plus de poids et représentera un produit intéressant à exporter ou à utiliser sur le sol national.
- Au niveau de l’Union Européenne, faites-vous partie de ceux qui estiment qu’un renforcement de la gouvernance économique serait positif ?
Oui, il faut un système plus fort avec davantage de centralisation notamment sur le plan financier. L’Europe a besoin d’une régulation plus homogène, d’une discipline plus stricte dans le secteur publique, d’une mise en place d’une véritable politique macro-économique. Il serait en effet idéal d’avoir une coopération active des politiques macro-économiques entre les pays membres. Et lorsqu’une relance est nécessaire, cela permettrait d’agir ensemble, plutôt que d’aller chacun de son côté.
- Aurait-on pu éviter le désastre grec, si un tel système régulé et centralisé avait été mis en place plus tôt ?
Oui, car les actions auraient pu être entreprises en amont. Le problème de la Grèce n’est connu que depuis deux ans. Avant, les analystes ne possédaient pas les bons chiffres sur sa situation réelle et l’intervention a pris beaucoup de temps. Les dirigeants français et allemands ont traîné les pieds et personne n’a osé prendre des décisions suffisamment tôt, ceci pour des raisons électoralistes. Avec une institution forte, l’hémorragie aurait pu être stoppée beaucoup plus tôt.
- Cette institution serait composée de différents membres des pays européens. Faudrait-il à sa tête un leader fort habilité à trancher, ou alors un système collégial à l’image de notre gouvernement ?
Je pencherais pour un système de type collégial, car trouver une forte personnalité n’est pas chose aisée. Quand on observe le fonctionnement de la Banque Centrale Européenne, il y a un président, mais avec un conseil derrière. Si à l’inverse on opte pour une personnalité forte, il est indispensable qu’elle ait un soutien et une légitimité démocratique.
- La montée en puissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) est-elle finalement une occasion pour l’Europe de se restructurer et de retrouver sa compétitivité économique ?
Pour bon nombre de pays européens, cette poussée est dévastatrice en raison des parts de marché perdues. Quant à savoir si ces pays vont pouvoir réagir, toute la question est là. Je suis un peu pessimiste, car ça fait 20 ans que les pays du sud de l’Europe sont entrés dans l’Union Européenne en pensant que leur productivité allait croître. Et on n’a pas vu grand-chose. Il y a eu le boom de la construction et la recherche sur le développement a été délaissée. La recherche sera sans doute le moteur du renouvellement économique de ces pays. Les BRICS sont donc une menace pour les pays européens en difficultés.
« Pour des raisons électoralistes, personne n’a osé prendre des décisions »
« Le chômage augmentera en Suisse »
- Quelles sont les incidences des plans d’austérité sur la Suisse ?
Elles sont négatives. On observe déjà une baisse de nos exportations. Une petite récession est probable chez nous. Depuis plus d'un an, la Suisse n’exporte quasiment plus en Grèce et au Portugal. Heureusement que nos marchés principaux restent l’Allemagne et la France, donc tout dépendra de la profondeur de leur récession.
- Faut-il trouver des nouveaux marchés ?
Oui et c’est comme ça qu’on va se maintenir, en se tournant davantage vers les marchés en forte croissance. Mais la grande partie de nos échanges resteront européens, d’où l’importance des situations françaises et allemandes. Malheureusement, le chômage augmentera dans notre pays.
- A long terme, la Suisse se dirige-t-elle vers une diminution des prestations sociales de l’État ?
Ce n’est pas probable, du moins pour l’instant. Hormis le secteur de la santé, où les coûts vont continuer d’augmenter, le système n’est plus soutenable. Il y aura des coupes dans les prestations. Le système de santé a besoin de se restructurer.
- La caisse unique serait-elle le modèle à suivre ?
Je ne sais pas, mais ce qui est certain, c’est qu’il faudrait plus de restriction aux soins. Dans la pratique, les assurances ne contrôlent pas tout et il y a des abus. La caisse unique peut être efficace au niveau des frais administratifs. Mais si on continue sur cette voie, il pourrait se passer en Suisse ce qui est déjà effectif dans de nombreux pays : une liste d’attente toujours plus longue pour les soins et un accès de plus en plus limité avec l’assurance de base. Si on ne fait rien, les inégalités vont se creuser et il faudra se déplacer plus loin pour se soigner. Avec une augmentation annuelle de 5 à 10 % des coûts de la santé, imaginez où on se trouvera dans 50 ans. Le budget santé pourrait atteindre la moitié du revenu des familles.
- Au sujet de notre place financière, qui a perdu de son envergure notamment au détriment de Singapour, doit-elle se réinventer pour enrayer son déclin ?
Notre place financière n’a pas le contrôle de la situation, elle ne peut agir que sur sa réputation. Les vents et marées internationaux la dépassent. Tout un secteur des hedge funds s’est déplacé de Londres vers Genève et la région lémanique. Certaines institutions ont rencontré des problèmes en Angleterre et les fonds ont été transférés vers la Suisse, sans que cette dernière ne fasse quelque chose de particulier. Notre pays doit simplement continuer à soigner ses infrastructures et son environnement, propices aux entreprises. La réputation et la crédibilité du label suisse doivent être maintenues, c’est ce qui attire et continuera d’attirer les investisseurs de ce monde agité.
” Faut-il trouver des nouveaux marchés ?”
Evidemment !
Ces 2 dernières décennies, nous nous sommes focalisés sur le marché européen.
Pour pouvoir continuer à commercer- exporter- avec l’UE, nous avons signé des accords où nous nous sommes mis à genoux, voire couchés (voir l’exemple typique de nos renoncements avec l’accord dit du “principe de cassis de Dijon ).
On nous dit qu’il ne faut pas trop “énerver” l’UE sinon, elle va nous faire les gros yeux, nous sanctionner, voire peut-être même décider un embargo !
Or, notre balance commerciale avec l’UE est déficitaire ! Ce n’est donc pas avec nos proches voisins que nous faisons notre beurre mais avec le reste du monde avec qui nous commerçons et qui nous permet d’avoir une balance commerciale excédentaire.
Ne misons pas tout sur l’UE qui va nous entraîner dans sa chute! Une chute prévisible et prévue de longue date par les Cassandre que l’on n’a pas voulu entendre et que l’on continue à mettre à ban !A vouloir sauver l’euro à tout prix c’est l’Europe tout entière que l’on envoie dans le mur!
” Notre pays doit simplement continuer à soigner ses infrastructures et son environnement, propices aux entreprises. La réputation et la crédibilité du label suisse doivent être maintenues, c’est ce qui attire et continuera d’attirer les investisseurs de ce monde agité.”
Voilà qui est bien dit.
Quand bien même notre secteur bancaire subit et subira encore la pression de la concurrence, un secret bancaire de plus en plus “assoupli”, les clients attachent une grande importance à la confiance, à la sécurité. Confiance qu’ils trouvent dans la qualité des conseils et des services, et sécurité qu’ils trouvent dans la stabilité politique. Autant d’atouts sur la plan international !