Madame Leuthard a annoncé en privé qu’elle abandonnera sa présente fonction à la fin de la législature actuelle. La réalité énergétique avance plus vite; notre ministre devra (s’)en rendre compte avant.
Dans sa prise position du 20 mai, economiesuisse tente de ramener la politique énergétique du Conseil fédéral sur le dur terrain des réalités. Il s'agit tout d'abord de l'illusion d'une réduction de la consommation d'électricité d'un tiers, soit de 21 térawattheures jusqu'en 2050 - ce qui pourrait compenser l'arrêt de toutes les centrales nucléaires et des 25 térawattheures correspondants. De plus, l'étude économique sur laquelle se base economiesuisse prédit une augmentation massive du coût de l'énergie. Bien entendu, la gauche - avec Christophe Darbellay en tête - critique vertement ce manque de vision, cet... obscurantisme de la branche économique.
Responsabilité vis-à-vis de l'emploi
Disons-le. La différence entre les organisations économiques - que sont economiesuisse et l'Union suisse des arts et métiers (USAM) - et les panégyristes de la décroissance énergétique réside dans la responsabilité que ces organisations portent pour le maintien des places de travail dans notre pays. Ce sont elles qui créent des places de travail et non pas les intellectuels du PS et les prêcheurs du nouveau centre gauche. Faut-il rappeler que 70% de l'électricité consommée en Suisse l'est dans l'industrie, les PME, l'agriculture, les services et les transports, bref là où elle contribue de manière essentielle à la productivité du travail, donc à la compétitivité de notre économie. Pour les 30% restants, les ménages, on veut nous faire croire qu'un doublement du prix, ce n'est qu'une bagatelle pour un budget familial. Peut-être. Mais pas pour le boulanger local, ni pour le petit fabricant jurassien, ni pour l'industrie pharmaceutique genevoise.
Maintien de la disponibilité énergétique
Encore plus que le prix, l'industrie et les PME s'inquiètent de la disponibilité de l'électricité. Le Conseil fédéral table ici sur une diminution de la consommation, une hypothèse farfelue qui va à l'encontre de toutes les observations faites sur le lien entre cette consommation et l'augmentation du produit intérieur brut (PIB), et qui de surplus ignore l'attrait et la part croissante de l'électricité dans le panier énergétique. En effet, il faut prendre garde de bien distinguer entre «énergie» et «électricité». L'énergie, c'est le tout: le pétrole, le gaz, la biomasse, et les copeaux de bois. L'électricité n'est qu'une des formes de l'énergie; en Suisse le 25 %. Il semble que l'énergie soit en passe de se découpler du PIB, alors que l'électricité le suit encore de près (un pour cent de plus du PIB = un pour cent de plus de consommation d'électricité). Une économie moderne a de plus en plus recours à l'électricité, car elle est propre, facilement utilisable pour accroître la productivité à l'usine et au bureau. On observe ça partout: par le remplacement de chauffages au mazout avec des pompes à chaleur, par le recours aux outils informatiques et par un rôle en augmentation dans les transports publics et privés.
Encouragement à la croissance européenne
Dans le Matin-Dimanche du 20 mai, Pierre-Marcel Favre analyse avec pertinence le débat du jour, celui de la croissance économique en Europe. Ignorant les sempiternelles leçons de l'institutrice Angela Merkel, l'Europe va probablement suivre la politique plus keynésienne de François Hollande, celle d'un encouragement à la croissance. L'auteur insiste à juste titre sur la nécessité de financer cette nécessaire croissance par l'épargne locale, et non pas par les prêteurs internationaux, afin de ne pas accroître l'endettement collectif. Il souhaite «… que les politiques n’aggravent pas la situation par des rêves de croissance irréalistes, financés par des dettes accrues». Changeant de fusil d'épaule, il rappelle aussi les théories utopistes prônées dans le temps par idéalistes et écologistes sur une décroissance économique jugée indispensable pour sauver la terre: «Et maintenant que la crise amène en Europe du Sud, cette fameuse décroissance souhaitée hier par les utopistes, cela effraie tous les partis!». En Suisse, pas tous les partis, pas ceux qui refusent de voir que la politique de décroissance énergétique du Conseil fédéral ne peut qu'engendrer une vraie décroissance économique.
Qualité plutôt que quantité
En fait – mais c'est là un débat plus vaste – on peut très bien concevoir une «croissance qualitative», plutôt que quantitative, dans laquelle le PIB augmenterait sans augmentation simultanée de la surface de bitume, du volume de béton et de flots de mazout. La conception et la distribution de nouveaux logiciels informatiques, par exemple, augmentent le PIB avec néanmoins une empreinte écologique limitée, une règle qui s'applique à une grande partie du secteur tertiaire, celui des services. L'électricité jouera un rôle central dans la croissance qualitative, pour autant qu'elle soit avantageuse et disponible par tous les temps.
Les deux piliers de l'économie suisse (dans une optique d'exportation) - le secondaire avec l'industrie et les PME, le tertiaire avec la multitude de services offerts par les grandes et petites entreprises - dépendent de manière vitale de la disponibilité d'électricité. C'est carrément aberrant et même irresponsable que le Conseil fédéral prenne l'initiative d'un «Plan décroissance énergétique 2050» sans même avoir consulté auparavant les milieux économiques et la branche électrique.
Madame Leuthard a annoncé en privé qu'elle abandonnera sa présente fonction à la fin de la législature actuelle. La réalité énergétique avance plus vite; notre ministre devra (s')en rendre compte avant.
Selon certains, les réserves de pétrole, au rythme de consommation actuel seront épuisées d’ici quelques décennies e.g. 30 ans, mais si l’on inclut la croissance économique probable des pays dits émergents, l’épuisement sera plus rapide. On peut espérer la découverte de nouvelles réserves qui changeront la donne, par exemple dans l’arctique et le gaz va gagner en importance. Parallèlement, des technologies telle que la fusion nucléaire pourrait fonctionner. Toujours est-il que la probabilité d’une augmentation du prix du pétrole est réelle, avec des conséquences variées, notamment sur le prix du transport des biens et une possible rerégionalisation des économies. En ce qui concerne l’environnement, il me semble douteux que les dites réserves d’énergies fossiles soit seulement suffisantes pour pouvoir l’endommager d’une façon radicale ou durable. Ce qui ne me semble pas clair, par contre, c’est le fonctionnement de l’économie mondiale une fois que l'”héritage” en énergies fossiles est complètement dépensé.
Deux nouvelles; une bonne et une mauvaise.
La bonne: Mme Leuthard retourne à sa chère étude.
La mauvaise: Seulement à la fin de la législature.