Compétence et sérieux sont nécessaires…
Ainsi Mme Doris Leuthard a dévoilé un peu, le 18 avril, le programme du Conseil fédéral pour sortir du nucléaire. Depuis le week end dernier la rumeur annonçait autour de 5 à 7 grandes centrales au gaz. Puis, surprise, le 18 avril, elle nous propose un menu dont le plat principal sera l'hydraulique, avec en accompagnement une forte réduction de la consommation d'électricité et un effort sur les nouvelles énergies renouvelables. A-t-elle fait marche arrière devant les réactions hostiles venues principalement du camp des partisans de la sortie du nucléaire?
Le mérite du programme basé sur plusieurs grandes centrales à gaz était d'être réalisable techniquement et supportable économiquement, sous réserve que la Russie ne ferme pas le robinet du gaz ou ne fasse pas monter les prix. Il n'était pas forcément souhaitable: l'article d'Olivier Grivat du 16 avril 2012 fait quelques mises en gardes justifiées.
Avec un programme basé principalement sur la diminution de la consommation d'électricité et sur les nouvelles énergies renouvelables on revient à un programme irréaliste, sans catalogue de mesures précis et sans coûts chiffrés. L'attrait de Doris Leuthard pour l'hydraulique n'y change rien: on sait depuis plus de 40 ans que le potentiel hydraulique de la Suisse est déjà exploité. On va même vers une perte de production de l'ordre de 4 à 5 milliards de kWh: à cause d'une modification de la loi sur la protection des eaux qui exige qu'un peu moins d'eau soit turbinée pour en laisser un peu plus dans les rivières (dispositions sur les débits minimaux, acceptée par une votation populaire malgré un référendum). Ces pertes représentent plus de 10% de la production hydraulique actuelle: c'est plus que ce que les éoliennes ou le solaire pourront fournir ensemble. Et même le pompage-turbinage n'y changera rien: il ne produit pas un seul kWh en plus, au contraire il en consomme.
La volonté politique : un stimulant puissant, le cas d'Apollo...
Bien des citoyens sont troublés et ont pris conscience qu'un programme, même séduisant, n'est pas forcément réalisable . Il peut n'être qu'un catalogue de voeux pieux. Et un programme réalisable n'est pas encore forcément souhaitable. Mais comment juger? Le citoyen est d'autant plus troublé que cette notion de faisabilité n'est pas qu'une question technique ou économique: on lui a dit que c'était aussi une question de "volonté politique". Il y a quelque chose de vrai la derrière: n'oublions pas que l'Académie des sciences anglaises avait il y a 130 ans environ solennellement affirmé que "jamais le plus lourd que l'air ne pourrait voler", prévision largement démentie par la suite par la technique, grâce à la volonté des hommes. Il y a aussi le fameux exemple, souvent cité à l'appui de la thèse de la puissance de la volonté politique, de Kennedy annonçant aux Américains que "dans 10 ans nous seront sur la lune". Et il l'a fait.
... avec des limites: le cas de la Smart
Oui, mais il y a aussi des contre-exemples qui doivent faire réfléchir: celui du projet de la Smart du regretté Nicolas Hayek par exemple. Lors du lancement du projet, M. Hayek avait annoncé vouloir réaliser en 5 ans une voiture électrique, avec 400 km d'autonomie et à moins de 15'000 Fr. Il n'a pas réussi, la Smart mise sur le marché a finalement gardé un moteur à essence ou aurait coûté beaucoup plus que 15'000 Fr avec un moteur électrique et l' autonomie souhaitée. Pourquoi cet échec qui a conduit d'ailleurs M. Hayek à sortir du projet? M. Hayek aurait-il été moins bon que M. Kennedy? Non ce n'est pas le cas et de loin: M. Hayek a prouvé de grands talents en matière de gestion de projets innovants et difficiles, en capacité de financement et en choix de spécialistes compétents. La raison est la suivante: le projet Apollo était déjà, au moment de l'annonce de Kennedy, à l'état de plans exécutables qui pouvaient passer au stade de réalisation dans les ateliers. Par contre au lancement de la Smart, M. Hayek ne disposait que d'un cahier des charges. Le développement technologique ne se laisse pas plier sans autre à la seule volonté politique, encore moins aux promesses.
Un cahier des charges ne fait pas encore un programme réalisable
Pour revenir à la sortie du nucléaire de Mme Leuthard, il faut bien voir qu'un programme avec beaucoup de centrales à gaz et un complément raisonnable d'énergies renouvelables et d'économies d'électricité est réalisable et chiffrable. Même s'il présente des inconvénients par rapport à une production nucléaire convenablement sécurisée: en particulier une augmentation de 30 % des émissions globales de CO2 suisses et une grande incertitude sur le prix du gaz. Par contre, un projet avec très peu de gaz, une forte réduction de la consommation d'électricité et une hausse massive de la production par des éoliennes et du solaire photovoltaïque, n'est pas un programme chiffrable et réalisable aujourd'hui, ce n'est qu'un cahier des charges, voire un catalogue de voeux pieux. C'est comme pour la Smart: on ne sait simplement pas faire une voiture électrique avec 400 km d'autonomie à moins de 15'000 Fr.
N'oublions pas: le risque concret que le CF fait courir avec un programme irréaliste d'approvisionnement en électricité est grave, il signifie à la fois pénurie et facture excessive.
La Confédération paye chère des études dont elle ne se sert pas
Expliquer plus à fond cette difficulté de remplacer le nucléaire à l'aide des seules économies et des nouvelles énergies renouvelables dépasse le cadre de cet article. L'institut Paul Scherrer (PSI) à Würenlingen, un excellent centre de recherche multi-énergies des Ecoles polytechniques a confirmé cette réalité par des études approfondies toutes disponibles sur Internet (voir en particulier le résumé sur http://gabe.web.psi.ch/pdfs/Energiespiegel_14f.pdf ). Ces rapports, payés par nos impôts, ont été demandés par l'Office fédéral de l'énergie (OFEN), et livrés. Curieusement ils ne sont jamais cités par Mme Leuthard. Ils n'ont jamais été critiqués, encore moins démentis. On préfère semble-t-il les ignorer. C'est une des réalités méconnues et regrettables du fonctionnement de l'administration fédérale: elle paye parfois, avec nos impôts, des études chères et de haute qualité scientifique, pour... ne pas s'en servir. L'explication est à chercher dans la politisation excessive des questions énergétiques. Des analyses scientifiques et objectives pourraient contredire certains a priori politiques. Et l'OFEN n'en est pas dépourvu..
Mme Leuthard dégage sa responsabilité et la reporte sur nous citoyens
Il y a d'autres points inquiétants dans les documents de la Confédération. Comment peut-on être aussi léger en disant qu'un des moyens de réduire la consommation d'électricité est l'isolation des bâtiments. En fait l'isolation thermique permettra une économie de mazout et de gaz, mais pas d'électricité. Parce que les maisons chauffées à l'électricité sont relativement peu nombreuses et ont déjà été soumises à des conditions sévères d'isolation. M. Kriezi, le père du standard Minergie, standard bien connu qui a contribué réellement à économiser beaucoup d'énergie dans le bâtiment le disait clairement: je ne crois pas à la réduction de la consommation d'électricité par l'isolation des maisons, j'ai trop inauguré de maisons Minergie qui certes économisent de l'énergie, mais dont la pompe à chaleur augmente la consommation d'électricité. De même on nous annonce qu'on ne prévoit qu'une grande centrale à gaz au départ et que cela dépendra du succès des efforts de chacun en matière de réduction de la consommation et de développement des énergies renouvelables pour que cette seule centrale suffise. En disant cela Mme Leuthard tombe le masque: elle reconnaît en clair qu'elle ne sait pas ce qui va se passer, et, surtout, qu'elle dégage toute responsabilité du CF si le scénario ne se déroule pas comme prévu pour la reporter sur l'insuffisance de " l'effort de chacun". Chacun c'est nous tous, nous sommes au moins avertis.
Compétence et sérieux seront nécessaires
L' élément positif de cet épisode est probablement que le programme de Mme Leuthard est assez mauvais pour que cela soit visible: beaucoup d'acteurs concernés devraient s'en rendre compte et réagir. Il est en tous les cas indispensable que nos décideurs politiques confient à des experts qualifiés l'analyse impartiale au plan technique, économique et environnemental des programmes plus élaborés qui devraient encore venir. Il y a des moyens de distinguer un programme chiffrable et réalisable d'un simple cahier des charges.
Une chance à saisir
Les faiblesses des propositions de Mme Leuthard sont une chance pour les partisans de programmes plus réalistes. Ils ne doivent pas laisser passer cette chance.
Vous êtes bien modéré et diplomate, M. Dupont, devant le magistral cafouillage issu des travaux de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et ce qu’en a fait le département fédéral DETEC de Mme Leuthardt, nous avons tout bonnement affaire à un défi aux lois de la physique: ils ont oublié les dérivées par rapport au temps: les horaires, les calendriers saisonniers des nécessités énergétiques et les calendriers industriels ! Ils ont aussi oublié qu’il faudrait, pour un avenir aussi lointain que 2050, prévoir la baisse des débits du pétrole et du gaz; sans nucléaire, le premier calcul montre que cela ne fonctionnera simplement pas …
Et pourquoi n’avoir rien dit sur l’effet d’hormèse de la radioactivité à faibles doses: il y a des seuils, la nocivité est largement autre que prétendu par le fraudeur scientifique Hermann Muller et ses successeurs; les gens qui veulent sortir du nucléaire par peur se sont fait posséder !
Re-bonjour, et merci pour votre réponse!
Il est en effet très intéressant de se demander quelle énergie utiliser pour le pompage-turbinage et comment l’acheminer jusqu’en Valais, cela soulève des problématiques auxquelles le conseil fédéral ne répond pas encore. Mais il faut peut-être laisser du temps au temps et attendre septembre et le début de la consultation du projet de loi pour analyser dans les détails la stratégie du conseil fédéral. Ce que Doris Leuthard a présenté la semaine passée, c’est à mon avis avant tout un programme politique, qui met l’accent sur le potentiel du renouvelable (hydraulique compris), et ça je ne peux que m’en réjouir. Je me demande par contre s’il n’aurait pas été plus judicieux de retarder l’abandon du nucléaire afin de pouvoir assurer une transition vers le renouvelable sans avoir besoin de passer par la case “centrales à gaz”.
Je ne sais pas si j’ose, mais voici un lien sur un article que j’ai écris sur le sujet avec un graphique et une animation qui permettent de bien visualiser le projet du conseil fédéral et le défis que cela représente:
http://www.post-wit.ch/quelles-sources-delectricite-pour-remplacer-le-nucleaire-strategie-du-conseil-federal/
Très éclairant sur la myopie politique en matière d’énergie.
Il est temps de remettre en cause tout ce battage médiatico-énergétique, fruit acide d’experts et de contre-experts qui, au passage s’en mettent plein les fouilles pour des études contradictoires, faisant abstraction des règles de la physique. 1 litre de benzine 95 o a la capacité physique de développer un équivalent-énergie e+ quantifiable et quantifié. Par analogie, il en est de même pour toute source d’énergie. Les exploits promettant les sur-performances relèvent de l’arnaque intellectuelle.
Par voie de conséquence, si l’on entend préserver les ressources fossiles et limiter leur impact sur l’environnement, il convient de réduire la consommation globale, de réduire l’orgie dépensière liée à cette croissance imbécile qui marque l’époque actuelle et qui se diffuse à vitesse grand V dans les pays émergents, au nom du bien-être, du progrès, de l’économie.
L’impôt incitateur de morales de toutes sortes constitue une scandaleuse aliénation de l’être humain.. Si l’on entend vraiment, honnêtement, épargner la consommation énergétique, il suffit, dès maintenant, de dénoncer avec vigueur l’utilisation honteuse de l’électricité dans des buts divers :
– éclairage public démentiel
– éclairage publicitaire navrant
– production d’appareils superflus et imbéciles, au nom du progrès
– architectures en sous-sol pour des surfaces de vente immenses illuminées 24/24 h
– principe du stand-by d’appareils hyper-gourmands
– énergie grise pour le renouvellement à seules fins marketing d’objets fondamentaux (domaine du i-***)
– scandale des suremballages, du gaspillage de matière pour vendre, promotionner des produits inutiles
Le peuple n’est pas dupe : de plus en plus il prend conscience qu’on entend lui faire payer des surcoûts inhérents à des productions qu’il ne veut pas. C’est le cas typique des emballages superflus qui remplissent les caisses à ordures des grandes surfaces.
L’écologie politique a échoué. Et c’est tant mieux, tant elle est imbécile et intéressée. C’est bel et bien le citoyen lambda qui permettra de remettre l’ordre indispensable dans ce miasme “consommateuriste”.
Vous les ingénieurs disposant d’une morale, d’une éthique, rebellez-vous contre la dictature croissante de l’imbécillité financière et taxatrice et dénoncez l’arnaque visant à culpabiliser le consommateur.
Une omission peut en cacher d’autres
M. Pascal Briod a raison de relever que le pompage-turbinage pourrait permettre de stocker des kWh produits soit par les éoliennes et les panneaux solaires de manière aléatoire, soit par les centrales thermiques fossiles ou nucléaires en ruban, parfois à des moments où personne n’en a besoin et qui seraient perdu autrement. En relevant que cela ne produit pas un seul kWh en plus, mais en consomme, j’étais d’ailleurs conscient que c’était un peu court. Mais l’article était déjà long. Et puis j’ai pensé que, au besoin, cela ouvrirait la porte à un commentaire. Je remercie donc M. Briod de contribuer manière constructive à compléter l’information. J’en profite pour préciser que le stockage massif de quantités d’énergies en provenance par exemple des éoliennes d’Allemagne supposera des lignes et des capacités de stockage supplémentaires qui ne sont pas encore planifiées et dont les coûts considérables ne sont pas encore évalués. Les difficultés et les délais de réalisations à cause des oppositions apparaissent aussi considérables. De plus si l’Allemagne ou d’autres pays souhaitent un jour stocker les excédents d’éolien ou de solaire pour des heures, ou des jours meilleurs, ce sera pour les récupérer au déstockage et avec pertes. Ces pays n’auront pas forcément des excédents à nous vendre. Selon mes dernières informations une entreprise électrique suisse importante dans l’approvisionnement du pays a prospecté en Allemagne et n’a pas trouvé de l’électricité éolienne ou solaire disponible à l’exportation.
Il est intéressant de rappeler le retournement d’attitude, que la nécessité de stocker les kWh éoliens et solaire à cause de leur production aléatoire, a provoqué dans les mouvements en faveur de leur développement intensif: Dans un passé récent, leur conviction exprimée avec force était que l’éolien et le solaire, grâce à leur caractère décentralisé, allait diminuer la dépendance jugée néfaste des grands réseaux électriques et des grandes infrastructures centralisées. Puis, en l’espace de quelques mois, ces mêmes mouvements ont changé leur position à 180°: ils demandent maintenant, avec la même force, que les électriciens renforcent leurs réseaux, rehaussent les barrages, voire remplissent de nouvelles vallées pour satisfaire aux besoins de stockage de ces énergies décentralisées qui devaient nous en libérer. Joli paradoxe.
Le point important est que ces nouvelles énergies renouvelables ont un surcoût qui va de 2 à 10 fois celui du nucléaire. Et s’ajoutera un coût de transport et de stockage qui pourra être du même ordre de grandeur mais qui est aujourd’hui soigneusement passé sous silence. Mme Leuthard va même jusqu’à nous fait croire que les coûts du nouveau renouvelables seront couverts en montant la taxe de la RPC à 2 ct/KWh, ce qui n’est visiblement pas possible. Voilà une omission qui mériterait aussi d’être relevée. Je vous recommande d’interpeller notre conseillère fédérale à ce sujet.
Gesticulations d'”élites” incapables et/ou sociopathes dont le seul but est de taxer encore plus la plèbe tout en la forçant à habiter des cahutes en paille et se déplacer en charrettes à bœufs. Et pendant ce temps-là ces faquins iront accueillir les membres de la “gauche kérosène” à leur descente d’avion en 4×4 hybrides.
Bonjour,
Une vérité à moitié dite, et l’on est déjà pas loin du mensonge… je me permets donc d’apporter une précision importante concernant votre remarque sur le pompage-turbinage. S’il est vrai qu’il faut plus de kWh pour remonter l’eau dans le barrage qu’elle n’en produit en redescendant, il aurait été pertinent (et honnête) de préciser que ce dispositif permet de stocker des kWh qui seraient perdu autrement. En effet, l’électricité produite par les éolienne, les panneaux solaires ou le nucléaire, l’est parfois à des moments où personne n’en a besoin, les barrages équipés d’un dispositif de pompage turbinage peuvent alors stocker une partie de cette énergie pour la redistribuer aux heures de forte demande. Au final, il y a donc plus de kWh disponibles à la consommation.
Vous apportez quelques critiques intéressantes au programme du conseil fédéral, et je me réjouis de lire les études que vous citez, mais de tels “oubli” font craindre que votre avis ne soit pas très objectif. Je regrette par ailleurs que vous ne saluiez pas plus l’ambition du cahier des charges proposé en terme d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables et que vous ne vous réjouissiez pas que l’on encourage le citoyen suisse à prendre ces responsabilité dans ce défi qu’est le futur énergétique de notre planète.
Meilleures salutations,
Pascal Briod