CEDH: la Suisse contrainte au suicide

Suicide assisté, la fin des alibis. La décision de la Cour européenne des droits de l’homme vient de tomber, qui casse un jugement du Tribunal fédéral interdisant de prescrire une dose de poison mortelle à une personne âgée en bonne santé.

Ce que la démocratie n'ose pas proposer, le judiciaire l'impose. Jusqu'ici, la raison d'une demande de suicide assisté était la détresse et la souffrance physique. Aujourd'hui, la cour européenne de Strasbourg vient d'instaurer de fait la légalisation de l'interruption volontaire de vieillesse. La Suisse paie comptant son refus de légiférer pendants des années. Comme souvent dans ce genre de cas, l'influence et les ordres viennent d'ailleurs, qui se passent de l'aval du souverain.

Alda Gross, une ressortissante suisse, née en 1931 et résidant à Greifensee, a recouru contre le canton de Zurich, qui lui a refusé une dose de pentobarbital sodique pour parvenir à se suicider au motif qu'elle n'était atteinte d'aucune maladie fatale. La requérante, quant à elle, avait exprimé son souhait de mourir à cause de "son âge avancé et de sa fragilité grandissante". En un mot, elle était vieille.

Dès aujourd'hui, l'Etat ne pourra plus refuser son assistance à tous ceux qui formuleront une demande de suicide. Foin d'objection de conscience, la collectivité est désormais forcée d'assister les suicidés, tous les suicidés, indépendamment de leur motif, et cela au nom de la liberté individuelle.

En effet, la CEDH, considérant dans un communiqué que:

"Le souhait de Mme Gross d’obtenir une dose mortelle de médicament afin de mettre fin à ses jours relève du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8. Dans l’affaire Haas c. Suisse, elle a déjà reconnu que le droit d’un individu de choisir quand et comment mourir, à condition que celui-ci soit en état de prendre sa décision librement et d’agir en conséquence, constituait l’un des aspects du droit au respect de la vie privée"

condamne la Suisse pour avoir "violé une obligation positive de faciliter le suicide de la requérante".

 

Refus de légiférer

La raison de cette décision est à rechercher dans le laxisme législatif de la Confédération.

Observant que le code pénal suisse ne réprime l'incitation et l'assistance au suicide que lorsqu'elles sont faites pour des "motifs égoïstes", et que le médecin peut prescrire un poison mortel dès lors qu'il a discuté avec son patient d'autres moyens de lui venir en aide et que celui-ci agit librement et de manière réfléchie. La CEDH reproche à la législation suisse de ne pas préciser si cette prescription ne peut se faire qu'en phase terminale de maladie. Le communiqué de presse précise :

"La Cour considère que cette absence de directives claires posées par la loi est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les médecins, qui pourraient sinon être enclins à fournir à une personne dans la situation de Mme Gross l’ordonnance demandée. C’est ce que confirme le fait que les médecins consultés par elle ont rejeté sa demande parce qu’ils redoutaient d’être entraînés dans des procédures judiciaires longues ou de s’exposer à des conséquences négatives sur le plan professionnel.

Cette incertitude quant à l’issue de sa demande dans une situation concernant un aspect particulièrement important de sa vie a dû causer à Mme Gross une angoisse considérable. Cela ne se serait pas produit s’il y avait eu des directives claires et approuvées par l’État définissant les circonstances dans lesquelles les médecins sont autorisés à délivrer une ordonnance lorsqu’une personne a pris librement la décision grave de mettre fin à ses jours sans qu’elle soit proche de la mort à cause d’une maladie donnée.

Ces considérations suffisent à la Cour pour conclure que la législation suisse, tout en offrant la possibilité d’obtenir une dose létale de médicament sur ordonnance médicale, ne fournit pas des directives suffisantes définissant avec clarté l’ampleur de ce droit. Dès lors, il y a eu violation de l’article 8 de ce chef."

La défense du gouvernement helvétique fut à la hauteur de ses lacunes, qui argua qu'en raison de l'existence de multiples façons d'attenter à sa propre vie, le refus de prescription ne portait pas atteinte au droit de Mme Gross, en tant que personne en bonne santé, de mettre fin à ses jours. En un mot, comme il y a moultes façons de passer ad patres, l'intéressée pouvait bien se passer de l'aide de l'Etat, charmant... Elle a d'ailleurs essayé à plusieurs reprises, sans succès.

Mais la Cour a tenu à aller plus loin en jugeant qu'il faut établir clairement quand le suicide assisté doit être en quelque sorte assisté par la loi et le corps médical, étant entendu qu'il n'y a pas de limite a priori :

"La Cour reconnaît qu'il peut y avoir des difficultés à trouver le nécessaire consensus politique sur des questions aussi controversées qui ont un impact éthique et moral profond. Cependant ces difficultés sont inhérentes à n'importe quel processus démocratiques et ne peuvent absoudre l'abstention des autorités de remplir leur tâche en la matière.

Au nom du « principe de subsidiarité », la Cour réitère cependant qu'il appartient à l'Etat de décider dans quelles conditions générales un individu doit pouvoir prétendre à la fourniture de son poison final."

Il appartient donc à la Confédération de rectifier le tir dans les plus brefs délais, sous peine d'être tenue de fournir les suicidaires en cocktails lytiques et de se résigner à ouvrir des salles de shoot pour suicidés.

Source

Décision CEDH

Un commentaire

  1. Posté par Michel Salamolard le

    Bravo de mettre le doigt sur l’attitude honteuse et lâche du Conseil fédéral, qui, après une révision amorcée de l’art. 115CP, sous Mme Widmer-Schlumpf, a renoncé, sous Mme Sommaruga, à résoudre, par voie législative, les énormes problèmes nés aujourd’hui dudit article, totalement obsolète. L’argumentation incohérente du CF saute aux yeux puisque sa décision de maintenir tel quel l’article 115CP, qui autorise l’incitation au suicide, est fondée sur le respect de la liberté individuelle! Au nom de la liberté individuelle, autrement dit, tout citoyen suisse peut infléchir la liberté d’autrui (=inciter). Quant au devoir constitutionnel de l’état de protéger la vie et la santé des citoyens, l’étant s’en démet en l’occurrence. Au nom de la liberté individuelle!

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