Les dernières prises de positions de Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, ne font, semble-t-il, plus de doute pour les européennes, en misant sur une union de la gauche. Au risque de se mettre à dos une partie de son électorat ?
Jean-Luc Mélenchon tient peut-être là une revanche sur le Parti socialiste (PS). Ce PS qui l'a désavoué en 2008 lors du congrès de Reims et contre lequel il a toujours conservé un vif ressentiment, particulièrement à l'égard de son Secrétaire général de l'époque, un certain François Hollande.
Désormais, La France insoumise (LFI), dont il est le leader, fait figure de l'une des principales forces d'opposition à Emmanuel Macron, que ce soit par les débats vifs qu'elle sait mener à l'Assemblée nationale, ou par sa présence dans les médias. Face à un PS qui cherche sa voie et se débat au bord du gouffre, Jean-Luc Mélenchon sent bien qu'il peut conquérir une frange des électeurs restés fidèles à son ancien parti.
Sa venue le 9 septembre à l'université d'été du courant l'Union et l'espoir, mené par Emmanuel Maurel – aile gauche du PS – n'est pas un hasard. Depuis plusieurs mois, Emmanuel Maurel fait des appels du pied à l'ancien candidat à la présidentielle, quitte à froisser une bonne partie du PS. Avec émotion, Jean-Luc Mélenchon a appelé cette aile gauche du PS «à bifurquer» vers la France insoumise : «Que finisse cette longue solitude pour moi, d'avoir été séparé de ma famille intellectuelle et affective.» «Mes amis, vous me manquez», a-t-il également ajouté.
Emmanuel Maurel a, quant à lui, répondu chaleureusement à ces signaux : «Parce que nous avons l'intuition que les causes communes, les causes que nous défendons, sont plus importantes que ce qui pourrait nous différencier ou nous séparer (...) oui à un dialogue exigeant.»
Ces retrouvailles signifient peut-être la fin pour Jean-Luc Mélenchon de la stratégie menée lors de la présidentielle 2017 et qui lui a offert plus de 19% des voix au premier tour. Dans les discours, ses harangues dépassaient en effet la notion de gauche pour privilégier la défense de la patrie, de la nation et du peuple... ainsi qu'une rupture plus qu'assumée avec le parti de la rose, distanciation oblige avec le quinquennat de François Hollande.
Et pour cause, durant la campagne pour les législatives de 2017, Jean-Luc Mélenchon estimait que «le mot "gauche" [était] devenu une étiquette confuse qui désign[ait] des gens comme Manuel Valls, tantôt socialiste, tantôt En Marche».
Une tactique qu'il a poursuivie jusqu'à récemment. Avant le lancement de «la marée populaire» le 26 mai 2018, Jean-Luc Mélenchon voulait mobiliser au-delà de la gauche, comme il l'avait affirmé au cours d'un entretien sur LCI : «Je développe depuis un grand moment l'idée que l'union de la petite gauche ne mobilise personne. Face aux attaques, il faut une réponse de masse. Je me bats pour une unité populaire qui décloisonne les mondes politique, syndical et associatif».
A son grand regret, François Cocq, orateur national de LFI, confirmait début juillet sur son blog le changement de ligne de La France insoumise : «La ligne stratégique dite "populiste" a été rangée ce week-end [devant le congrès du Parti de gauche] au placard pour laisser place au "leadership à gauche". Je considère pour ma part qu’il s’agit là d’une erreur terrible et d’un profond retour en arrière.»
A cette période, Jean-Luc Mélenchon appelait même Benoît Hamon à une réconciliation politique.
Dans cette nouvelle perspective qui viserait une union de la gauche, Jean-Luc Mélenchon doit donc ménager les susceptibilités, en vue d'une éventuelle alliance pour les élections européennes de 2019. Cet exercice n'est pas sans difficultés, comme en témoigne le cas de Djordje Kuzmanovic.
Dernièrement, sur la question migratoire, cet orateur national de La France insoumise sur les questions internationales et de défense, dénonçait les vagues migratoires qui feraient le profit des capitalistes. Dans l'Obs du 8 septembre, il argumentait en effet : «Sur la question migratoire, la bonne conscience de gauche empêche de réfléchir [...] Plutôt que de répéter, naïvement, qu’il faut "accueillir tout le monde", il s’agit d’aller à l’encontre des politiques ultralibérales – ce que la social-démocratie a renoncé à faire [...] C’est une analyse purement marxiste : le capital se constitue une armée de réserve. Lorsqu’il est possible de mal payer des travailleurs sans papiers, il y a une pression à la baisse sur les salaires [...] S’il y a un appel d’air, il vient du patronat qui maximise ses profits en exploitant la misère du monde.»
Dans les mêmes colonnes du magazine, Clémentine Autain, députée de LFI, sur une autre ligne politique que Djordje Kuzmanovic, estimait : «Je ne voudrais pas, par exemple, qu’on puisse laisser entendre que les immigrés prennent le travail des populations déjà installées. Si l’on jette un regard en arrière, on s’aperçoit que les flux d’immigration élevés correspondent plutôt à des périodes de croissance économique [...] A chaque fois que nous donnons des gages sur le fond au discours de l’extrême droite, je pense que nous perdons notre âme et des plumes.»
Deux lignes qui semblent irréconciliables. Et Jean-Luc Mélenchon a semblé trancher en désavouant Djordje Kuzmanovic en envoyant un message à l'Obs le 12 septembre : «Le point de vue qu’il [Djordje Kuzmanovic] exprime sur l’immigration est strictement personnel. Il engage des polémiques qui ne sont pas les miennes.»
Et pourtant... Jean-Luc Mélenchon estimait lui-même, le 25 août lors d'un meeting à Marseille, que «les vagues migratoires [pouvaient] poser de nombreux problèmes aux sociétés d'accueil quand certains en profitent pour baisser les salaires.» «Nous disons honte à ceux qui organisent l'immigration par les traités de libre-échange et qui l'utilisent ensuite pour faire pression sur les salaires», ajoutait-il alors. Une pensée qui semble très proche de celle de Djordje Kuzmanovic. Pourquoi alors un tel revirement ?
Jean-Luc Mélenchon pratique-t-il le «en même temps» macronien ?
Cette prise de distance témoigne de la volonté, de la part du député des Bouches-du-Rhône, de s'attirer l'aile gauche du PS, plus favorable à la ligne défendue par Clémentine Autain. Si la rupture avec le Parti communiste semble profonde, LFI n'essaierait-elle pas de «draguer» les hamonistes et les écologistes (EELV) ? Du 23 au 26 août 2018, lors de leur université de rentrée, les insoumis ont notamment conviéplusieurs membres de EELV, de Génération.s et du Parti socialiste.
Pour autant, Jean-Luc Mélenchon ne semble pas en accord sur tous les sujets avec ceux qu'il courtise. Contrairement à cette gauche plutôt favorable à l'Union européenne, dont les hamonistes nourrissent l'espoir d'une réforme «à traité constant», le leader insoumis ne renonce pas à défendre une ligne que l'on pourrait qualifier de souverainiste, qui s'éloigne de celle défendue par la gauche traditionnelle. Le 25 août, Jean-Luc Mélenchon a de nouveau critiqué la position de ces (possibles) futurs alliés.
Finalement, Jean-Luc Mélenchon ne flirterait-il pas avec le «en même temps», en espérant à la fois une union de la gauche et une union des patriotes de toutes rives pour atteindre une victoire électorale prochaine ?
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