En 2006, sortit sur les écrans « Indigènes » de Rachid Bouchared. Le parcours de quatre soldats de la Première armée française en 1943-1944. Un sous-officier « pied-noir » et trois nord-africains. La critique fut louangeuse. Du JDD à L’Humanité en passant par Le Figaro, Le Monde, Télérama ou Ouest-France. Il y eut quelques réserves et lorsque les quatre acteurs (dont Djamel Debouzz) reçurent le prix d’interprétation à Cannes, le critique des Inrocks fit du mauvais esprit :
« On ne peut s’empêcher d’y voir une repentance du jury, la vague honte obligeant à se débarrasser promptement d’un fardeau, à faire un prix de gros. »
Le couple Chirac vit le film et en sortit « bouleversé ». Il en résulta une revalorisation des pensions attribuées aux anciens combattants coloniaux.
Voilà pour la version officielle, béate, du parcours de ces valeureux « indigènes » présents en nombre au pied du Monte Cassino, au sud de Rome, cherchant à s’emparer de la ligne Gustav tenue par les Allemands, en 1943-1944. Un déluge de bombes pulvérisa le monastère et ses alentours. Les combats durèrent des mois et les goumiers marocains montrèrent leur aptitude à cette guerre d’usure. Encadrés par des officiers européens, ils suscitèrent l’admiration du commandement allié. Plus tard, ils défilèrent à Rome puis à Paris, dans leur harnachement de combattants de choc. A l’heure de l’indépendance, plusieurs se mirent en vedette, Mohammed Oufkir, Ben Bella, le marathonien Mimoun. Mais, ensuite, la France les oublia et leurs descendants réclamèrent réparation. Le film « Indigènes » leur fut très utile.
« On voit que n’êtes pas une femme. »
Ce qui fut délibérément occulté relevait des crimes de guerre commis par milliers en Italie, très minorés en France.
Deux ouvrages les font ressurgir. Le travail d’une universitaire, Julie Le Gac, Vaincre sans gloire, le corps expéditionnaire français en Italie (Les Belles Lettres/Ministère de la Défense, 2014), celui d’une journaliste, Eliane Patriarca, Amère Libération (Arthaud, 2017).
Leur constat est accablant, irréfutable. Dans la région de la Ciociara, au sud-est de Rome, des assassinats de civils italiens pour les piller et surtout des milliers de viols d’enfants (filles et garçons), de femmes jusqu’à 70 ans et plus. Après la guerre, ce fut le mutisme, jusqu’en 1952. Une député communiste Maria Maddalena Rossi exigea enquête approfondie et indemnisation. Elle fut la première à parler, publiquement, des « marocchinate », des atrocités marocaines. Un néologisme encore présent dans toutes les têtes, dans la Ciociara. (photo)
La proposition de loi de la députée fut repoussée. Elle s’écria alors : « On voit que n’êtes pas une femme. »
Le livre de Julie Le Gac énumère les faits, les certifie et les quantifie. Le récit d’Eliane Patriarca (originaire d’un des villages martyrisés) est une longue quête de témoignages, un parcours de souffrances, remarquablement raconté. Avec indignation retenue, pudeur et vive intelligence de cette mémoire tronquée.
En 2015, Libération rapportait : « En 1944, elle avait 17 ans et elle a été violée par quarante soldats. » L’Enfer de Dante.
Jean Heurtin
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