Christophe Darbellay doit-il être élu au Conseil d’Etat valaisan après avoir fait un enfant illégitime ? Sans doute le sera-t-il… Mais en toute logique, si nous vivions dans une culture réellement démocratique ne devrait-il pas l’être. Je pense dur comme fer qu’un authentique démocrate, un ardent défenseur de ce système politique inventé par les antiques Athéniens ne peut pas voter pour lui quelles que soient ses convictions politiques. Voici pourquoi.
Actuellement, les discussions ayant trait au cas Darbellay tournent essentiellement autour de trois arguments différents. Le premier, autour duquel gravitent les opposants de Darby, consiste à dire qu’on ne peut raisonnablement pas soutenir quelqu’un qui a fait de la famille son cheval de bataille et qui fait subir pareille horreur à la sienne. A l’opposé, on trouve ses défenseurs qui eux avancent d’une part que cela ne remet pas en cause ses compétences politiques et d’autre part qu’on ne peut écarter un homme possédant d’aussi puissants réseaux de la vie politique.
En vérité, aucun de ces trois arguments ne devrait avoir de consistance réelle pour un véritable démocrate. Ils sont tous soit faux soit hors sujet dès lors qu’on approfondit un tout petit peu la question.
Je suis convaincu que les détracteurs de Christophe Darbellay ont tort de pointer du doigt son incohérence comportementale vis-à-vis de la famille pour la simple et bonne raison que si on le pénalise pour cela, alors beaucoup d’autres élus doivent être eux aussi sanctionnés pour de multiples cas plus ou moins similaires. Les politiciens qui pratiquent dans leur vie quotidienne ce qu’ils combattent en tant que personnes politiques ne se comptent plus. Personne ne voit de mal à ce qu’un socialiste bénéficie des déductions fiscales qu’il a pourtant vraisemblablement combattu en tant qu’élu. Ni d’ailleurs à ce qu’un politique de sensibilité écologico-humanitaire se paie un téléphone portable dernier cri. Un téléphone dont l’extraction de certaines matières premières ainsi que l’assemblage ont vraisemblablement contribué à polluer sérieusement une région pauvre et/ou à exploiter quelques miséreux obligés de travailler pour rien ou presque. Ceci dit, les gauchistes n’ont pas l’apanage de l’acte en complète contradiction avec les convictions exprimées. Qu’on pense aux ardents défenseurs de la vie soutenant la peine de mort ou aux milieux économiques discourant sur l’immigration comme un impératif vital alors qu’ils croulent sous l’argent. Bref, dans ce qu’on a le culot d’appeler notre démocratie, rares sont ceux dont la cohérence est plus grande que celle de Darbellay.
De leur côté, ses supporters ne font guère mieux. Lorsqu’on ose parler de compétence politique en démocratie on frise le ridicule. La démocratie est un système où tout citoyen, quel qu’il soit, a la possibilité d’être élu. Ce qui signifie que tout le monde a potentiellement les compétences nécessaires pour pouvoir s’occuper des affaires de la cité. La compétence politique n’est donc pas un critère de sélection raisonnable en démocratie. Si on voulait des gens compétents, il faudrait déjà réussir à s’entendre sur le contenu de ces compétences et aussi mettre sur pied des tests de compétences pour savoir qui l’est et qui ne l’est pas. Les systèmes qui ont mis la compétence à l’honneur pour la gestion des affaires publiques sont des systèmes qui sont à des années lumières de la démocratie, à savoir la technocratie ou même l’aristocratie. Ce sont là les systèmes politiques qui établissent une distinction basée sur d’éventuelles capacités (acquises ou de naissance) entre ceux qui peuvent diriger et les autres. Donc non, un démocrate ne peut pas accepter un argument aussi stupide.
Un authentique démocrate ne peut pas non plus s’arrêter sérieusement sur l’idée des réseaux. Ou disons plutôt que l’expérience des anciens grecs devrait faire voir les choses d’une manière totalement opposée. Dans l’Athènes antique, on virait de la cité celui qui possédait des réseaux trop puissants. On avait alors compris le B-A-BA qu’on est aujourd’hui incapable de saisir, à savoir qu’un réseautage puissant ne contribue pas au bien commun mais uniquement à la défense d’intérêts particuliers. Les Athéniens exilaient donc de la cité ceux qui possédaient des réseaux jugés trop importants par une procédure d’ostracisme. Et ils avaient bien raison : il n’y a que dans la tête des libéraux les plus bornés et les plus délirants (voir peut-être même les plus malhonnêtes) que la poursuite des intérêts particuliers de chacun concourt au bien commun.
Bref, l’ensemble des arguments servant à ce jour à discourir sur le cas Darbellay sont pour un démocrate soit mal utilisés soit sans effet. Mais il en reste un dont personne ne semble vouloir mettre en avant et qui pourtant constitue l’essence même de la pensée démocratique.
Comme je l’ai déjà dit précédemment, on n’élit pas une personne pour ses compétences.On l’élit parce qu’on a confiance en elle. Toute élection n’est ni plus ni moins qu’un acte de confiance par lequel des citoyens confient à d’autres citoyens une partie de leur souveraineté. Et ils la confient à condition de pouvoir croire que ces personnes vont défendre une certaine vision du monde à laquelle ils adhèrent. Jugés à l’aune de cette définition, les agissements de Christophe Darbellay devraient le disqualifier totalement de la course démocratique. Qui donc peut faire confiance à quelqu’un qui n’arrive même pas à respecter la confiance des siens, de sa famille, de sa femme et de ses enfants ? Comment peut-on croire à une personne qui nous est largement étrangère si même ceux qu’il aime et qui l’aiment ne peuvent croire en lui ?
La démocratie n’est rien d’autre qu’un système basé sur la confiance, ce qui d’ailleurs nous laisse penser que les vrais défenseurs de la démocratie ne sont aujourd’hui plus tellement nombreux tant celle-ci est malmenée. Et l’élection de Christophe Darbellay ne sera malheureusement qu’un coup de boutoir supplémentaire porté au système démocratique.
Caïn Marchenoir, 8 octobre 2016