Suis-je un bon démocrate?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
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Hier, je me suis réveillé, comme il se doit et je me suis fait un café comme il se doit, après avoir pris une douche et m’être lavé derrière les oreilles. J'avais fait un cauchemar. J'entendais un débat. Tous les participants se déclaraient démocrates. Très bien, me disais-je au début de mon cauchemar, c'est très bien d'être démocrate. Mais ils le disaient, le redisaient et le répétaient sans pouvoir s'arrêter. Ça m'énervait, je changeais de station et ça recommençait : des démocrates et rien que des démocrates. Réveillé, devant mon café et le oreilles bien propres, je ruminais mon cauchemar. Je le ruminai tant et si bien que je me suis demandé s'il était arrivé quelque chose de grave, comme un coup d'Etat par des fascistes. J'ai ouvert la fenêtre pour voir s'il se passait quelque chose. Mais non, il ne se passait rien de concret.

Rassuré par le concret, j'ai repris une tasse de café. J'aime le concret parce qu'avec les idées, on ne sait jamais. En revenant à ma radio, paf ! Des intervenants remettaient ça. Démocratie, démocratie et encore démocratie. D'abord un cauchemar et ensuite un matraquage médiatique, c'était trop. Je me sentais aussi mal qu'avec les professions de foi philosémites quand, la main sur le cœur, un invité de quelque chaîne TV vous explique qu'il a beaucoup d'amis juifs et qu'il condamne l'antisémitisme. On n'est pas rassuré du tout. Pourquoi s'affirme-t-il si bien lavé à la moraline, sans la moindre trace de haine derrière les oreilles ? S'il était propre, il ne descendrait pas dans la rue pour clamer qu'il est propre.

Malgré tout, je suis moi aussi descendu dans la rue et j'ai eu envie de dire à tous les passants que j'étais un démocrate. Puisque tout le monde se disait démocrate, ne fallait-il pas que, moi aussi, je le... fisse ? Je le fis et les gens se mirent à me regarder d'un drôle d'air. Qu'est-ce qu'il a celui-là ? Et moi j'insistais : je suis démocrate, ne le voyez-vous pas, je suis démocrate… A la fin, les passants ont fait venir la police. Ou plutôt des ambulanciers qui m'ont amené à l'hôpital psychiatrique. On m'a déclaré bipolaire.

J'ai longtemps fait les cent pas dans ma cellule et me suis demandé pourquoi j'étais le seul à avoir été enfermé. Tout le monde dit la même chose que moi, alors pourquoi moi ? J'ai questionné le psychiatre en chef. Il s'est contenté de me prescrire des pilules d'un air grave. Ça m'a impressionné et j'ai avalé les pilules sans rien dire. Mais tout de suite après, j'ai eu des hallucinations. Un inspecteur me demandait si j'étais un démocrate et je n'arrivais pas à le convaincre que je l'étais. Cet inspecteur était le chef psychiatre. A chaque fois que j'échouais à le convaincre, il m'ouvrait la bouche et me forçait à avaler des pilules, comme une maman vautour donne la becquée à ses petits. J'ai tellement crié que des infirmières se sont précipitées vers moi. Elles étaient si jolies que j'ai cessé d'halluciner pour mieux les contempler. Elles me souriaient. Grâce à ce sourire, je me suis tout de suite enfui de l'hôpital.

De nouveau dans la rue, j'ai de nouveau été arrêté Dieu sait pourquoi. Au poste où l'on m'avait emmené, on m'a de nouveau demandé si j'étais démocrate. Un inspecteur, plus gentil que le vautour, mais un inspecteur quand même, a insisté. J'ai continué à ne rien dire mais j'ai souri, comme les infirmières. Surprise ! Il m'a souri lui aussi.

Aujourd'hui, quand on me demande si je suis démocrate, je souris et cela provoque des sourires.

Jan Marejko, 25 janvier 2014

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