La saga des tirs obligatoires

Suzette Sandoz
Suzette Sandoz
Prof. honoraire UNIL

Le dépôt par les Verts libéraux d’une initiative parlementaire demandant la suppression des tirs militaires obligatoires a relancé une polémique malheureusement placée en général sur des bases erronées.

En effet, la grande majorité des partisans ou des opposants à cette suppression lient la question à celle du principe du droit de garder son arme à la maison et, pire encore, à celui du maintien ou non de l’armée.

Or le maintien ou non des tirs obligatoires n’a strictement rien à voir avec ces deux questions. Le droit de conserver son arme militaire à la maison est une question, à l’origine, pratique, devenue culturelle en Suisse et reflétant la confiance en les miliciens, question d’ailleurs tranchée positivement tout récemment par le peuple et les cantons. Quant au maintien ou non de l’armée cela relève de la politique de sécurité, de relations internationales et de neutralité et ne saurait se réduire à une querelle de tirs obligatoires.

En réalité, le maintien ou la suppression de ces tirs oblige tout simplement à se demander quels en sont les avantages et les inconvénients, du point de vue pratique. Ces tirs font partie d’un élément de la conception de l’efficacité de la défense militaire, en théorie, mais, tout évoluant, et notamment les moyens de la défense militaire, sont-ils encore utiles ?

Bien des officiers et des personnes autorisées – désireuses, pour la plupart, de ne pas trop se « faire tirer dessus » par les défenseurs des tirs obligatoires – montrent, preuves à l’appui, que ces tirs sont, depuis des années, devenus des moyens de tricherie et ne sont pas pris au sérieux par de très nombreux citoyens-soldats. D’aucuns affirment aussi que le tir à 300 mètres avec un fusil d’assaut est actuellement totalement inutile, un tir à cette distance nécessitant, pour correspondre aux genres de menaces actuelles, la formation de tireurs d’élite, ce que l’ensemble de la milice ne saurait être.

Pourquoi la question technique ne peut-elle pas être étudiée sans passion ni invective ? Les choses changent. Il n’y a aucune honte à modifier les exercices !

Mais c’est alors qu’intervient encore un autre argument: les sociétés de tir. Cela n’a plus rien à voir avec la défense militaire proprement dite, en revanche, c’est une dimension sociale de grande importance et qui ne saurait être négligée.

Il est exact que, pendant des décennies, les sociétés de tirs ont largement assuré les tirs obligatoires et que la suppression de ces derniers pourrait leur poser un problème financier. Il serait parfaitement normal, comme le proposent certains officiers que, pendant quelques années au moins, ces sociétés reçoivent un soutien financier de la Confédération (pris sur les économies réalisées par le département de la défense ensuite de la suppression des tirs obligatoires), en remerciement des immenses services rendus pendant tant d’années. Cela leur permettrait de se réorganiser de manière à continuer à assurer la pratique d’un sport éminemment légitime, national et historique.

Poser les éléments d’une problématique, ce n’est assurément ni trahir le Pays ni contester le droit d’avoir son arme à la maison, ni combattre l’armée, ni vouer les sociétés de tir aux gémonies. Mais pour pouvoir aborder sereinement un point de cette importance dans la tradition helvétique, il faut surtout éviter d’en faire une récupération politique à gauche comme à droite et respecter les personnes exprimant des avis qui peuvent diverger.

3 commentaires

  1. Posté par Roland le

    Vous avez encore oublié une composante de la démarche des gens de gauche : à mon avis, si vous obtenez du peuple suisse le renoncement à l’arme de guerre à la maison pour les citoyens-soldats, vous pouvez obtenir le désarmement de tous les citoyens, qui devront rendre toutes les armes en leur possession. Il faudra peut-être qu’un jour les juristes s’expliquent sur cette volonté qu’ils ont de défendre avant tout les criminels et pas les citoyens…

  2. Posté par Francois le

    L’initiative des verts libéraux ne m’étonne pas du tout! Ce groupe politique qui au départ semblait avoir été lancé par d’authentiques citoyens soucieux d’une politique “bourgeoise” (ou de droite) épousant des préoccupations écolo a bien vite été investie (entrisme prôné par Trotsky) par des gens de gauche. On en a la preuve ici!

  3. Posté par Monod Henri P. le

    Il y a déjà de nombreuses années que je fais partie des personnes persuadées que les tirs obligatoires sont devenus obsolètes. Il n’empêche que c’est l’armée elle-même qui doit faire le pas de les supprimer et de réorganiser certaines choses à ce niveau et que c’est totalement faux de laisser la politique se mêler de ce genre de chose. Supprimer les tirs obligatoires ne signifie en rien supprimer les sociétés de tirs et au contraire pourrait-être le point de départ d’une meilleure organisation du tir sportif, si motivant et important dans notre pays. Les millions que coûtent les tirs obligatoires pourraient, en partie en tout cas, être mis à disposition des sociétés de tirs pour le tir sportif.
    Ceci dit je trouve et je ne suis de très loin pas le seul, qu’une obligation telle que les tirs obligatoires, qui ont incontestablement eu lieu d’être, poussant une partie des astreints à la tricherie et au ras le bol (faire faire son tir par quelqu’un d’autre, ravi de pouvoir s’exercer à bon compte, y compris si il ne tir pas avec la même arme, donc la même munition! Tirer avec l’arme de quelqu’un d’autre pour ne pas avoir à nettoyer la sienne. Indiquer les tirs effectués dans les livrets même si ce ‘est pas le cas à cause du brouillard, ce pour toucher quand-même les indemnités. Se faire des réserves de munition à la maison avec les coups d’essais non tirés, etc, etc, etc) n’est pas très saine pour une institution.
    Si en plus, lors d’une éventuelle mobilisation, les soldats n’ont pas le temps de reprendre leur arme en main et faire quelques tirs en stand, il y a fort à penser que nous aurons vraiment loupé les bons délais!
    On pourrait encore argumenter passablement. Dommage que certaines personnes en haut lieu n’aient pas compris que “donner c’est recevoir” et qu’il ne fallait, une fois de plus, surtout pas laisser la politique s’en mêler. A ce sujet l’honnêteté des verts-libéraux est plus que discutable!
    L’escalade et le risque de tout perdre grâce aux politiques “bien intentionnés” à l’égard de la défense est trop grand.
    Les traditions sont à respecter à condition qu’elles soient positives et adaptées et ce n’est de loin pas un manque de loyauté que de vouloir faire avancer les choses dans la bonne direction. L’histoire nous propose beaucoup d’exemple de traditions militaires remarquables et qui ont été, malgré tout abandonnées au grès des diverses avancées technologiques et autres!.
    Vive l’armée de milice et longue vie à une défense crédible
    Henri P. Monod

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