Il serait bon de ramener l’initiative à sa vocation première, et ne pas encourager des débordements qui risquent de nuire, en définitive, à ce droit. Une telle évolution confirmerait par ricochet l’érection de la justice ….
La votation sur l’initiative Weber sur les résidences secondaires a rendu son verdict, générant des déceptions amères tout en attisant la croisade environnementaliste des vainqueurs. Et à peine le résultat du scrutin connu, les pronostics allaient bon train sur la manière d’appliquer l’initiative, sur les éventuelles marges de manœuvre qu’elle laisserait aux autorités. Comme après chaque votation qui assiste à l’adoption d’une initiative dont les problèmes de concrétisation sont connus…
Ce type de débat post-votation est devenu naturel. On peut le comprendre, tant certaines initiatives sont souvent floues sur plusieurs points. Mais on constate que le système en vigueur tend à accorder un poids inconsidéré au comité d’initiative sur le destin législatif de l’article constitutionnel qui l’a porté et contribué à faire passer. On l’a observé avec l’initiative sur l’expulsion des délinquants étrangers, le « remake » que nous offre l’initiative Weber n’est guère plus ragoûtant.
Dans les deux cas, les initiants deviennent les interlocuteurs presque privilégiés du Conseil fédéral, chargé de proposer un projet de loi, sinon du Parlement, qui a pour mission de le discuter, le corriger, l’amender et le remanier au besoin. Nulle part, notre droit ne convie les initiants à participer à ce travail.
Il s’agit cependant d’un abus du droit d’initiative, commis dans l’indifférence générale. C’est vrai que la tradition suisse incite au dialogue et que toute loi est le fruit d’un consensus lui-même élaboré à travers une longue procédure de discussions, pas toujours conduites par le politique. C’est l’une des forces de notre démocratie directe.
Mais, à un moment où une menace lourde pèse sur le droit d’initiative, par l’immixtion souhaitée par certains du juge dans l’examen de la validité des textes qui doivent être soumis au peuple, il serait bon de ramener l’initiative à sa vocation première, et ne pas encourager des débordements qui risquent de nuire, en définitive, à ce droit. Une telle évolution confirmerait par ricochet l’érection de la justice comme arbitre suprême de notre démocratie directe, comme garant du respect de la hiérarchie des pouvoirs dans une Etat de droit.
Il existe toutefois un moyen assez simple qui rendrait à chacun ses prérogatives constitutionnelles sans nuire aux droits légitimes des initiants: le référendum législatif obligatoire pour les lois destinées à mettre en musique des initiatives populaires.
Notre ordre juridique ne connaît que l’initiative en matière constitutionnelle et le référendum législatif facultatif. A juste titre, il a renoncé au référendum législatif obligatoire, qui aurait par trop alourdi le programme des votations en annihilant une partie considérable du labeur parlementaire. Le peuple a en outre refusé certains aménagements du référendum législatif, comme la possibilité de ne contester qu’une partie d’une loi.
Là aussi, la sagesse a prévalu dans la mesure où cette liberté aurait à coup sûr anéanti l’unité organique qui fait la cohérence de la loi. Ce refus rejoint à certains égards celui du référendum obligatoire comme le profond scepticisme qui entoure l’initiative législative : le peuple est armé pour accepter ou rejeter un texte de loi ; il ne l’est pas pour légiférer lui-même.
Le référendum obligatoire sur les lois d’application des articles constitutionnels issus de votations populaires appartient toutefois à une autre catégorie. On l’a dit, certains articles constitutionnels adoptés par voie d’initiative, à fort contenu polémique et qui ne sont à l’évidence pas applicables directement, sont condamnés à soulever quantité de problèmes pratiques.
Il est clair dès lors que le projet de loi qui en découlera ne passera pas la rampe sans certains frottements. Comme les initiants n’ont pas vocation à participer eux-mêmes au travail législatif, il est néanmoins juste que cette loi ne reste pas du seul ressort du Parlement, qui pourrait en effet trahir la volonté populaire exprimée lors du vote. Tout le monde en est conscient. On le constate aujourd’hui avec l’initiative Weber où, à peine les discussions préliminaires entamées, la menace d’un référendum est déjà brandie au cas où le projet de loi ne les satisferait pas.
Mais ce chantage, compréhensible jusqu’à un certain point, n’est pas acceptable. Laissons le Conseil fédéral et le Parlement réfléchir sereinement, sachant que leur travail sera soumis à la sanction populaire, un destin que toute autre loi est susceptible de connaître. Le texte final que les Chambres approuveront en dernier ressort n’apparaîtra ainsi pas comme un « assemblage » douteux bricolé sur la base de solutions vaguement négociées avec un groupe de personnes qui n’a reçu aucun mandat dans ce sens.
Le peuple pourra alors signifier au Parlement s’il partage son avis et, ce faisant, s’il estime que la réponse à la question posée concrétise efficacement l’initiative votée, ou s’il considère au contraire que les objectifs de celle-ci ont été exagérément négligés. Cela permettrait aussi au Parlement de revenir sur certaines initiatives problématiques en toute transparence démocratique, sans se mettre en porte-à-faux avec le peuple.
Les quelques votations supplémentaires qui en résulteront remettra les comités d’initiative à leur juste place en revalorisant le travail parlementaire et sans surcharger inutilement nos week-ends de votation. Le jeu en vaut la chandelle!
Il n’y pas dans la constitution de hiérarchie des pouvoirs, comme le voudrait notre Solon moderne: il y a un souverain, le peuple auquel tous les pouvoirs sont soumis; pas plus les juges, que les parlementaires ne sont habilités à en remontrer au peuple, hors leurs compétences; donc aucune raison de voir un aréopage de juges, comment désignés (?), pour qualifier ou disqualifier une initiative au-dessus du souverain; dire “..Il s’agit cependant d’un abus du droit d’initiative..” serait à mon avis reprendre la recette léniniste: “Le peuple est souverain, mais lorsque le peuple se trompe, alors le parti communiste a le devoir de guider le peuple dans la ligne du parti.” ce qui n’est pas, je crois, dans l’esprit de notre démocratie!
“Le référendum obligatoire sur les lois d’application des articles constitutionnels..” alourdirait pour de bon l’arsenal juridique dans les mains du peuple et constituerait une guillotine à toute initiative acceptée d’abord et qu’on pourrait s’amuser à rejeter en y regardant de plus près; absurde et contradictoire, proposer au peuple de refuser ce qu’il aurait d’abord accueilli majoritairement est un bon moyen de tuer le droit d’initiative lui-même en contestant d’avance l’application du texte adopté; la mise en application est le travail des parlementaires et les oblige à respecter l’esprit et la lettre de l’initiative, rien que de naturel. On n’a jamais vu des initiants participer à l’élaboration des textes d’application d’une initiative, parler de chantage est déjà un procès d’intention, car la loi une fois adoptée subit le destin de toute loi parlementaire, indépendamment de la volonté des initiants. “.. au contraire que les objectifs de celle-ci ont été exagérément négligés.. ” le vote n’a jamais eu pour dessein d’éclairer sur la réception détaillée d’une loi par le peuple qui se prononce par oui ou non, mais quand notre Solon moderne affirme “.. sans se mettre en porte-à-faux avec le peuple..” on peut lui faire remarquer que le pare-feu est déjà inscrit dans notre loi fondamentale, me semble-t-il.