Frères musulmans: processus et historique de la radicalisation

Introduction

I – Réseaux radicaux

  1. Frères musulmans
  2. Description
  3. Controverse (lien et financement)
  4. Influence dans les pays musulmans
  5. Influence dans les pays européen
  6. Rapports fédéraux
  7. Imams radicaux sur les réseaux sociaux

II – Novlangue

  1. Appariation du terme islamophobie
  2. Création d’un sentiment de persécution
  3. Disparition du terme foulard islamique
  4. Affaire du foulard islamique de Creil
  5. Banalisation du port du voile et interprétation des textes

III – Communautarisme

  1. Seine Saint Denis
  2. Livre Inchallah
  3. Reportage Zone interdite

IV – Complicité

  1. Média
  2. Mediapart
  3. AJ +
  4. Politicien
  5. LFI
  6. PS
  7. Association
    1. Grève féministe / Foulard Violet
    2. Nous Toutes

https://www.watson.ch/fr/suisse/islam/992450377-ramadan-une-serie-d-evenements-musulmans-annules-en-suisse

https://www.watson.ch/fr/suisse/islam/344786084-racisme-beaucoup-de-musulmans-ne-se-sentent-pas-legitimes

https://www.letemps.ch/suisse/lislam-radical-sest-invite-mosquees-suisses?srsltid=AfmBOop-E3QESBQHx7lnoKvyGUPahWP98paFelhLwA_XPY3pOSsQzDQ-

https://www.lacote.ch/suisse/islamisme-la-suisse-ne-se-preoccupe-pas-suffisamment-des-imams-radicaux-696457

https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/11/01/comment-se-decide-l-expulsion-d-imams-radicaux_1784307_3224.html

https://www.letemps.ch/suisse/piste-lislam-radical-geneve?srsltid=AfmBOor8cxEULmhPPJTjLUadR-c-kHyPzlADR2Av8IA5SDzPKzvmx1Rl

L’Europe occidentale fait face depuis maintenant plusieurs décennies à une montée de la radicalisation au sein d’une fraction de ses populations musulmanes. Ce phénomène ne se limite pas à des actes spectaculaires de violence ou à des recrutements pour des groupes terroristes tel que Daech ou Al-Qaïda. Il englobe également l'émergence de réseaux prônant une vision rigoriste de l'islam, l'érosion des principes de laïcité, et la montée d'un discours identitaire en rupture avec les valeurs des sociétés européennes.

Frères Musulmans : historique et idéologie

Les Frères Musulmans constituent un exemple emblématique d’organisation transnationale capable d’exercer une influence majeure sur les institutions religieuses, politiques, culturelles et sociales.

 

Fondée en 1928 en Égypte par Hassan al-Banna, la confrérie des Frères Musulmans se présente comme un mouvement social, religieux et politique visant à rétablir un État islamique basé sur la charia. Bien qu’attestant être un mouvement non violent, les Frères musulmans ont à plusieurs reprises été accusés de soutenir, financer et inspirer des activités terroristes que ce soit par leurs membres affiliés ou par des branches du groupe. Ces zones grises alimentent une méfiance croissante à son encontre, notamment dans les pays occidentaux et dans le monde arabe.

Fondé en 1987, le Hamas est communément considéré comme une émanation palestinienne des Frères musulmans. Mêlant islam sunnite radical et nationalisme palestinien, le mouvement se structure en deux branches distinctes : une aile politique, active au sein des institutions locales, et une branche armée, responsable d’actions violentes à l’encontre d’Israël.
Le Hamas est classé organisation terroriste par l’Union européenne, les États-Unis, le Canada, ou encore l’Égypte, en raison de son recours régulier à des attentats-suicides, des tirs de roquettes, et des prises d’otages. L’attaque du 7 octobre 2023 contre le territoire israélien, d’une ampleur sans précédent, a marqué une escalade brutale dans le conflit israélo-palestinien. Le Hamas justifie son action par une vision religieuse de la Palestine historique (dont Israël), serait une terre musulmane qui ne peut être gouvernée que par des musulmans. En effet ces terres ont été pendant près de 1300 ans a majorité arabe et musulmane alors que pour les juifs israéliens, cette terre leur revient de droit puisque c’est celle de leurs ancêtres qui s’y étaient établis il y a plus de 3000 ans et qu’une partie de la communauté juive ne les a jamais quittés. En représailles, Israël n’a cessé de bombarder la bande de Gaza causant plusieurs dizaines de millier de morts. Pour faire pression, le Hamas se sert toujours des otages capturés lors de l’attentat du 7 octobre et utilise la population palestinienne comme bouclier humain afin d’indigner et de faire réagir la communauté internationale. Récemment, Eli Sharabi, un otage capturé lors de l’attentat du 7 octobre a été remis en liberté après 491 jours de captivité. Sur les images du Hamas, on le voit amaigri, récitant le message suivant : ‘’Je me sens très très heureux aujourd’hui de retrouver ma famille (…) Ma femme et mes filles’’. Pourtant il ne les reverra jamais puisque le groupe armé les ont déjà exécutés au moment de la mise en scène.

Lien entre islam politique et terrorisme

Ayman al-Zawahiri, ancien leader l’Al Qu’Aïda est né dans une famille proche des Frères Musulmans, au Caire. Il intégrera en 1966 ‘’l’Organisation du Jihad’’ à seulement 15 ans. Ce groupe s’est inspiré des idées radicales de Sayyid Qutb, un idéologue islamiste et membre influent des Frères Musulmans qui a notamment théorisé la notion de ‘’Jahiliyya’’, c’est-à-dire le rejet total des sociétés modernes considéré comme aussi impies que les sociétés préislamiques. Pour Qutb, les musulmans ne devraient pas uniquement islamiser progressivement la société mais détruire ces États pour instaurer un régime islamique. Les dirigeants musulmans qui ne gouvernent pas selon la charia, sont pour lui des apostats ce qui permet de légitimer les assassinats politiques et attaques terroristes à leur encontre.

En effet, le sujet de l’apostasie fait débat au sein de la communauté musulmane. D’une part, il n’est pas mentionné dans le Coran qu’un apostat doit mourir mais uniquement ‘’qu’Allah ne leur pardonnera pas’’ (Sourate 4 verset 137). Dans les Hadiths, la deuxième source principale de l’Islam qui correspond au récit rapportant les paroles du prophète Mohammed, il est explicitement dit que les apostats doivent être tués. Les savants, terme utilisé en Islam pour désigner un religieux, reconnu pour avoir étudié plusieurs disciplines religieuses et son intégrité, se divisent en deux catégories.

La premières, les savants classiques estiment, par exemple, que le hadith Sahih al-Boukhari (6922) ‘Celui qui change de religion, tuez-le’ doit être pris au sens littéral, tandis que les savants modernes le replacent dans son contexte historique en ajoutant que cette peine s’applique uniquement s’il y a trahison politique. Les quatre grandes écoles sunnites préconisent toutes la peine de mort, avec une légère variante en fonction du sexe ou de la durée.

  • Pour les hanafites (45%), l’apostat a 3 jours pour se repentir avant d’être condamné à mort
  • Pour les malikites (25%), l’apostat si c’est un homme, doit être exécuter immédiatement. Si l’apostat est une femme, elle doit être emprisonnée
  • Pour les chaféites (20%), l’exécution doit être immédiate après la sommation
  • Pour les hanbalites (10%), l’exécution doit être immédiate

A la fin des années 1970, les Frères Musulmans adoptent une stratégie plus pragmatique : participation au jeu politique, dialogue avec les États, inscription dans le champ associatif et éducatif. Cette orientation est perçue comme une trahison idéologique par une nouvelle génération de militants islamistes, influencée par les écrits de Sayyid Qutb. Parmi eux, Ayman al-Zawahiri se distingue. Médecin égyptien issu d’un milieu bourgeois lié à la confrérie, il adhère dès l’adolescence à une cellule clandestine prônant le jihad armé.

En 1981, les membres du Jihad islamique égyptien assassinent le président ce qui marque une rupture totale avec les Frères Musulmans qui n’approuvent pas cette violence.

En 2012, les Frères Musulmans accèdent au pouvoir. Dans son livre ‘’La moisson amère : les soixante ans des Frères musulmans’’ Zawahiri explique que les Frères Musulmans sont devenus des instruments du projet occidental, notamment à cause de leur participation à des élections démocratiques qu’il juge contraires à la souveraineté divine.

Il rejoint alors les rangs d’Al-Qaïda, puis en deviendra le chef après la mort d’Oussama ben Laden, consolidant la fusion entre idéologie qutbienne et stratégie jihadiste transnationale.

 

Une stratégie d’influence par le tissu associatif

Bien que les Frères Musulmans n’emploient pas la force, de nombreux pays tel que l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes et la Russie ont interdit l’organisation. En Europe, les Frères Musulmans utilisent des organisations caritatives et éducatives pour construire un réseau d’influence.

Présence en France

En France, ce rôle est notamment incarné par l’Union des Organisations Islamiques de France (UIOF), fondée en 1983 et renommée Union des organisations islamiques de France en 1989. Elle regroupe environ 280 associations musulmanes à travers le pays qui pour la plupart, gèrent des mosquées.

On y retrouve par exemple l’Association des musulmans d’Alsace, dont une salariée  avait apporté un couteau lors d’une visite conjugale en prison, suite à laquelle son mari avait poignardé deux surveillants pénitentiaires dans un acte qualifié de terroriste par la ministre de la justice de l’époque.

Une enquête menée par un journaliste du Figaro, a révélé que certaines associations musulmanes d’Alsace bénéficiaient de financement du Qatar afin de favoriser un islam global. Totalement légale, cette démarche a pour but de développer l’islam politique en Europe.

Dans un congrès organisé par l’UIOF à Lille en 2016, la journaliste Laurence Marchand-taillade révélée que plusieurs figures controversées avaient été invités à participer. Mohamad Rateb Al-Nabulsi, un prédicateur syrien ayant déclaré dans l’un de ses écrits qu’il fallait tuer les apostats, Abdellah Sana'an imam à Médine signataire d’un appel au djihad en Syrie et Tariq Ramadan prédicateur suisse d’origine égyptienne accusé par Caroline Fourest dans son livre Frère Tariq : Discours, stratégie et méthode de Tariq Ramadan de double discours en fonction de son auditoire étaient par exemple invités.

Le livre-enquête Inchallah, l’islamisation à visage découvert publié par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, tout deux journalistes pour Le Monde met en lumière l’instauration de lois religieuses tacites en Seine Saint-Denis.

Le cas Suisse

En Suisse, nous disposons de l’un des plus anciens centres islamiques du pays à Genève. Fondé en 1961 par Saïd Ramadan, le centre a pour but de « lutter contre le matérialisme athée » et « servir Dieu ». Son créateur rejoint les Frères Musulmans à 14 ans avant de devenir le secrétaire personnel d’Hassan El Banna, fondateur de la société secrète. Il se rendra en Palestine afin de créer une branche de l’organisation sur place avant d’aller au Pakistan, où il représentera la confrérie à la Conférence islamique mondiale de Karachi. Ce parcours illustre l’empreinte idéologique forte que Saïd Ramadan a léguée au Centre islamique de Genève.

Loin d’être un simple lieu de culte, ce centre a rapidement acquis une portée politique et symbolique bien au-delà des frontières suisses. Il est devenu, dans les décennies suivantes, un point de ralliement pour diverses figures influentes du monde musulman, souvent liées aux mouvements islamistes transnationaux.

Son influence s’étend également sur le plan intellectuel. Des ouvrages de penseurs islamistes majeurs y ont été traduits, diffusés et débattus, contribuant à forger un espace de réflexion aligné sur une vision politique de l’islam. Parallèlement, le centre a été perçu par certains services de renseignement occidentaux comme un point névralgique du réseau des Frères musulmans en Europe.

Cette image a été renforcée par les prises de position controversées de son actuel directeur, Hani Ramadan, fils du fondateur. Ce dernier s’est fait connaître pour ses déclarations polémiques, notamment dans une tribune publiée en 2002 dans Le Monde, dans laquelle il défendait l’application de la lapidation en tant que sanction islamique, qu’il qualifiait de « dissuasive et purificatrice ». Il y évoquait également le sida comme une sanction divine, des propos largement condamnés par les milieux scientifiques et les défenseurs des droits humains. Ses positions très conservatrices sur les rôles et la tenue des femmes, la séparation des sexes, et la sexualité hors mariage ont également été critiquées comme étant en contradiction avec les principes fondamentaux de la société suisse.

Ces propos ont conduit à son licenciement du service public genevois, où il exerçait en tant qu’enseignant, et ont durablement terni l’image du centre aux yeux de l’opinion publique. Malgré cela, Hani Ramadan continue de se présenter comme le défenseur d’un islam « authentique » face à une société occidentale qu’il juge en déclin moral, rejetant les accusations d’extrémisme comme des tentatives de disqualification politique.

Défis contemporains

Dans ce contexte, la Suisse, connue pour sa neutralité et sa tradition d’accueil, s’est retrouvée à jouer un rôle involontaire de plateforme pour des dynamiques géopolitiques complexes. Aujourd’hui encore, cet héritage continue d’influencer les débats sur l’islam politique, l’intégration et la sécurité nationale.

Chez les jeunes, les réseaux sociaux sont le fer de lance de la radicalisation. Si certaines lois, comme celle sur le séparatisme en France, tentent de contenir ce phénomène en affirmant les principes républicains face aux dérives communautaires, la Suisse adopte une approche plus fragmentée, cantonale et moins frontale. Aucun texte d’ampleur nationale ne cible aujourd’hui spécifiquement les dynamiques de repli religieux ou idéologique en ligne, bien que les signaux de radicalisation soient bel et bien pris en compte par les services de renseignement.

 

Cette différence de posture traduit deux conceptions opposées du rôle de l’État : en France, un État centralisé qui impose une vision unitaire de la citoyenneté ; en Suisse, une logique de subsidiarité où chaque canton module sa réponse selon ses priorités locales. Dans ce contexte, la réponse à la radicalisation numérique des jeunes reste hétérogène, dépendante de la volonté politique locale et souvent limitée à des mesures de prévention, plutôt qu’à un cadre législatif cohérent.

 

Dans les deux cas, la législation de chaque pays se heurte à un problème complexe : la délocalisation des imams radicaux qui peuvent continuer de toucher des croyants grâce aux différents canaux informatiques.

 

Or, cette réalité met en lumière un autre défi majeur : la capacité des imams radicaux à contourner les cadres nationaux en se délocalisant physiquement tout en maintenant une influence numérique intacte. Grâce aux plateformes de diffusion en direct, aux vidéos YouTube ou aux comptes anonymisés sur TikTok ou Telegram, certains prédicateurs parviennent à propager un discours rigoriste, voire sécessionniste, sans être soumis au contrôle territorial des États. Cette dissociation entre le lieu de résidence du prédicateur et son champ d'influence rend toute tentative de régulation nationale partielle, voire inopérante.

 

En France, la réponse étatique repose sur une politique d’expulsions administratives ciblées et de fermetures de lieux de culte lorsque les discours franchissent le seuil légal de l’incitation à la haine. La loi contre le séparatisme offre un arsenal renforcé pour encadrer les associations cultuelles, surveiller les financements étrangers et contraindre les plateformes à coopérer. Pourtant, cette stratégie rencontre ses limites dès lors que le prédicateur exerce son influence depuis l’étranger.

 

À l’inverse, la Suisse peine à articuler une réponse unifiée. Si certains cantons surveillent les discours et peuvent engager des procédures de retrait d’autorisation de prêche, la coordination inter-cantonale reste embryonnaire. En l’absence de législation nationale équivalente à celle sur le séparatisme, la prévention repose davantage sur des partenariats locaux, la médiation communautaire et des initiatives pédagogiques visant à développer l’esprit critique des jeunes face aux discours religieux diffusés en ligne.

 

Dès lors, la lutte contre la radicalisation religieuse par voie numérique, et en particulier contre l’influence persistante des imams radicaux, suppose une reconfiguration des outils juridiques et technologiques. Elle exige également une coopération transfrontalière accrue, afin de contrer efficacement ces figures qui, bien que physiquement absentes, continuent d’ancrer une vision idéologique fermée, parfois incompatible avec les valeurs démocratiques de notre pays dans l’esprit de jeunes citoyens souvent en quête de repères.

 

Novlangue

 

Aujourd’hui, critiquer publiquement certains dogmes islamiques peut coûter très cher. En 2024 en Allemagne, un homme a poignardé le militant anti-islam Michael Stürzenberger en pleine rue. Dans une interview accordée au média Front Populaire, le vidéaste apostat Majid Oukacha explique que ‘’critiquer l’islam, c’est risqué la mort sociale, le rejet, la diabolisation communautaire ou familiale voir même des agressions physiques ou des kidnappings’’, il existe de très nombreux autres exemples de ses dires comme le cas de Samuel Paty, Charlie Hebdo, Mila Orriols pour ne citer que les plus connus.

Le terme « islamophobie » n’est pas né dans les milieux militants progressistes ou islamistes du XXIe siècle, mais sous la plume d’un administrateur colonial français, Alain Quellien, en 1910. Dans son ouvrage La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, il entend dénoncer un préjugé européen contre l’islam.

Mais Quellien n’était pas un contempteur de l’islam : il considérait au contraire cette religion comme un levier de civilisation dans les colonies françaises. Convaincu de la mission civilisatrice de la France, il voyait dans l’islam un outil d’intégration des « races inférieures » au progrès occidental. Il affirmait même que les valeurs morales de l’islam étaient « incontestables » et que cette religion pouvait « améliorer les conditions d'existence » des populations africaines.

En somme, le mot "islamophobie" a été forgé non pour défendre la liberté de conscience ou le droit de critiquer une religion, mais pour protéger l’islam contre les préjugés occidentaux, dans une optique coloniale islamophile. Ce renversement historique est essentiel : aujourd’hui, ce terme est souvent instrumentalisé pour faire taire toute critique du dogme islamique, y compris celles qui émanent de penseurs laïques, de féministes ou d’ex-musulmans. Une évolution qui confond critique d’une idéologie et haine des croyants, au détriment du débat démocratique.

Selon un rapport gouvernemental intitulé Frères musulmans et islamisme politique en France, le débat autour de l’islam est en grande partie détourné par une minorité extrémiste qui s’efforce, notamment via internet, de diffuser les interprétations les plus rigoristes de la religion, de faire prédominer un discours victimaire, et de confondre délibérément l’islam avec l’islamisme.

 

Cette stratégie de victimisation sert d’une part à créer un sentiment d’appartenance entre les membres du groupe réuni autours d’un sentiment d’injustice, délégitimer l’adversaire, gagner la sympathie de l’opinion public et pouvoir à terme justifier une radicalisation ou une contre-violence.

 

Banalisation du foulard islamique

 

Mais la stratégie de l’islamisme ne se limite pas à la création et la diffusion d’un nouveau vocabulaire, elle vise également à réinventer la langue afin de donner une nouvelle image à certaines pratiques tel que le port du foulard islamique.

 

 

O Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grandes voiles : elles en seront plus vites reconnues et éviteront d’être offensées. Dieu est Pardonneur et Miséricordieux – Sourate 33 verset 59

 

Si l’on prend les explications de l’exégèse du Coran (appelé Tafsir), Abdullah ibn Abbas, cousin paternel du prophète et premier expert de l’islam explique que la ‘’révélation’’ sur le foulard islamique est initialement une façon de distinguer les femmes pieuses des autres femmes, il était utilisé comme outil de ségrégation entre les femmes musulmanes et les autres. Cette distinction permettait aux hommes de Médine qui sortaient le soir, de savoir qu’elles femmes ils pouvaient agresser, ou non.

En occident, le foulard islamique a longtemps été rejeté en partie à cause de à cause de ce qu’il symbolise dans ses racines exégétiques : un marqueur social de distinction entre les femmes, conçu dès l’origine comme un outil de tri entre celles qui mériteraient respect et celles qui, implicitement, seraient exposées à la violence. Ce rôle initialement ségrégatif du voile, attesté par les commentaires d’Abdullah ibn Abbas sur le verset 59 de la sourate Al-Ahzab, heurte de plein fouet les valeurs d’égalité et de dignité universelle que les sociétés occidentales modernes ont tenté de construire, notamment à travers les droits des femmes.

 

Dans cette perspective, le voile n’est pas seulement perçu comme un symbole religieux, mais comme le produit d’un système de contrôle patriarcal : il fonctionne comme un code visuel permettant de désigner les femmes "respectables" (donc à protéger) et les autres (donc à exposer). Cette logique est profondément étrangère, voire intolérable, pour les démocraties libérales fondées sur le principe selon lequel aucune femme ne devrait avoir à « prouver » sa dignité par un vêtement ou un comportement codifié.

 

C’est aussi ce lien implicite entre voile et violence sexuelle, contenu dans certaines interprétations historiques du texte coranique, qui a alimenté la méfiance. Il suggère que le corps de la femme doit être couvert pour prévenir le regard ou l’agression masculine, transférant ainsi la responsabilité de la violence sur la victime potentielle plutôt que sur l’agresseur. Une telle conception est inconciliable avec les luttes féministes modernes, qui affirment au contraire que le respect du corps des femmes doit être inconditionnel.

 

Dès lors, le rejet du voile en Occident ne se limite pas à une crispation identitaire ou laïque, mais peut aussi s’expliquer par une opposition de fond à une logique de hiérarchisation sexuelle et communautaire que le port du voile, dans certaines interprétations, contribue à incarner.

 

En 1989, la première affaire d’envergure au sujet du voile avait eu lieu en France après que Leïla, Fatima et Samira, trois lycéennes, aient refusé d’enlever leur voile. Elle a conduit à la loi de 2004 interdisant tout signes religieux à l’école. Pourtant aujourd’hui il semble que le débat autour du voile à l’école ne soit plus un problème : récemment, une étudiante au lycée public Caroline Dorian à Paris se serait vu autorisé le port du foulard islamique par son ordonnance de son médecin.

 

Le foulard n’est donc pas seulement un symbole religieux mais également identitaire. Dans le livre Inch’Allah : l’islamisme à visage découvert, les deux journalistes du Monde Fabrice Lhomme et Gérard Davet mettent en évidence par le biais de portrait d’habitants comment l’islam c’est imposé dans certains endroits de France (ici la Seine-Saint-Denis).

 

À travers une enquête de terrain menée pendant un an, ils décrivent comment la religion musulmane, bien au-delà de la simple pratique spirituelle, est devenue pour beaucoup un repère culturel, social et politique dans des territoires en rupture avec les institutions républicaines. Le port du voile y apparaît souvent moins comme un choix intime que comme un marqueur communautaire, un signe d’appartenance imposé ou attendu, en particulier dans les quartiers où la pression sociale est forte. Certaines femmes témoignent du fait qu’elles portent le hijab non pas par foi, mais pour éviter les regards réprobateurs, les insultes, voire l’isolement.

 

L’enquête révèle aussi que cette islamisation du quotidien s’exprime dans de nombreux domaines : refus de certaines matières scolaires jugées contraires à la religion, imposition de normes religieuses dans des clubs de sport ou des lieux publics, prières dans des dépôts de bus, ou encore stratégies d’influence dans la vie municipale. Les auteurs ne pointent pas une conquête centralisée, mais un ensemble de glissements progressifs, souvent tolérés ou ignorés par les autorités locales, parfois sous couvert de paix sociale ou par crainte d’accusations de discrimination.

 

Ainsi, à travers ces récits concrets, Inch’Allah montre comment le religieux devient identitaire, et comment le voile, dans certains contextes, cesse d’être un simple signe de foi pour devenir le symbole visible d’une contre-société en formation, avec ses propres codes, normes et rapports de force. Ce constat soulève une question fondamentale : où s’arrête la liberté religieuse, et où commence le repli communautaire ?

 

La complicité des médias

 

À sa sortie, le livre a reçu de nombreuses critiques, notamment de journaliste de Médiapart, le journal militant d’extrême-gauche. À sa sortie, le livre a reçu de nombreuses critiques, notamment de journalistes de Mediapart, le journal militant d’extrême gauche. Ces derniers lui reprochent une approche jugée sensationnaliste, fondée sur une accumulation de témoignages sans véritable mise en contexte. Selon eux, l’enquête manque de rigueur analytique, amalgame pratiques religieuses et dérives islamistes, et renforce des stéréotypes sans tenir compte des réalités sociales et économiques de la Seine-Saint-Denis. Mediapart critique également l’absence de voix expertes dans le récit et accuse les auteurs d’instrumentaliser certains témoignages pour appuyer une thèse préétablie sur « l’islamisation » du territoire.

 

Mediapart n’a pourtant pas non plus fait appel à des sociologues ou des historiens pour décortiquer certains propos du livre, se contentant d’une critique idéologique sans réelle contre-expertise. Or, il est peut-être un peu difficile de balayer d’un revers de main ces récits quand ils décrivent des réalités aussi préoccupantes : des femmes qui portent le voile non par foi mais par peur du regard ou du rejet de leur entourage, des enseignants menacés pour avoir évoqué la laïcité ou montré certaines œuvres en classe, ou encore des salles d’école où l’on impose une séparation entre garçons et filles. Ces faits, qu’on les juge isolés ou révélateurs, méritent mieux que le soupçon systématique ou l’accusation de stigmatisation : ils posent des questions de fond sur le recul des principes républicains, la liberté individuelle et l’autorité de l’école. Ignorer ces tensions au nom d’une lecture purement sociale ou culturelle, c’est refuser de voir ce que certains subissent au quotidien, au nom d’une religion parfois instrumentalisée à des fins identitaires ou politiques.

 

Toujours chez les journalistes, c’est exclusivement sur les réseaux sociaux que le journal AJ+ diffuse son contenu. Financé par l’état du Quatar, le média dépend du pouvoir politique local. Sur sa chaîne française, AJ+ se revendique comme étant un média inclusif à destination des jeunes, ses thèmes principaux sont tous ce qui touche à l’intersectionnalité : les femmes, les LGBT, l’immigration, l’islamophobie, l’antisionisme etc.

 

Pourtant sur sa chaîne national, il n’est pas question d’inclusivité bien au contraire. La ligne éditoriale du média est conservatrice, religieuse et souvent alignée avec les intérêts idéologiques du régime qatari. En 2019, AJ+ Arabic avait d’ailleurs publié une vidéo niant partiellement la Shoah, affirmant que les Juifs avaient "profité de l’Holocauste" pour justifier la création d’Israël. Face au tollé international, la vidéo avait été retirée, mais l’épisode a révélé le double standard du média.

 

Plus largement, alors qu’AJ+ en Occident se présente comme féministe, pro-LGBT et antiraciste, sa version arabe évite totalement les sujets liés aux droits des femmes, aux minorités sexuelles ou aux discriminations dans le monde musulman. Pas un mot sur les persécutions des personnes LGBT au Qatar, sur les femmes emprisonnées en Arabie saoudite pour avoir voulu conduire, ni sur les lois religieuses qui restreignent les libertés dans les pays du Golfe.

 

Cette stratégie révèle un double discours assumé : progressiste à l’Ouest, pour capter l’attention militante et affaiblir symboliquement les démocraties occidentales, conservateur à l’Est, pour ne pas heurter les régimes ou mouvances islamistes soutenus ou tolérés par Doha. Une communication à géométrie variable qui pose de sérieuses questions sur la sincérité éditoriale et la fonction réelle d’un média prétendument engagé pour les droits humains.

 

Les politiques ne sont pas en reste

 

En dehors des médias, certains partis politiques s’emparent également des enjeux liés à l’islam et au voile islamique parfois par opportunisme, d’autres fois par intersectionnalité, en adoptant un vocabulaire nouveau et en défendant des positions de plus en plus alignées avec des revendications identitaires. L’usage de termes comme « islamophobie », « voile » ou « stigmatisation des musulmans » n’est plus limité aux associations militantes ou à certains médias : il est désormais intégré dans les discours officiels de formations politiques bien implantées.

 

Des partis comme La France Insoumise (LFI) en France ou certains segments du Parti Socialiste en Suisse romande se positionnent régulièrement en défense de la communauté musulmane, qu’ils présentent comme une minorité discriminée, marginalisée et injustement ciblée par les politiques sécuritaires et laïques. Le port du voile, autrefois considéré comme un sujet sensible ou controversé, est désormais présenté par ces partis comme un choix libre, personnel et légitime, que l’État ne devrait pas réguler.

 

Ce positionnement s’accompagne souvent d’un soutien à des discours victimaires, dans lesquels les musulmans sont perçus comme les premières victimes des lois sur la laïcité, des médias, ou encore de la police. Cette posture politique cherche à séduire un électorat jeune, urbain et issu de l’immigration, en valorisant la diversité culturelle et religieuse au nom du vivre-ensemble. Mais elle suscite aussi des critiques, notamment de la part de défenseurs d’une laïcité stricte, qui y voient une forme de complaisance communautariste, voire un renoncement aux principes républicains.

Ainsi, la bataille des mots entre « liberté religieuse » et « séparatisme », entre « islamophobie » et « critique légitime de l’islam » est désormais aussi une bataille politique, où certains partis n’hésitent plus à adopter des éléments de langage portés à l’origine par des cercles militants ou religieux. Cette évolution du discours politique traduit un glissement important dans la manière dont les questions d’identité, de religion et de minorités sont aujourd’hui abordées dans le débat public.

 

Les associations, premier rempart face à la laïcité

 

Ce glissement idéologique ne se limite pas aux partis politiques. De nombreuses associations, aujourd’hui bien implantées dans le paysage militant, jouent un rôle central dans la redéfinition des termes du débat. Là où la laïcité était autrefois perçue comme une protection universelle de la liberté de conscience, elle est désormais, dans certains milieux associatifs, présentée comme un instrument de domination, voire comme une forme d’oppression ciblant spécifiquement les musulmans.

 

Des collectifs comme Les Foulards Violets, le CCIF (avant sa dissolution), le collectif contre l’islamophobie structurelle, ou encore certaines branches de Nous Toutes, accusent la République de violer les droits fondamentaux des femmes musulmanes, notamment celles qui portent le voile. Pour elles, la laïcité n’est plus une garantie d’égalité, mais un outil de contrôle social sur les corps et les identités perçues comme "non conformes".

 

Ces associations adoptent une logique militante d’inversion symbolique : le port du voile, autrefois présenté comme un signe de soumission, devient un symbole d’émancipation. À l’inverse, la neutralité de l’espace public, pilier de la laïcité française, est dénoncée comme une violence culturelle imposée par la majorité blanche et sécularisée. Cette rhétorique, souvent portée par des collectifs féministes dits « décoloniaux », associe la défense des minorités religieuses à un combat antiraciste global, où la critique de certaines pratiques religieuses est assimilée à une forme de haine raciale.

 

Cette dynamique fragilise le consensus républicain autour de la laïcité, qui supposait jusqu’alors la séparation stricte entre sphère publique et sphère religieuse. Elle brouille aussi les repères traditionnels du féminisme, en opposant un féminisme universaliste (centré sur l’émancipation face à toutes les formes de domination) à un féminisme intersectionnel (centré sur l’écoute des vécus minoritaires, même s’ils incluent des codes religieux conservateurs).

 

Dans ce contexte, les associations militantes deviennent des acteurs politiques à part entière, non élus mais influents, qui façonnent le débat public, influencent les médias et exercent une pression constante sur les institutions. En s’érigeant en remparts face à ce qu’elles perçoivent comme une laïcité répressive, elles redéfinissent les frontières entre liberté, croyance et appartenance communautaire.

Léa Sauchay, août 2025

Un commentaire

  1. Posté par Poilagratter le

    Par la CIA pour déstabiliser les pays, pour instaurer la dictature mondiale de la mafia du Nouvel Ordre Mondial.

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