Ce mardi, le ministre de l'Écologie, Philippe Martin, indiqua une suspension de l'écotaxe "jusqu'à la remise à plat de la fiscalité globale". Un report sine die en langage clair. Le ministre fut pourtant désavoué par son supérieur Jean-Marc Ayrault le jour même: l'écotaxe serait de retour en juin 2014.
Cet épisode n'est qu'un cafouillage de plus dans un pays où la confusion règne de la base au sommet. Comment mettre en place l'écotaxe, d'ailleurs? Les portiques encore debout doivent être surveillés en permanence par des escadrons de gendarmes mobiles tandis que les hélicoptères de police patrouillent de nuit pour essayer de sauver les radars routiers bretons du vandalisme... A l'instar d'une mafia, les quelques moyens dont dispose encore l'Etat français semblent exclusivement réservés à la préservation des infrastructures qui lui rapportent de l'argent.
Le solde sert sans doute à préserver de la foule un gouvernement historiquement impopulaire. Avec une cote d'amour présidentielle tournant autour de 15% d'opinions favorables, il vaut mieux être sur ses gardes. François Hollande est peut-être plus en sécurité en prenant la parole depuis son voyage en Israël que du perron de l'Elysée. En outre, il a probablement plus à dire à la Knesset qu'aux citoyens français.
Le président n'a pas de vue d'ensemble. Ce n'est pas surprenant. Lorsque l'horizon ressemble à un mur, la myopie devient une forme de défense. Mais qu'attend-t-on de lui au juste? "Le réflexe français est toujours celui d'attendre un sauveur", assure Dominique de Villepin, ancien premier ministre à n'avoir jamais affronté la moindre élection. L'homme providentiel est attendu avec impatience, puisqu'il est doté de pouvoirs magiques permettant de résoudre tous les problèmes sans effort. C'est presque dommage qu'il n'existe pas.
François Hollande est fidèle à son époque. En guise de génies désintéressés, la France n'a subi qu'une succession de politiciens aussi carriéristes qu'inefficaces. Même Jacques Chirac aurait été proprement laminé dès 2002 s'il n'avait été opposé à l'infréquentable patriarche du Front National. Magie de la démocratie française, il réussit le tour de force d'être élu à plus de 80% tout en étant méprisé par tout le monde. Son successeur Nicolas Sarkozy suscita l'enthousiasme en plaidant un programme de réforme, mais se contenta ensuite de naviguer à vue en commandant d'innombrables sondages pour mieux savoir comment être populaire. Las! A force de vouloir plaire à tout prix on se fait détester. L'affaire Strauss-Kahn fut le dernier coup du sort jetant sur le devant de la scène François Hollande, un président normal, basique, étriqué, sans épaisseur et sans programme. Bonne pioche.
Élu sur un malentendu, François Hollande est à peu près aussi éloigné qu'on puisse l'être de toute définition de l'homme providentiel. Mais l'individu aime le pouvoir - il n'a fait que le cultiver toute sa vie - et n'y renoncera pas. Il pourrait même le conserver en 2017 à la faveur d'un second tour contre Marine le Pen. Le pari est dangereux mais il tentera sa chance. Le tout est de bien doser les remaniements ministériels et les dissolutions. Si la tendance est au quinquennat unique, le temps des intrigues n'est pas terminé.
Pour la France - le pays réel, pas le microcosme parisien des élites politiques et médiatiques - l'avenir a un goût de brouet. Taxée jusqu'à l'étranglement, la population voit la fuite ou la médiocrité comme seules solutions. Plus d'un tiers des 18-34 ans veut s'expatrier, selon un sondage récent, qui ne tient évidemment pas compte des centaines de milliers de jeunes à avoir déjà plié bagages. Le départ des forces vives n'a rien d'original quand l'argent quitte aussi le pays ou disparaît des circuits officiels pour rejoindre l'économie souterraine. Resteront en France les personnes âgées, les assistés sociaux, des combinards travaillant au noir, et quelques grosses entreprises faisant de toute façon l'essentiel de leur chiffre d'affaire hors des frontières hexagonales.
Sans même chercher à faire des économies, pas facile de boucler un budget dans ces conditions, évidemment. Il n'est donc pas surprenant que la France n'y arrive pas. Bruxelles a accepté du bout des lèvres celui de Paris pour 2014, mais ne nous y trompons pas: il s'agit juste de ménager un pays important avant des élections européennes où les contestataires ont le vent en poupe. Comme "le pays n'a aucune marge de manœuvre", pour reprendre les mots d'un commissaire européen, il est parfaitement fantaisiste d'imaginer que les courbes tracées jusqu'en 2015 résistent à la récessiondans laquelle retombe l'économie...
La France n'évolue pas, ne se réforme pas, elle se désagrège. Tous les voyants sont au rouge, certains plus vifs que d'autres: note des agences, chômage, croissance, dette publique, déficits, prélèvements obligatoires, consentement à l'impôt, tissu social, intégration... Quant à deviner d'où viendra le coup de grâce, il est probable qu'il vienne de la fiscalité. Des recettes moindres que prévues et tous les compteurs exploseront. C'est pour bientôt.
La France n'a plus qu'un rôle à jouer, celui de l'exemple à ne pas suivre.
Dans quelques années, en regardant en arrière, les Français se lamenteront du temps perdu, de ces années gâchées dans des réformes cosmétiques sans jamais s'atteler au fond. François Hollande n'est visiblement pas le président des réformes, c'est un fait. Mais qu'aurait-il eu à perdre à essayer? S'il s'était engagé sur ce sentier peu fréquenté, il aurait eu une chance de laisser pour de bonnes raisons son nom dans l'histoire et il n'est même pas certain que sa cote de popularité serait alors aussi basse qu'aujourd'hui.
Stéphane Montabert
Parce que des réformes imposent que chacun prennent ses responsabilités, un discours antinomique pour la gauche