Pour Malouf la mondialisation qui se traduit plus par l’uniformisation nord-américaine que par l’universalité humaniste fait naître le besoin d’identité, une identité réinventée plus que conservée chez les migrants, une identité souvent malheureuse chez les autres, chez les Français en particulier.
Alain Finkielkraut rappelle le second message de Claude Levi-Strauss. Si le racisme qui confond nature et culture est faux et condamnable, la fidélité à sa culture, à cette chose « précieuse, fragile et périssable » est un devoir altruiste, celui de conserver et de développer un trésor pour l’échanger, sans en nier la valeur. C’est là la condition d’une identité heureuse et généreuse face aux identités meurtrières auxquelles il ne faut rien abandonner.
Amin Maalouf est Franco-Libanais et issu d’une famille tissée de la diversité des Chrétiens d’Orient. Alain Finkielkraut est un Français dont la famille juive polonaise a subi la persécution nazie. Tous deux sont venus d’ailleurs mais l’un et l’autre participent à l’enrichissement du trésor qui leur est commun : la langue française. Au delà de leurs communautés nationales ou religieuses d’origine à l’égard desquelles ils cultivent l’un et l’autre une lucidité distante mais nullement indifférente, la France est leur terre d’élection, parce que c’est celle qui a accueilli et abrité leur pensée. Or leur réflexion a abordé le même rivage, celui, passionnant ou inquiétant, de l’identité. Pour le premier, qui se voudrait sans doute citoyen du monde, elle est meurtrière, pour le second, elle est devenue malheureuse.
De quelle identité s’agit-il ? Amin Maalouf place au premier plan l’identité personnelle. Une personne ne se résume pas à une appartenance qui serait dominante. Elle peut être partagée entre celle d’où elle vient et celle du pays où elle vit. Elle peut en ressentir plusieurs et même en changer. Pour lui, l’identité communautaire enferme. Elle peut être fallacieuse et meurtrière. Le citoyen du monde peut se sentir plus proche d’un passant de Séoul ou de San Francisco que de son arrière grand-père. Néanmoins, voyageur avec bagages, l’immigrant sera d’autant plus ouvert à la culture d’accueil que les autochtones respecteront la sienne. Le monde qui advient est celui des minoritaires et des migrants, nous dit-il. Les « frontaliers » sont des ponts entre les cultures, qui ne doivent pas être obligés de choisir leur camp ni contraints de prolonger seulement l’histoire du pays qui les accueille. Le livre d’Amin Maalouf, les Identités Meutrières, est ainsi rempli des bons sentiments d’un immigré de haut niveau, humaniste, membre d’une communauté internationale qui est celle de la culture et de l’écriture. Toutefois, sa volonté d’être un spectateur impartial est parfois prise en défaut. Toutes les religions se valent, ce sont les comportements des religieux plus que la doctrine de la religion qu’il faut considérer, suggère t-il. Peut-être aurait-il pu songer à la permanence des comportements humains, à la violence, à la tendance naturelle à distinguer le même de l’autre, et à la capacité plus ou moins forte de telle ou telle religion de s’y opposer et d’en triompher ? Le Christianisme ou l’Islam, sans parler de l’Hindouisme, ne sont pas semblables sur ce point et n’ont pas fait évoluer les sociétés de manière comparable. Lorsqu’il affirme, par exemple, que toute pratique discriminatoire est dangereuse, n’est-ce pas une pensée chrétienne peu présente chez d’autres ? Mais, la mondialisation qui se traduit plus par l’uniformisation nord-américaine que par l’universalité humaniste fait naître le besoin d’identité, une identité réinventée plus que conservée chez les migrants, une identité souvent malheureuse chez les autres, chez les Français en particulier.
C’est le thème du dernier livre d’Alain Finkielkraut. Le besoin d’identité, c’est d’abord la résistance du citoyen, du membre de la Cité pour ne pas être réduit à n’être qu’un travailleur-consommateur. Mais cette résistance ne trouve qu’une faible ligne de défense dans la fragilité de l’identité nationale. « Nulle hérédité n’empêche les héritiers que nous sommes de laisser l’héritage en plan », écrit Finkielkraut. En face d’une immigration familiale qui vient avec ses moeurs et ses valeurs, la mauvaise conscience européenne saturée de culpabilité post-coloniale et de laïcité relativiste, n’offre que le terrain vague de ses incertitudes. Elle n’a plus la force de transmettre, d’être la référence pour celui qui arrive. Elle recule sur les coutumes et les costumes, elle doute de son enseignement. Elle cherche sa rédemption dans son effacement. Le Christianisme se veut hospitalité, la laïcité totale tolérance, la Nation oubli de son Histoire. L’Europe se définit par son cosmopolitisme afin de se faire pardonner le nazisme. La France à la recherche de son identité est baptisée « conglomérat » et « métissage » par le Ministre en charge de cette recherche. La haine entretenue de la maison natale laisse effectivement se dresser les identités meurtrières des migrants et des minoritaires devant l’obligation impérieuse de cacher ou d’ignorer des racines trop empreintes d’un orgueil inconvenant. Noël, non, mais l’hiver et Pâques, le Printemps. On n’enseignera plus le Cid, ni Tartufe, ni Louis XIV, bref, on effacera l’essentiel, pour ne pas paraître raciste ou xénophobe. A force de savoir qu’avec la fin des colonies, on n’est plus chez soi, chez les autres, on finit par ne plus se sentir chez soi à la maison.
Or ce lâche renoncement est le contraire de l’Humanisme. Alain Finkielkraut rappelle le second message de Claude Levi-Strauss. Si le racisme qui confond nature et culture est faux et condamnable, la fidélité à sa culture, à cette chose « précieuse, fragile et périssable » est un devoir altruiste, celui de conserver et de développer un trésor pour l’échanger, sans en nier la valeur. C’est là la condition d’une identité heureuse et généreuse face aux identités meurtrières auxquelles il ne faut rien abandonner.
Christian Vanneste, 19 novembre 2013
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