La fête ou l’entrecôte, il faut choisir

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CHRONIQUE. La Fête de la musique à Genève sera placée sous le signe de la durabilité. La plupart des stands ne proposeront pas de viande. Ou quand l’Etat franchit un cap dans la restriction des libertés individuelles, s’alarme notre chroniqueuse

Dans un bistrot à Genève, Kilian et Jeremy fomentent leur coup. En cet été 2034, la contrebande de barbaque bat son plein. Les deux malfrats s’en félicitent, eux dont le commerce est devenu la plus juteuse filière clandestine de la République. Ce soir, ils décident d’attaquer le marché carné du pays de Vaud. Sur le pavé patrouillent des agents de la brigade morale cantonale mise en place par le Conseil éclairé. Voilà pour la dystopie.

Pour de vrai, juin 2023, conférence de presse de la ville de Genève pour annoncer le programme de la Fête de la musique. Le conseiller administratif socialiste Sami Kanaan ne s’en tient pas à une présentation strictement culturelle. Il signale aussi que cette édition prévoit… des restrictions alimentaires. Ce n’est pas vendu comme cela, évidemment, mais pour qui possède un peu d’esprit critique, la formule n’est pas outrancière, voyez plutôt: la proportion de bœuf servie sur les stands ne dépassera pas 7% et 65% des plats seront végétariens.

Dans sa magnanimité, la ville tolère cependant une entorse au bien-manger pour les 28% restants, afin de ne pas mettre à l’index les traditionnelles saucisses de porc et le poulet, dont le bon peuple raffole encore. Le plastique, lui, est totalement proscrit, ce qui ne devrait chiffonner personne.

Ouf! Il nous reste donc, cette année, un tiers de liberté dans l’assiette. Non pas qu’il nous faille absolument dévorer des pièces saignantes de bœuf et des racks d’agneaux pour goûter aux arpèges. Moi-même, je me jette quotidiennement sur de vieilles salades détox et autres légumes oubliés avec l’entrain d’une ruminante. Non, ce qui m’indispose est ailleurs.

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### Une course effrénée à la pureté

Nous venons encore de franchir un cap dans la dictature du bien. Vous me direz que nous avons quand même pris pas mal de retard sur le calendrier prévu par George Orwell dans son _1984_. Certes, mais j’aurais préféré que le génial écrivain s’y trompât. Il n’en est rien. Jusqu’à présent, l’Etat s’en tenait à orienter le citoyen dans ses choix de consommation, de mobilité ou de chauffage. Il passe désormais la vitesse supérieure de manière insidieuse. Que Big Brother, au nom d’une juste cause – je rappelle que toutes les causes, y compris les totalitarismes, étaient justes aux yeux de leurs promoteurs – décide du menu du citoyen est alarmant. Si les élus férus de durabilité se mettent à m’imposer leur régime alimentaire, alors qu’ils m’infligent déjà une prose épicène que le _vulgus_ ne pratique pas, il faut craindre une dérive. Jusqu’aux eaux troubles du diktat au nom de l’exemplarité.

Alors se dévoie l’Etat, qui me paraissait devoir être au service de la population. Il signe son ingérence dans les choix individuels, dans les usages, dans l’intime, dans notre bouche. En limitant la viande dans une manifestation, les pouvoirs publics constituent une entrave à la plus élémentaire des libertés. Ma nourriture, ma langue, ma chambre à coucher ne regardent que moi. Qu’il propose, soit, mais que je dispose. Et qu’on n’aille pas me rétorquer que la conscience écologique est ici à l’œuvre, parce que les représentants de l’Etat sont seuls à ne pas reconnaître qu’ils agissent au nom du sens moral dans une course effrénée à la pureté. Les voilà d’ailleurs qui doublent les entreprises affublées du dossard _greenwashing_.

Un peu plus loin, dans le futur, Kilian et Jeremy se marrent. L’orthodoxie alimentaire a fait leur beurre. La liberté, ils s’en occuperont plus tard, peut-être, s’il est encore temps.

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