Selon l’historien Guillaume Cuchet, la recomposition du paysage religieux en France est telle que le catholicisme, qui s’effondre, se voit de plus en plus concurrencé par l’islam et le protestantisme évangélique. ) Guillaume Cuchet est professeur d’histoire contemporaine. Il est l’auteur de « Comment notre monde a cessé d’être chrétien » (Seuil, 2018) et « Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? » (Seuil, 2021)
Le catholicisme en France traverse une crise, mais historiquement l’Église en a connu d’autres. Cette crise est-elle plus grave ?
Quand on relit aujourd’hui des témoignages datant des années de la crise post-conciliaire, de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ou des lendemains de la Révolution, quand Pie VII négociait difficilement le concordat napoléonien, force est de constater qu’on avait déjà le sentiment que l’Église vivait une crise majeure, potentiellement mortelle. Ses adversaires annonçaient volontiers « la fin des dogmes » à courte échéance – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Donc, du point de vue de l’intensité de la crise, notre situation n’est pas nouvelle ni même, sans doute, pire que par le passé, mais sa nature est différente et, à bien des égards, plus inquiétante. Les crises du passé provenaient souvent de chocs externes, d’origine politique, généralement, alors que, dans le cas présent, les principaux facteurs sont internes, liés à l’effondrement de la pratique, des vocations, de la crédibilité du message, à la crise des abus sexuels. Le fond est davantage engagé.
L’enquête « Trajectoires et origines 2 », de l’Insee et de l’Ined, publiée le 30 mars 2023, suggère une désaffection accélérée pour le catholicisme, mais la pratique religieuse reste importante chez les populations immigrées en France. Ces données permettent-elles d’imaginer à quoi ressemblera l’Église dans 30 ans ?
Je le crois. Cette enquête devrait être méditée sérieusement par les catholiques français et leurs pasteurs car elle est très instructive. Le premier constat est que les choses évoluent très vite depuis « Trajectoires et origines 1 », en 2008. On est dans une phase de recompositions accélérées, et ce d’autant plus que l’enquête porte sur les 18-59 ans, c’est-à-dire des gens nés après 1960, ligne de partage désormais bien repérée par les historiens.
Ces générations sans grand passé religieux sont disponibles pour de profondes réorganisations. L’enquête confirme des tendances déjà repérées mais qui s’accentuent : la montée de l’islam (de 8 à 11 %, + 37 % en 12 ans), l’effondrement du catholicisme (de 43 à 25 %), la montée des sans-religion (de 45 à 53 %).
Si on prolonge les courbes, on voit bien le paysage qui va s’imposer. L’immigration joue un rôle croissant dans ces évolutions parce qu’elle reste massive (plus de 10 % de la population) et qu’elle recompose la religion « qui reste ». Les Français sans ascendance migratoire continuent à sortir massivement du catholicisme comme si de rien n’était.
Dans ces conditions, si rien ne change, il n’est pas impossible que le catholicisme devienne, un jour pas si lointain, la deuxième, voire la troisième religion du pays. Ce qui était hier encore inimaginable ou considéré comme une hypothèse d’école idéologique est devenu possible, voire probable. De bons spécialistes de l’islam et du protestantisme évangélique en sont persuadés. […]
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