L’ivresse de la guerre

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Le public, bombardé de propagande de guerre, chérit son auto-immolation

Par Chris Hedges

L'Amérique est une stratocratie, une forme de gouvernement dominée par l'armée. C'est un axiome pour les deux partis au pouvoir qu'il doit y avoir une préparation constante à la guerre. Les budgets massifs de la machine de guerre sont sacro-saints. Ses milliards de dollars de gaspillage et de fraude sont ignorés. Ses fiascos militaires en Asie du Sud-Est, en Asie centrale et au Moyen-Orient ont disparu dans la vaste caverne de l'amnésie historique. Cette amnésie, qui signifie qu'il n'y a jamais de responsabilité, autorise la machine de guerre à éventrer économiquement le pays et à conduire l'Empire dans un conflit autodestructeur après l'autre. Les militaristes gagnent toutes les élections. Ils ne peuvent pas perdre. Il est impossible de voter contre eux. L'état de guerre, comme l'écrit Dwight Macdonald, est une Götterdämmerung "sans les dieux".

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral américain a dépensé près du tiers de ses dollars issus des impôts pour des opérations militaires passées, présentes et futures. Il s'agit de la plus grande activité servant à financer le gouvernement. Les systèmes militaires sont vendus avant d'être produits avec la garantie que même d'énormes dépassements de coûts seront couverts. L'aide accordée à d'autres pays est liée à l'achat d'armes américaines. L'Égypte, qui reçoit des États-Unis quelque 1,3 milliard de dollars de financements militaires, est tenue de les consacrer à l'achat et à l'entretien des systèmes d'armes américains. Israël a reçu 158 milliards de dollars d'aide bilatérale des États-Unis depuis 1949, la quasi-totalité depuis 1971 sous forme d'aide militaire, la majeure partie étant destinée à l'achat d'armes auprès de fabricants d'armes américains. Le public américain finance la recherche, le développement et la construction de systèmes d'armes, puis achète ces mêmes systèmes d'armes au nom de gouvernements étrangers. Il s'agit d'un système circulaire d'assistance aux entreprises.

Entre octobre 2021 et septembre 2022, les États-Unis ont dépensé 877 milliards de dollars dans l'armée, c'est plus que les 10 pays suivants, dont la Chine, la Russie, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni réunis. Ces énormes dépenses militaires, jointes aux coûts croissants d'un système de santé à but lucratif, ont porté la dette nationale américaine à plus de 31 mille milliards de dollars, soit près de 5 mille milliards de dollars de plus que l'ensemble du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis. Ce déséquilibre n'est pas tenable, surtout maintenant que le dollar n'est plus la monnaie de réserve mondiale. En janvier 2023, les États-Unis avaient dépensé un montant record de 213 milliards de dollars pour le paiement des intérêts de leur dette nationale.

Le public, bombardé de propagande de guerre, acclame son auto-immolation. Il se délecte de la beauté méprisable de nos prouesses militaires. Il s'exprime au moyen des clichés vomis par la culture de masse et les médias de masse, clichés qui empêchent de penser. Il s'imprègne de l'illusion de la toute-puissance et se vautre dans l'auto-adulation.

L'ivresse de la guerre est un fléau. Elle donne une euphorie émotionnelle qui est imperméable à la logique, à la raison ou aux faits. Aucune nation n'est à l'abri. La plus grave erreur commise par les socialistes européens à la veille de la Première Guerre mondiale a été de croire que les classes ouvrières de France, d'Allemagne, d'Italie, de l'Empire austro-hongrois, de Russie et de Grande-Bretagne n'allaient pas être divisées en tribus antagonistes par les conflits opposant leurs gouvernements impérialistes. Elles n'allaient pas souscrire, se disaient les socialistes, au massacre suicidaire de millions de travailleurs dans les tranchées. Las, presque tous les dirigeants socialistes ont abandonné leur plate-forme anti-guerre pour soutenir l'entrée de leur nation dans la guerre. La poignée de ceux qui ne l'ont pas fait, comme Rosa Luxemburg, ont été envoyés en prison.

Une société dominée par les militaristes déforme ses institutions sociales, culturelles, économiques et politiques pour servir les intérêts de l'industrie de guerre. La nature réelle de l'armée est masquée par des subterfuges: l'utiliser pour mener des missions de secours humanitaires, évacuer des civils en danger, comme on le voit au Soudan, définir l'agression militaire comme une "intervention humanitaire" ou un moyen de protéger la démocratie et la liberté, ou louer l'armée comme remplissant une fonction civique vitale en enseignant aux jeunes recrues le leadership, la responsabilité, l'éthique et les compétences. Le vrai visage de l'armée - le massacre industriel - est caché.

Le mantra de l'État militarisé est la sécurité nationale. Si chaque discussion commence par une question de sécurité nationale, chaque réponse inclut la force ou la menace de la force. La préoccupation des menaces internes et externes divise le monde en amis et ennemis, bien et mal. Les sociétés militarisées sont un terreau fertile pour les démagogues. Les militaristes, comme les démagogues, voient les autres nations et cultures à leur image – menaçantes et agressives. Ils ne recherchent que la domination.

Il n'était pas dans notre intérêt national de faire la guerre pendant deux décennies à travers le Moyen-Orient. Il n'est pas dans notre intérêt national d'entrer en guerre avec la Russie ou la Chine. Mais les militaristes ont besoin de la guerre comme un vampire a besoin de sang.

Après l'effondrement de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev et plus tard Vladimir Poutine ont fait pression pour être intégrés dans les alliances économiques et militaires occidentales. Une alliance incluant la Russie aurait annulé les appels à l'élargissement de l'OTAN - ce que les États-Unis avaient promis de ne pas faire au-delà des frontières d'une Allemagne unifiée - et aurait rendu impossible de convaincre les pays d'Europe centrale et orientale de dépenser des milliards en matériel militaire américain. Les demandes de Moscou ont été repoussées. La Russie est devenue l'ennemi, qu'elle le veuille ou non. Rien de tout cela ne nous a donné plus de sécurité. La décision de Washington d'intervenir dans les affaires intérieures de l'Ukraine en soutenant un coup d'État en 2014 a déclenché une guerre civile et l'invasion russe qui a suivi.

Mais pour ceux qui profitent de la guerre, contrarier la Russie, comme contrarier la Chine, est un bon modèle économique. Northrop Grumman et Lockheed Martin ont vu leurs cours boursiers augmenter respectivement de 40% et 37% à la suite du conflit en Ukraine.

Une guerre avec la Chine, désormais un géant industriel, perturberait la chaîne d'approvisionnement mondiale avec des effets dévastateurs sur l'économie américaine et mondiale. Apple fabrique 90 % de ses produits en Chine. Le commerce des États-Unis avec la Chine était de 690,6 milliards de dollars l'an dernier. En 2004, la production manufacturière américaine était plus du double de celle de la Chine. La production chinoise est maintenant presque le double de celle des États-Unis. La Chine produit la plus grande quantité de navires, d'acier et de smartphones au monde. Elle domine la production mondiale de produits chimiques, de métaux, d'équipements industriels lourds et d'électronique. Elle est le plus grand exportateur mondial de terres rares, le plus grand détenteur de réserves de celles-ci et est responsable de 80 % de leur raffinage dans le monde. Or les terres rares sont essentielles à la fabrication de puces informatiques, de smartphones, d'écrans de télévision, d'équipements médicaux, d'ampoules fluorescentes, de voitures, d'éoliennes, de bombes intelligentes, d'avions de chasse et de communications par satellite.

Une guerre avec la Chine entraînerait des pénuries massives de toute une série de biens et de ressources, dont certaines vitales pour l'industrie de guerre, paralysant les entreprises américaines. L'inflation et le chômage monteraient en flèche. Le rationnement serait mis en place. Les bourses mondiales, du moins à court terme, seraient fermées. Cela déclencherait une dépression mondiale. Si la marine américaine était en mesure de bloquer les expéditions de pétrole vers la Chine et de perturber ses voies maritimes, le conflit pourrait éventuellement devenir nucléaire.

Dans «OTAN 2030 : unifiée pour une nouvelle ère», l'alliance militaire voit l'avenir comme une bataille pour l'hégémonie avec des États rivaux, en particulier la Chine. Elle appelle à la préparation d'un conflit mondial prolongé.
En octobre 2022, le général de l'armée de l'air Mike Minihan, chef de l'Air Mobility Command, a présenté son "Mobility Manifesto" lors d'une conférence militaire bien remplie. Au cours de cette diatribe alarmiste déchaînée, Minihan a fait valoir que si les États-Unis n'intensifient pas considérablement leurs préparatifs pour une guerre avec la Chine, les enfants américains se retrouveront "soumis à un ordre fondé sur des règles qui ne profiteront qu'à un seul pays [la Chine]".

Selon le New York Times, le Corps des Marines forme des unités pour des assauts sur les plages, où le Pentagone pense que les premières batailles avec la Chine pourraient avoir lieu, à travers "la première chaîne d'îles" qui comprend "Okinawa et Taiwan jusqu'à la Malaisie ainsi que la mer de Chine méridionale et les îles contestées dans les Spratleys et les Paracels.".

Les militaristes drainent les fonds des programmes sociaux et d'infrastructure. Ils investissent dans la recherche et le développement de systèmes d'armes et négligent les technologies des énergies renouvelables. Des ponts, des routes, des réseaux électriques et des digues s'effondrent. Des écoles se dégradent. La fabrication nationale décline. Le public est appauvri. Les formes dures de contrôle que les militaristes testent et perfectionnent à l'étranger migrent vers la patrie. Police militarisée. Drones militarisés. Surveillance. Vastes complexes pénitentiaires. Suspension des libertés civiles fondamentales. Censure.

Ceux qui, comme Julian Assange, défient la stratocratie, dénonçant ses crimes et sa folie suicidaire, sont persécutés sans pitié. Mais l'État de guerre abrite en lui les germes de sa propre destruction. Il cannibalisera la nation jusqu'à ce qu'elle s'effondre. Avant cela, il se déchaînera, comme un cyclope aveuglé, cherchant à restaurer son pouvoir décroissant par une violence aveugle. La tragédie n'est pas que l'État de guerre américain s'autodétruira. La tragédie, c'est que nous ferons tomber tant d'innocents avec nous.

source: https://www.salon.com/2023/05/07/the-intoxication-of/

traduction: Cenator

Chris Hedges est l'ancien chef du bureau du Moyen-Orient du New York Times, lauréat du prix Pulitzer et chroniqueur à ScheerPost. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont « America : The Farewell Tour » , « American Fascists : The Christian Right and the War on America » et « War Is a Force That Gives Us Meaning ». Il a auparavant travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR, et a animé l'émission RT America nominée aux Emmy "On Contact".

 

Un commentaire

  1. Posté par Anthony le

    Humm?! Propagande rouge recyclée par un énième “idiot utile” pardon journaliste de gauche.

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