Analyse : Les gazoducs Nord Stream sabotés, et un seul pays en profite

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Par Jim Hoft et Bill Hennessy, 28 sept. 2022

Trois explosions en eau profonde ont détruit les gazoducs Nord Stream sous la mer Baltique lundi. Les médias et les gouvernements ont d’abord parlé de "fuites" dans les pipelines après qu'on eut constaté que la pression était brusquement tombée à zéro, mais les sismologues suédois étaient mieux informés.

Une des trois explosions mesurait 2,3 sur l'échelle de Richter, mais ce n'était pas un tremblement de terre. C'était une explosion, comme celle d'une gigantesque mine sous-marine. Citons Reuters :

Björn Lund, sismologue au Réseau sismique national suédois de l'université d'Uppsala, a déclaré que les données sismiques recueillies par lui et ses collègues nordiques montraient que les explosions avaient eu lieu dans l'eau et non dans la roche du fond marin.

Ces explosions garantissent que l'Allemagne et l'UE ne vacilleront pas dans leurs sanctions contre les importations de gaz russe. Les dommages causés aux pipelines prendront des mois à être réparés, et les réparations ne commenceront probablement pas avant l'été prochain. Même si l'Allemagne criait "pouce" parce que les troubles sociaux s'intensifient suite au manque de chauffage et à la pénurie d'énergie, même si la Russie décidait de rouvrir les vannes, ce n’est désormais plus possible puisque les conduites acheminant le gaz russe vers l'Europe sont rompues.

TASS rapporte les détails des explosions :

La première explosion a été enregistrée lundi vers deux heures du matin, la seconde à 19h04 le même jour. Des alertes de fuite de gaz ont été émises lundi à 13h52 et 20h41 respectivement. (N.d.t. : on sait maintenant qu’il y a eu quatre explosions.)Les navires passant dans la zone auraient signalé aux garde-côtes la présence de bouillonnements à la surface de la mer. Lund fait valoir qu'il n'y a ordinairement pas d'exercices militaires dans la zone de l'incident, en raison du risque de causer des dommages aux gazoducs.

Il n'y a pas eu d'exercices militaires dans la zone lundi, mais il y en a eu assez récemment. Nous y reviendrons plus loin.

Donc, Nord Stream est mort, et la question devient "qui a fait ça ?".

Moyens, motif et occasion

Pour attribuer un crime à un suspect, la police essaie d'établir les moyens, le motif et l'occasion. Si quelqu’un a été abattu à son domicile sans signe d'effraction ni de lutte, les suspects seront des personnes connues de la victime qui avaient accès à l'arme du crime et une avaient une raison de tuer la victime. Enlevez un seul élément - le moyen (l'arme), le motif (le bénéfice) ou l'opportunité (l'accès) - et le dossier s'effondre.

Si l'on confronte ces trois éléments aux suspects raisonnables, un suspect se détache.

Le critère des moyens élimine la plupart des suspects. Seul un gouvernement disposant d'une capacité de guerre navale avancée a pu exécuter le sabotage. Cela limite les suspects à l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis, la Russie et la Chine.

Mais les moyens impliquent aussi la proximité. Des activités navales chinoises ou françaises dans la région auraient déclenché des signaux d'alarme. La géographie semblerait exclure aussi les États-Unis - sauf que la marine américaine opère dans tous les océans du monde avec des capacités de combat avancées. La liste des suspects ayant les moyens de détruire Nord Stream se réduit au Royaume-Uni, aux États-Unis, à la Russie et à l'Allemagne.

Passons donc au motif.

L'Allemagne n'avait aucune raison d'endommager sa "ligne de vie" énergétique. L'Allemagne est très dépendante du gaz naturel russe. Des industries allemandes entières sont actuellement en train d'être nationalisées à cause de la pénurie d'énergie due aux sanctions contre la Russie et à la réduction par la Russie du débit dans les gazoducs. Les Allemands avaient organisé des manifestations massives le week-end précédent pour demander que l'Allemagne se retire de l'alliance anti-russe en échange d'un retour du gaz russe.

La Grande-Bretagne souffre elle aussi des sanctions imposées à la Russiea près son invasion de l'Ukraine en février. L'économie britannique est en ruine, ce qui a obligé la banque centrale du Royaume-Uni à revenir à l'assouplissement quantitatif. En outre, la nouvelle Première ministre britannique est très occupée à former un gouvernement. Il est donc peu probable que les Britanniques aient tenté un tel coup.

La Russie semble avoir un motif : infliger une douleur à long terme à l'Europe pour avoir envoyé des armes létales en Ukraine. Mais la Russie n'avait pas besoin pour cela de faire sauter les conduites. La Russie contrôle les vannes qui envoient ou arrêtent le flux de gaz vers l'Europe, et elle les avait déjà fermées. La Russie a payé une partie du gazoduc et s'attendait à reprendre des exportations d'énergie rentables vers l'Europe une fois la guerre avec l'Ukraine terminée. Pourquoi la Russie se couperait-elle le nez ?

Tweet : Vous voyez ça, la Russie a fait sauter son propre gazoduc mais PAS legazoduc Norvège-UE situé tout près et qui venait d’ouvrir aujourd’hui.

 

Il reste donc les États-Unis. Quelles sont leurs motivations ?

Premièrement, les États-Unis sont devenus le premier exportateur de gaz naturel liquéfié vers l'Europe une fois que la Russie a coupé le flux. La dépendance allemande au GNL américain est une carotte pour garder l'Allemagne dans l'alliance des sanctions. À l'approche de l'hiver et avec la montée de l'agitation en Allemagne, le département d'État aurait craint que les Allemands ne vacillent, réduisent les sanctions, arrêtent d'envoyer des armes à l'Ukraine et supplient Poutine de leur fournir à nouveau du gaz. La perte de Nord Stream élimine cette possibilité.

Deuxièmement, la famille Biden est depuis longtemps impliquée dans le gaz naturel et l'Ukraine. Hunter Biden siégeait au conseil d'administration de la plus grande entreprise de gaz naturel d'Ukraine - un poste qui permettait aux oligarques ukrainiens d'avoir accès à Joe Biden. Hunter, qui n'a aucune expérience dans le domaine de l'énergie, a gagné des millions grâce à cette transaction, et l'Ukraine a obtenu un président des États-Unis acheté et payé.

Troisièmement, le démocrate Biden a besoin de stopper l'hémorragie de popularité qui menace de faire perdre aux démocrates leur majorité au Congrès en novembre prochain.

Ainsi, seuls les États-Unis ont une raison impérieuse de détruire le lien énergétique vital de l'Europe avec la Russie. Seuls les États-Unis ont à la fois les moyens et le motif.

 

Mais qu'en est-il de l'opportunité ?

Opération BALTOPS 22 : juin 2022

Le magazine Seapower - le magazine officiel de la Navy League - a rendu compte en juin d'un exercice américain en mer Baltique, directement au-dessus des endroits où deux explosions sous-marines massives ont détruit le gazoduc Nord Stream.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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