dimanche 28 mars 2021
Une pionnère du féminisme s'en est allée
L'Egyptienne Nawal Al-Saadawi s'est battue durant trois quarts de siècle contre l'asservissement des femmes, dont les mutilations sexuelles. Cette dernière lutte se révèle la plus vaine.
Implacable critique du patriarcat, d’Orient comme d’Occident, Nawal Al-Saadawi est décédée à 89 ans le 21 mars dernier. Elle m’a appris de l’intérieur les souffrances des filles et des femmes des pays arabes. Avec Edmond Kaiser et Benoîte Groult, elle m’a fait découvrir les mutilations sexuelles et les souffrances indicibles des filles et femmes qui subissent cette barbarie. J’ai souvent traité de ce problème dans ce blog à partir de ma première recherche menée en 2013.
J’ai découvert Nawal Al-Saadawi par «La face cachée d’Eve. Les femmes dans le monde arabe», paru en 1982. Les citations qui suivent en sont tirées.
Elle était médecin, psychiatre, praticienne. Elle a interrogé, écouté, rendu avec intensité les témoignages, toujours insérés dans une réflexion plus large: «L’ablation du clitoris, parfois même des organes génitaux externes, est assimilable au lavage de cerveau auquel on soumet les fillettes pour les empêcher de penser de juger et de comprendre.»
Elle a elle-même subi ce supplice à six ans. Il «m’a encore longtemps empêché, lorsque je fus mariée, de jouir pleinement de ma sexualité et de la vie…» Son long combat au sein de la société égyptienne contre la polygamie, le port du voile, l’inégalité des droits de succession entre hommes et femmes en islam, est à peine croyable. On a presque l’impression qu’elle est une miraculée et à vrai dire, les menaces de mort n’ont pas manqué. Sa dénonciation du statut des femmes et des systèmes qui les oppriment a suscité de violentes controverses et lui a valu dans son pays la condamnation des autorités politiques et d’Al-Azhar. Elle a perdu son poste au ministère de la santé.
Elle a dû s’exiler à deux reprises en Occident, mais est revenue dans son pays natal.
Mutilations génitales et agressions sexuelles
Dans sa profession, elle soigne fréquemment des jeunes filles qui après une excision souffrent d’hémorragies, d’infections graves ou chroniques, parfois pour le restant de leurs jours. Elle est horrifiée en découvrant la forme la plus atroce de ces pratiques, l’infibulation subie notamment par des filles soudanaises.
La plupart des mariages sont liés à la condition sociale et économique. «Je plaignais les filles de mon entourage qui étaient obligées de quitter l’école et d’épouser un vieil homme pour la seule raison qu’il possédait quelques terre …» Ajoutée aux multiples autres mauvais traitements, dont les mutilations, elle constate que la plupart des femmes sont frigides.
Elle énumère les agressions familiales dues aux interdits sexuels. «Le seul être féminin dont le jeune homme pourra s’approcher sans trop de problème est sa jeune sœur. Dans la plupart des ménages, ils dorment dans des lits contigus, voire dans le même lit. La main du garçon ira à la découverte du corps de sa sœur…»
Les agressions peuvent être le fait de leurs frères, leurs cousins, leurs oncles, leurs grands-pères, voire leur père. «En dehors de la famille, cela peut être le gardien de la maison, l’instituteur, le fils des voisins ou n’importe qui.»
La victime ne se plaint pas, elle garde le silence, car en cas de découverte, c’est à elle que s la punition sera infligée. «C’est elle qui perd son honneur et sa virginité; l’homme n’a jamais rien à perdre. La punition la plus sévère qui puisse lui être infligée, s’il ne fait pas partie de la famille, est d’être obligé d’épouser la fille.»
Nawal Al-Saadawi consacre sa vie à démasquer l’hypocrisie d’une société «qui prêche la vertu et la moralité sans les respecter dans la pratique».
Les viols sont courants et peu sanctionnés. «La plupart des crimes commis dans ce contexte ne sont jamais dépistés et font rarement l’objet d’enquête menée par la police ou la justice.»
Cette féministe hors normes raconte des histoires individuelles, entre autres de servantes, souvent d’origine rurale. «Pour les hommes jeunes et parfois moins jeunes de la famille, ces filles deviennent souvent le seul objet sexuel dont ils puissent disposer (…) J’ai eu très souvent affaire à ces jeunes servantes, âgées tout au plus de 15 à 16 ans, mais portant déjà en leur sein un enfant illégitime.»
Aux yeux de la société, la victime est une fille dépravée, dont l’existence sera une longue suite de souffrances et d’exclusions. Quant au coupable, «son honneur est sauf, sans tache et il ne changera en rien le cours de sa vie…»
Un crime contre l’humanité qui intéresse si peu
En 2008, sous la présidence Moubarak et grâce à l’influence de Suzanne, son épouse, l’excision est interdite en Egypte. Mais comme dans la plupart des pays qui condamnent pénalement les mutilations sexuelles, elles diminuent peu. L’Organisation mondiale de la santé a beaucoup insisté sur les atteintes de l’excision à la santé. Cette stratégie a pour conséquence qu'en Egypte, 80% des mutilations sont réalisées en milieu médical (cliniques privées et petits hôpitaux), une tendance que l’on constate dans de nombreux autres pays.
L’Egypte, 100 millions d’habitants, excise aujourd’hui comme hier quelque 90% de ses filles, en légère régression chez les plus jeunes. La moitié des Egyptiens pense que l’excision est un devoir religieux. Les coptes participent à cette barbarie.
En fait, les MGF sont fort peu combattues, voire ignorées par les activistes des droits humains. Quant aux représentants musulmans de l’OCI, ressortissants de tant de pays exciseurs, ils se contentent de voter des résolutions.
On estime que plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes, toujours en vie, ont été victimes de mutilations sexuelles pratiquées dans 30 pays africains, du Moyen Orient et de l'Asie.
L’un des plus graves crimes contre l’humanité, que personne ne songe à traiter comme tel, se poursuit au XXIème siècle.
Nawal Al-Saadawi a écrit plus d’une cinquantaine d’ouvrages. Elle était de gauche, mais la gauche d’aujourd’hui, focalisée sur la critique du traitement réservé aux femmes dans les démocraties, l’abandonne. Et celles qui se drapent dans la bannière du féminisme soutiennent le voile et même la burqa.
Ayaan Hirsi Ali le dit aussi
Al-Saadawi m’a fait penser au texte suivant qui rejoint avec une fine sensibilité doublée d’une critique impitoyable ses constats. Repris par Ayaan Hirsi Ali dans «Insoumise», il est tiré du film «Submission », pour lequel le réalisateur Théo Van Gogh a été assassiné aux Pays-Bas.
Une jeune fille s’exprime.
«Ô Allah plein de grâce et de miséricorde!
Comme Tu l'exiges de la femme croyante, je baisse le regard et garde ma chasteté.
Jamais je ne montre mes atours, pas même mon visage ou mes mains.
Jamais je ne frappe avec mes pieds de façon que l'on sache ce que je cache de mes parures, pas même aux fêtes.
Je ne quitte jamais mon foyer si ce n'est absolument nécessaire, et encore, seulement avec l'accord exprès de mon père. Et quand je sors, je rabats mon voile sur ma poitrine comme Tu le demandes.
De temps en temps, je commets un péché. J'imagine que je sens le vent dans mes cheveux ou le soleil sur ma peau, sur une plage, par exemple. Je rêve tout éveillée d'un long voyage à travers le monde, des endroits et des gens que je rencontre. Bien sûr, jamais je ne verrai ces endroits ni ne rencontrerai autant de gens puisqu'il est si important que je garde ma chasteté pour Te plaire, ô Allah!
Je fais donc volontiers ainsi que tu le prescris et couvre mon corps de la tête aux pieds sauf quand je suis à la maison, et seulement avec les membres de la famille. Je suis plutôt heureuse de ma vie.
Pourtant, depuis que le frère de mon père, Hakim, est venu habiter chez nous,
Les choses ont changé !
Il attend que je sois seule à la maison et viens dans ma chambre.
Puis il m'ordonne de lui faire des choses, de le toucher aux endroits les plus intimes.
Depuis qu'il est chez nous, j'ai pris l'habitude de porter le voile à l'intérieur de la maison pour le décourager. Mais cela ne l'arrête pas.
Par deux fois déjà, il a ôté mon voile, déchiré mes vêtements de dessous et m'a violée.
Quand j'en ai parlé à ma mère, elle a dit qu'elle en parlerait à mon père.
Mon père lui a ordonné -et à moi- de ne pas mettre en question l'honneur de son frère.
Je connais la douleur chaque fois que mon oncle vient me voir.
Je me sens encagée tel un animal attendant l'abattage.
La culpabilité et la honte m'étouffent; et je me sens abandonnée, tout entourée que je suis de mes famille et amis.
Ô Allah ! Hakim est parti quand il a su que j'étais enceinte.
Pour l'instant je peux cacher mon ventre sous mon voile, mais, un jour ou l'autre, quelqu'un le verra. Je serai publiquement mortifiée et tuée par mon père parce que je ne suis pas vierge.
Quand je pense à cela, j’envisage de m’ôter la vie, mais je sais que dans l’au-delà celui qui se suicide ne pourra compter que sur Ta miséricorde.
Ô Allah, qui donnes et prends la vie.
Tu exhortes tous les croyants à se tourner vers Toi et à se repentir pour atteindre la félicité.
Toute ma vie je n’ai fait que me tourner vers Toi.
Et à présent que je prie pour mon salut, sous mon voile, Tu restes aussi silencieux que la tombe à laquelle j’aspire.»
Mettre en parallèle lutte contre l’excision, et le féminisme et la “critique du patriarcat, d’Orient comme d’Occident” est de la subversion.
Une fois le féminisme atteint, le “patriarcat d’Occident” abattu, les femmes seront réellement “libérées”, c’est à dire libres d’être des prostituées, des âmes perdues.
C’est d’ailleurs en bonne voie.
Ô mes sœurs musulmanes, pleurez !
Titre d’un livre de Zoubeïda Bittari, première parution en 1964.