France-Antilles, quotidien couvrant la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, avait été mis en liquidation le 30 janvier. Si Présent du 4 février avait évoqué la déconfiture de ce titre, c’était notamment pour illustrer une fois de plus les difficultés de la presse papier, un secteur qui cumule conservatismes syndicaux, et statuts sociaux et fiscaux hors normes, dans un contexte de bouleversement technologique. Personne n’imaginait plus qu’il y ait quelque part un investisseur assez fou pour réinjecter de l’argent dans ce journal. Apparemment il y en a un : le milliardaire Xavier Niel. On saura début mars ou un peu plus tard (peut-être après les municipales ?) s’il persiste dans cette idée, mais le sauvetage semble être organisé sur demande du ministère de la Culture. Que cache alors cette opération ?
Xavier Niel, qui pèse cinq ou six milliards d’euros, et dont le beau-père, Bernard Arnault, pèse au moins vingt fois plus, s’est transformé en « papivore », ces dernières années, en dévoreur de papier, le papier journal, bien entendu. L’homme d’affaires, contre toute logique financière ou industrielle, est en effet en train de s’offrir une panoplie de journaux.
L’achat du quotidien Le Monde, on peut comprendre. Pour un multimilliardaire, investir dans Le Monde (ou Le Figaro ou Les Echos), c’est s’offrir une tribune crédible, c’est ajouter l’un des plus prestigieux médias papier à la palette de médias que doit se constituer tout multimilliardaire.
La prise de contrôle de Nice-Matin, le 13 février (Présent du 18 février) était une décision plus curieuse. En cherchant bien, on pouvait imaginer que Xavier Niel avait agi là en homme de devoir : le devoir, pour tout milliardaire qui se respecte, de contrer le « populisme », dans l’une des régions de France les plus sensibles aux sirènes du Rassemblement national. Car en mars prochain, Menton pourrait passer à la droite de la droite, grâce à une coalition CNIP-RN ; le maire de Nice pourrait être mis en ballotage par Philippe Vardon ; et dans beaucoup de communes, des listes RN, ou divers comportant des RN, arriveront, le 14 mars, en tête ou en seconde position.
L’absurdité d’un journal quotidien pour trois territoires très éloignés les uns des autres
Mais France-Antilles, c’est autre chose. D’abord le journal perdait 500 000 euros par mois, pour un chiffre d’affaires annuel de 28 millions. Même pour un multimillionnaire, ce n’est déjà plus l’épaisseur du trait.
Ensuite on voit bien le défaut commercial que présente un titre papier couvrant trois territoires éloignés de plusieurs centaines de kilomètres, et n’ayant en fait que très peu de choses en commun.
France-Antilles n’a donc pas d’avenir, et il faut chercher ailleurs l’intérêt du ministère de la Culture et de Niel. Et si cet intérêt, c’était tout simplement de lutter, là aussi, contre ce « populisme » qui gagne les DOM-TOM, et qui se vérifie élections après élections ? L’acquisition par Niel de ce média serait alors la pièce supplémentaire d’une stratégie plus globale d’endiguement du RN. Cette hypothèse, on la trouve exprimée par exemple dans Le Monde du 21 février, qui rapproche cette acquisition des gains électoraux du RN.
Les 235 salariés de France-Antilles ne se plaindront certes pas de cette étonnante motivation. Mais on perçoit aussi les limites de l’exercice : les échéances électorales. •
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