L’IVV entre dilettantisme et désinformation
A la mi-mars, nous avons révélé comment, en déclassant une partie du Fendant AOC en 2016, l’Interprofession valaisanne de la vigne et du vin (IVV) avait desservi les intérêts de la viticulture de son canton. Aujourd’hui, nous revenons sur l’immense imbroglio juridique provoqué par cette décision hasardeuse, et nous montrons comment l’IVV tort les faits au lieu de reconnaître ses erreurs.
L’enquête de notre site LesObservateurs.ch sur la vendange 2016 en Valais porte des fruits toujours plus surprenants. Le 15 mars dernier, nous étions en mesure de révéler comment l’Interprofession valaisanne de la vigne et du vin (IVV) avait desservi les intérêts de ses membres en décidant de manière hasardeuse de déclasser 12% (150g sur 1,4kg/m2) de la production de Fendant AOC en Vin de Pays. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de détailler les effets désastreux de cette décision pour le monde de la vigne. En effet, selon l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), le Service valaisan de l’agriculture (SVA) et le Contrôle suisse du commerce des vins (CSCV), la décision de l’IVV a été prise sur « une base légale cantonale faible » qui a « soulevé des questions juridiques et pratiques ». Ce langage diplomatique ne trompe personne. En réalité, la décision de l’IVV a mis dans un profond embarras les trois entités mentionnées ci-dessus et a provoqué un inextricable imbroglio juridique qui a semé la confusion jusque dans les plus prestigieuses caves du Valais (Marie-Thérèse Chappaz) et qui n’a pu être résolu que deux ans et demi après la vendange 2016, soit longtemps après que la majorité, si ce n’est l’intégralité, de celle-ci eut été commercialisée.
Cette décision a en outre provoqué une vilaine distorsion de la concurrence entre les caves valaisannes qui, de facto, n’ont pas toutes été traitées de la même manière. Sur la base des documents en notre possession, nous sommes en mesure de reconstituer trois cas de figure :
- Les chanceux. Cinq caves valaisannes qui ont suivi la décision de l’IVV et qui avaient donc déclassé 150g de Fendant AOC en Vin de Pays ont tout de même pu commercialiser leur production à plein (1,4kg/m2). Ce sont les cas que nous évoquions dans notre article du 15 mars. Ces caves n’ont rien eu à faire. C’est le CSCV qui a procédé à ce qu’il faut bien qualifier un « reclassement » même si, pour des questions juridiques, le CSCV ne s’autorise pas à utiliser ce terme. En effet, c’est bien concrètement ce qui s’est produit puisque, dans ces cinq cas, la comptabilité de cave a été modifiée pour classer en Fendant AOC ce qui était précédemment classé en Vin de Pays.
- Les mauvais élèves et les malins. Les caves valaisannes qui n’ont pas suivi la décision de l’IVV ont pu écouler leur production à plein (1,4kg/m2). Au sortir de l’imbroglio juridique, il apparaît en effet qu’il n’est du ressort ni du SVA ni du CSCV ni de l’OFAG de vérifier dans les caves valaisannes si les décisions de l’IVV sont respectées ou non. Cette responsabilité incombe à l’IVV qui, selon l’OFAG aurait dû « prévoir le contrôle de sa décision sur une base de droit privé et les sanctions appropriées à appliquer à la suite d’un constat d’irrespect de la décision interprofessionnelle », ce qu’elle n’a pas fait. On ne saura probablement jamais combien de caves ont profité de ce vide juridique et appartiennent à cette deuxième catégorie.
- Les dindons de la farce. La troisième catégorie est composée des caves valaisannes qui ont suivi la décision de l’IVV, mais qui n’ont pas eu la chance d’être parmi les premières caves contrôlées par le CSCV. Face à ces caves, le CSCV a dû, à son corps défendant, appliquer une directive négociée durant près d’une année entre l’OFAG et le SVA, laquelle a pour conséquence de valider le déclassement décidé par l’IVV. Ceux qui ont été surpris à conserver dans une même cuve le vin classé et déclassé ont encore été forcés à entreposer les vins dans des cuves séparées.
En résumé, la décision de l’IVV était, premièrement, juridiquement bancale. Deuxièmement, elle a été prise à la légère, pour ne pas dire en dilettante, puisque, selon les propres termes de l’OFAG, l’IVV aurait dû simultanément « prévoir le contrôle de sa décision », ce qu’elle n’a pas fait. Cette faute a, troisièmement, provoqué une distorsion de concurrence, comme expliqué ci-dessus. Enfin, quatrièmement, force est de constater que le comité de l’IVV, au lieu d’assumer sa responsabilité dans cet immense gâchis, a cherché à tromper ses membres dans le courrier qu’elle leur envoyé en date du 16 mars, en réaction à notre article de la veille.
Dans ce courrier, que LesObservateurs.ch ont pu consulter, le comité de l’IVV cherche à se justifier et qualifie nos révélations de « contre-vérités » et d’« allégations totalement fausses ». Tout le raisonnement de l’IVV repose sur un argument juridique (l’alinéa 2 de l’article 44 de l’Ordonnance valaisanne sur la Vigne et le Vin) et sur une citation tirée d’une lettre de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) du 23 janvier 2019. Reprenons ces deux arguments dans le détail.
Commençons par l’argument juridique. L’IVV a tort d’affirmer que « la disposition décrite dans l’alinéa 2 de l’art. 44 de l’OVV permet de gérer efficacement l’offre de vins AOC ». C’est le contraire qui est vrai. En 2016, l’utilisation de cet article a débouché sur le véritable fiasco que nous décrivons dans notre article aujourd’hui. A l’avenir, si l’IVV veut y recourir à nouveau, elle devra mettre en place une sorte de police privée (des « Inspecteurs IVV de la vendange ») chargée de surveiller et de punir ceux qui ne respectent pas sa décision. Si elle ne le fait pas (mais qui voudra de cette police privée des vignes ?), les caves valaisannes resteront libres de suivre ou pas les décisions de l’IVV puisqu’il est désormais établi que les autres acteurs concernés (le SVA, l’OFAG et le CSCV) ne s’occuperont pas de contrôler son application dans les comptabilités de cave.
Poursuivons avec l’argument tiré de la lettre de l’OFAG. Par souci de transparence, la rédaction des Observateurs publie dans son intégralité cette lettre datée du 23 janvier 2019 invoquée par l’IVV pour sa défense. Qu’y lit-on ? Certes, on trouve la phrase citée par l’IVV qui dit que l’OFAG pense, comme le SVA, qu’une « décision de déclassement économique décidée par une interprofession doit être appliquée par tous ses membres afin d’éviter des distorsions de concurrence ». Ce que l’IVV ne dit pas, c’est qu’il s’agit d’un vœu pieux puisque l’OFAG sait pertinemment que, précisément, ce n’est pas ce qui s’est produit avec la vendange 2016, qui a vu une distorsion de la concurrence. Surtout, ce que l’IVV ne dit pas, c’est que, dans sa phrase suivante, l’OFAG accuse implicitement l’IVV d’être à l’origine de cette distorsion de concurrence : « Il appartient cependant à l’interprofession de prévoir alors le contrôle de sa décision sur une base de droit privé et les sanctions appropriées à appliquer à la suite d’un constat d’irrespect de la décision interprofessionnelle. Dans le cas d’espèce, l’IVV n’a pas prévu à notre connaissance de contrôle de sa décision commerciale, ni de sanctions. »
Nous terminions notre article du 15 mars avec les questions suivantes : aveuglement de l’IVV ? méconnaissance des exigences fédérales ? incapacité à reconnaître ses erreurs ? On pourrait y ajouter aujourd’hui : dilettantisme ? absence de transparence à l’égard de ses membres ? Ces questions restent plus que jamais d’actualité. Peut-être trouveront-elles un début de réponse lors de l’Assemblée générale de l’IVV qui se tient ces prochains jours.
1.4.2019
Lien vers la lettre de l'OFAG,ici
Cela s’appelle tout simplement de l’incompétence professionnelle !
Il faudra donner un GRAND coup de balais avant les prochaines vendanges !
Santé, conservation !