Oui, je sais, mon titre est bizarre, et même franchement laid. Mais il correspond à la triste réalité que je vais décrire ci-dessous.
A l’heure où les repères se perdent de plus en plus, où l’inversion des valeurs, chère à Baudelaire, est devenue monnaie courant au point où n’importe qui soutient n’importe quoi en dépit du simple et solide bon sens, le domaine linguistique n’est pas en reste. Je ne parle pas de verlan, ni d’argot déjanté, ni même de rap torride, mais du bon vieux franglais qui semble continuer sur sa lignée aventureuse du toujours plus obscur et toujours plus absurde.
Car quand finira le carnage de notre belle langue ?
Aujourd’hui, les néologismes anglophones à suffixe en –ing sont très en vogue. Bien que cela puisse sonner bien aux oreilles de certains, remarquons toutefois – comme cela est souvent le cas avec le franglais – que ces mots à suffixe en –ing sont souvent des créations lexicales dotées d’un sens précis n’existant qu’en français. Ainsi, un parc de voitures, autrement dit « parking » en franglais s’appelle « a car park » en anglais. Le mot « parking » existe en anglais, mais il fait référence à la façon de garer son véhicule. De même, en franglais un « dancing » - où l’on va pour danser - s’appelle « a dance hall » en anglais alors que « dancing » en anglais signifie l’action de danser. Et ainsi de suite. Ne soyons donc pas surpris si nos interlocuteurs anglophones ont du mal à nous suivre dans le méandre de nos créations franglaises incompréhensibles pour eux.
D’autre part, tout cela a aussi un impact sur nos interlocuteurs francophones. C’est devenu presque une activité courante de journaliste de dérouter les lecteurs en les arrosant de ce charabia linguistique franglais. Cela est particulièrement visible avec le mot « mobbing » qui s’est creusé une petite niche en franglais, quoiqu’il soit tout de même concurrencé par son homologue français « harcèlement » (ou harcèlement moral dans le domaine professionnel).
Pour quelqu’un qui ne parle pas anglais ou le maîtrise mal, le mot « mobbing » pourrait tout aussi bien être un mot chinois tant son étymologie et sa signification première n’aident en rien à en dévoiler le sens retenu en français. Jugeons plutôt : « mobbing » vient du verbe anglais « to mob » qui signifie assaillir, donc empreint d’une certaine violence physique, alors que le nom « mob » signifie la foule, la pègre, la populace. Le fossé entre le sens anglais d’origine et le sens de harcèlement professionnel est tellement énorme qu’il est impossible de voir un lien naturel direct entre ces deux notions. De surcroît, le « mobbing », pour être efficace, agit – en général - à pas feutrés, pour mettre la faute sur celui qui est harcelé, tout le contraire d’une foule qui assaille une victime. Ainsi donc, utiliser le mot « mobbing » dans une phrase de français ne correspond pas du tout à ce que l’on veut lui faire dire.
Dans un genre similaire, le sibyllin « stalking » est en train de se répandre. To stalk signifie plusieurs choses dont : 1. Traquer (à la chasse) 2. Marcher d’un pas rigide, raide. L’allusion à retenir pour comprendre le mot « stalking » est celui de la traque. Un fossé conséquent se dresse entre le sens premier (traque du gibier) et le sens figuré du mot franglais : harcèlement obsessionnel ou névrotique. Le « stalking » est un terme de psychologie et de psychiatrie par lequel une personne est influencée par une autre ou par un groupe qui, sans contact direct avec elle, cherche à lui faire peur et à l’intimider. Ce sens très pointu est condensé dans l’emploi du jargon professionnel « stalking » qui, sortant de la bouche d’un spécialiste, reste un énorme non-sens dans l’oreille du non-initié, c’est-à-dire pour la plupart des gens. Alors que l’expression « harcèlement névrotique », même si elle est plus longue, a l’avantage d’être transparente et de permettre une compréhension correcte.
Lors de l’introduction d’un nouveau vocable, le journaliste va expliquer sommairement à quoi correspond ce nouveau-venu. Puis, en piètre pédagogue, il va utiliser le nouveau mot comme s’il faisait déjà partie de la langue française depuis toujours. Car le journaliste, comme le mauvais professeur, croit que parce qu’une chose a été expliquée une fois, elle est assimilée pour de bon. Aussi, il ne sera plus fait référence qu’au vocable franglais « le stalking », - qu’il s’agit d’installer à tout prix et l’on se demande bien pourquoi – dans le panorama lexical ambiant. L’expression française transparente et compréhensible est alors vouée aux oubliettes, car bien entendu tout le monde est maintenant familier avec cette trouvaille fantastique !
Je veux clore cette partie avec un autre mot à l’usage rare : « le mulching ». Je n’aurais peut-être jamais eu la joie de rencontrer ce nouveau-venu si je n’avais eu besoin d’acheter une tondeuse à gazon. Dans le magasin, devant le choix de machines, je remarquai vite que certaines étaient équipées du « mulching » et d’autres pas. Intrigué et aussi curieux de ne pas connaître ce mot franglais et donc de ne pas pouvoir le comprendre, je découvris que « to mulch » est un terme du jargon de jardinerie qui signifie pailler, recouvrir d’un paillis.
Le « mulching » décrit la tonte de l’herbe sans ramassage. L’herbe est ainsi broyée en petits brins dispersés sur la pelouse, formant le paillis (mulch). Qui peut donc comprendre tout cela à partir de ce simple vocable étranger ? Une traduction fidèle devrait s’orienter vers le sens du paillis ou de la dispersion de l’herbe coupée. Je propose donc le mot « épandage » qui, quoique incomplet du point du processus total du phénomène décrit (mais le mot « mulching » l’est tout autant, sinon plus) a au moins l’avantage d’en décrire une étape clé et donc d’orienter le non-initié dans le sens de la clarté.
Un autre domaine où fleurit le franglais est celui des mots anglais composés d’un verbe suivi d’une postposition (aussi appelée particule), les fameux « phrasal verbs », les ennemis jurés de tout étudiant francophone et la plus haute marche de la difficulté linguistique de l’apprentissage de la langue anglaise.
Ainsi, l’usage répété du « burn-out » a ancré ce néologisme dans le paysage familier, en dépit du mot surmenage qui lui correspond assez bien. Mais que dire des mots plus rares comme « bore-out », « brown-out », etc. ?
Le « burn-out » s’est imposé assez vite car c’est un phénomène qui touche beaucoup de monde. Ce qui n’est pas le cas de « bore-out » ni de « brown-out ». En effet, le « bore-out », l’ennui causé par le fait d’être sous-utilisé professionnellement, n’arrive pas à tout le monde. Quant au « brown-out », c’est la perte de sens professionnel, la perte de jus. Ces deux termes, comme on le voit, sont d’une fréquence moindre que le « burn-out ». La compréhension de leur signification risque donc d’être plus difficile, d’autant que l’étymologie anglaise offre peu de prise à l’esprit français : si l’on peut comprendre que « bore » est en rapport avec l’ennui, les suffixes « out », contraires à l’esprit français, n’apportent que peu de lumière pour déchiffrer le sens de ces mots. En effet, parmi les nombreuses possibilités que renferme la postposition « out » en anglais, celle qui correspond à cet usage dans ces mots semblerait indiquer soit une notion de disparation, soit une notion d’accomplissement total, c’est-à-dire un lessivage complet de l’individu dans la situation désagréable où il se trouve.
Le « brown-out » n’est pas sans me faire penser au « brown-nose » qui lui est un terme anglais courant peu flatteur (lécher le cul, d’où la couleur attribuée au nez, excusez de la précision) qui peut donc dérouter complètement l’étranger anglophone du sens de « brown-out ». Ainsi, on nage en plein mystère en utilisant ces mots et il est évident que les traductions en français sont infiniment plus propices à l’expression claire de la langue.
Enfin, la palme de l’absurdité et de la laideur réside dans ce titre : LA LIGNE MAGINOT EST-ELLE UN GROS FAIL (ACTION RATÉE) ? Ici, le mot anglais « fail » d’un usage courant est utilisé alors que le français a un équivalent direct avec le mot échec. Comble d’absurdité : une explication du sens du mot fail est fournie : fail veut dire action ratée, ce qui pour nombre de lecteurs est tout à fait superflu et apparaît comme un paternalisme linguistique de mauvais goût.
A moins de faire un usage lourd de la tactique d’imprégnation pour conditionner l’esprit avec ces expressions étrangères et ces mots sibyllins, ceux-ci restent, dans leur acception complète, en grande partie incompris. Les seules personnes à vraiment les maîtriser complètement sont les spécialistes du domaine pour qui ces termes ne sont ni barbares ni abstrus.
Le journaliste est le grand responsable de la pollution linguistique qui affecte la langue. C’est lui qui a un devoir moral de parler et écrire juste pour que ses lecteurs puissent à leur tour l’imiter. Mais comme tout aujourd’hui, celui qui est en commande, qui exerce un pouvoir, qui est ce qu’on appelle une élite montre un mauvais exemple, veut se faire voir plutôt que faire voir et se croit le centre plutôt que la périphérie. Le journaliste peut faire beaucoup de mal et souvent le fait en toute connaissance de cause.
Le journaliste qui farcit ses articles de mots franglais est souvent beaucoup moins brillant à l’oral en anglais et ce saupoudrage qu’il fait du franglais dans ses textes est à la fois le signe d’une paresse intellectuelle évidente, d’un manque de respect des lecteurs et surtout d’une tentative de compensation de son amour-propre meurtri par le fait que, parlant anglais très moyennement en général, il utilise le franglais sous sa plume, se redonnant sans doute l’illusion de manier la langue de Shakespeare et apparaissant aux yeux du lecteur francophone lambda comme un anglophone averti !
Heureusement que le Canada et le Québec en particulier sont là pour nous démontrer par la richesse de leur vocabulaire français et leur inventivité lexicale qu’il existe une autre voie et que, en dépit de l’acharnement de ces journaleux au manque total d’imagination, il reste toujours un espoir pour la langue de Molière.
La traduction d’une expression étrangère en français peut ne pas correspondre exactement à la réalité de la chose mais elle est en tout cas préférable à un mot étranger indigeste parce qu’incompréhensible et donc totalement déconnecté de la réalité.
Mieux vaut parler avec des mots de sa langue même s’ils sont plus longs que dans un sabir étranger incompréhensible. Le jargon professionnel, lorsqu’il sort de son aire spécifique devient très souvent incompréhensible au non-initié.
Une notion nouvelle a bien sûr besoin d’être présentée et expliquée au lecteur. Mais il n’est nul besoin de donner la priorité à un mot créé et souvent mal adapté à une nouvelle langue. Que les spécialistes l’utilisent entre eux dans leur jargon spécialisé soit, mais que son usage reste confiné aux spécialistes du domaine. Pour le grand public, une traduction simple et transparente doit prendre le pas. Ami journaliste, à bon entendeur, salut !
Betrand Hourcade, octobre 2018
Très juste. Il n’est que d’écouter Macron pour comprendre à quel point, par anglomanie, la langue française peut être malmenée.
Une chose pourtant me choque. Ériger le Québec est comique. Il faut vraiment ne pas connaître la Province en question pour affirmer de telles absurdités. Tout ce « français » n’est qu’une traduction « latérale » de l’anglais et toute la syntaxe est anglaise.
pourquoi pas “franglaiphobie”
@ Cenator :
Ne sortez pas de vos gonds ! La plupart des mots empruntés ne sont jamais rendus (le cas de “parking” est typique). Vous dites : ” L’enjeu n’est pas le carnage de notre belle langue, mais le carnage de notre beau pays, de notre civilisation !” J’approuve. Cependant, la langue fait partie de notre civilisation, comme d’autres langues européennes. Certes, les vocables naissent, ou s’empruntent -avec la marque de notre sceau culturel, donc nous nous les approprions. Certes encore il n’y a pas d’instance capable de les imposer -en cela, les oukases linguistiques prononcées par les politiques se révèlent, heureusement, inopérantes et l’Académie ne fait qu’enregistrer le fait accompli.. Cependant, certains emprunts ou certaines imitations faisant fi de l’étymologie, portent la marque de la caste qui les introduit. C’est le cas du “franglais” propagé par les média, notamment. Mais ils ne sont pas nécessairement compris des “crocheteurs du Port Au Foin”; je suis instruit à Bac + 15, j’ai passé onze années dans des “English-speaking countries” mais je ne comprends pas “mobbing” dans son emploi francisé. Pourquoi employer “mobbing” ou “stalking” de préférence à “harcèlement” ? N’est-ce pas précisément par ce genre de préférence que se marque la préciosité ridicule ?
Ce genre d’articles me fait sortir de mes gonds !
Tout d’abord, une culture dominante impose toujours son vocabulaire, ceci est un processus qu’aucune élite ne peut freiner.
Certains mots s’imposent tout seuls, d’autres non.
On parle de solution light pour l’application du vote du 9 février, tout le monde comprend rapidement que cela veut dire. Le mot mobbing signifie quelque chose de précis pour la population. C’est ainsi que chaque langue évolue, change, des mots tombent dans le désuétude, d’autres naissent.
Le problème est tout à fait ailleurs.
Le peuple est manipulé par la novlangue, qui est imposée par la totalité des médias romands, et il est bombardé de mantras vides de sens, comme celui des accords bilatéraux qui seraient vitaux pour notre survie.
Pendant ce temps, vous, vous dénoncez des anglicismes, que les francophones sont par ailleurs libres d’adopter ou non.
Vous nous apprenez que vous aviez besoin d’acheter une tondeuse à gazon et que vous avez découvert le mot « mulching » (que je connaissais depuis une vingtaine d’années). Vous avez bien de la chance de disposer d’une propriété, mais la majorité des visiteurs de ce site ne sont nullement concernés par le « mulching ».
Quant à vos considérations sur le « brown-out », dont nous n’avons jamais entendu parler jusqu’ici, on pouvait s’en passer car je suis certain que cette expression tombera rapidement dans l’oubli.
Le fait que les mots d’une langue étrangère perdent du sens lorsqu’ils sont repris par une autre langue est une banalité absolue.
Toute cette bataille contre les anglicismes n’est qu’une bataille stérile de pédants. Ce sont eux les précieux ridicules.
Vous dénoncez la pollution de la langue française, mais sachez que la bataille que ce site mène est tout autre que des pédanteries académiques. L’enjeu n’est pas le carnage de notre belle langue, mais le carnage de notre beau pays, de notre civilisation !
Excellent article qui dénonce la bêtise de certains pédants incapables. Je remarque que la tentation d’utiliser des expressions de franglais par trop de francophones est directement proportionnelle à leur ignorance de la langue anglaise.
Oui, ces phénomènes sont connus. L’explication vient de cette ridicule ostentation journalistique destinée à “faire savant” pour mieux duper son monde. Il faudrait également tenir compte de l’effet de la colonisation infra-culturelle anglo-saxonne, essentiellement Yankee, qui fait de notre pays une province du Mickeyland (tant qu’on est à parler “franglais”) comme le disait en son temps Alphonse Boudard. Le fait n’est pas nouveau : le professeur Étiemble l’étudiait déjà en 1964 (“Parlez-vous franglais”, réédité en 1991 chez Gallimard, coll. Folio).
Mais il y a pire ! Cette fois, ce sont les prétendues “élites” gouvernementales, Macron le tout premier, qui baragouinent un sabir truffé de vocables empruntés à Davos, au Bielderberg, aux “grands” analystes financiers, aux campus gauchistes et extrême-féministes de Californie, aux soi-disants économistes anglo-saxons, et que certains d’entre nous, par dérisions, baptisent “Globish” (je préfère “Globeux”). Écoutez les débagoulades de Macron lors du sommet de la Francophonie, ou plus simplement l’ineffable Marlène Schiappa balançant l’incongruité “mansplaining” à JC Vandamme. Même ostentation que chez les journaleux franglicistes, avec en sus le mépris pour le peuple dont ils sont infiniment éloignés.
Il y a de quoi faire un “nervous breakdown” comme Audiard le faisait dire à Jean Lefèbvre dans “Les Tontons Flingueurs” 🙂 .
Très bonne analyse, merci