De notre correspondant permanent aux Etats-Unis. – D’imperceptibles raisons ont voulu qu’au moment même où 59 Tomahawks américains détruisaient une base aérienne en Syrie, Xi Jinping, le président chinois, attaquait en Floride les hors-d’œuvre d’un dîner d’Etat et à quelques milliers de kilomètres de là, Kim Jong Un, le président nord-coréen, faisait serrer le dernier boulon d’une série de tests de missiles dont le sixième tir doit avoir lieu aujourd’hui. Un homme se trouva au confluent de cette coïncidence : Donald Trump.
De moins imperceptibles raisons l’ont conduit à réagir de la même façon contre le pays qui fut pendant plus de 70 ans La Mecque de la dictature du prolétariat et contre le pays qui est, depuis la mort de Staline, le dernier héritier du « petit père des peuples » sur notre planète. Une réaction d’homme sans doctrine qui suit son instinct depuis son entrée dans l’arène politique en août 2015. Un instinct qui l’a conduit à la victoire et lui dit maintenant que les temps sont mûrs pour donner sa place à l’Amérique, c’est-à-dire pour un durcissement.
Finie la soumission de l’époque Bush ; terminée l’indolence de l’ère Obama. Washington gouverne désormais entre un slogan et une promesse assenés par Trump lui-même : d’une part, « L’Amérique d’abord » ; d’autre part : « Je ne serai jamais le président du monde ». Entre ces deux bornes, il y a place pour une morale qui exclut à la fois l’utilisation d’armes chimiques et une obsessionnelle menace nucléaire. Celui qui est derrière les premières et celui qui est à l’origine de la seconde se trouvent maintenant punis par l’isolement. C’est la sanction de Trump. Elle vaut ce qu’elle vaut. Mais le geste est là, imposant, spectaculaire. Tant pis pour les grincheux qui assimilent le tir de 59 Tomahawks à l’envoi sur le terrain de 80 000 soldats. Et tant pis pour les bileux qui confondent la présence d’un porte-avions au large de la Corée du Nord et la destruction de la moitié de Pyongyang par des bombardiers. Trump obéit à une logique américaine. Bush et Obama ont obéi à une logique subversive. Ce n’est pas la même chose.
L’isolement de Poutine
L’isolement du président Vladimir Poutine, c’est Rex Tillerson, secrétaire d’Etat, qui s’en est chargé à Moscou au cours de leurs deux heures d’entretien la semaine dernière. Deux heures pour une accusation : les autorités russes ne pouvaient pas ignorer que leurs homologues syriens allaient utiliser des obus à gaz contre leur propre peuple. Tillerson est revenu de Moscou les mains vides. Poutine n’a apparemment rien lâché sur sa responsabilité dans le drame. De plus, il n’apporta aucun éclairage nouveau pouvant expliquer pourquoi une campagne de presse aux Etats-Unis l’accusa d’être intervenu frauduleusement dans les élections du 8 novembre.
Du coup, la sympathie et l’estime – sans doute réciproques – qui animèrent Trump et Poutine pendant plus d’une année disparurent en fumée. Les pays ne font pas de sentiments ; ils n’ont que des intérêts. Encore le durcissement et, bien sûr, l’isolement. Du coup, l’OTAN, vieux parapluie antisoviétique, reprend du lustre aux yeux de l’Américain. Et du coup, contre le Russe on reparle de sanctions à ajouter à celles qui datent des affaires d’Ukraine et de Crimée.
L’isolement de Kim Jong Un
L’isolement de Kim Jong Un n’a aucun point commun avec celui de Poutine. D’abord, parce que les deux personnages apparaissent très différents. Ensuite, parce que les situations ne sont pas les mêmes. L’isolement de Poutine ne saurait être que relatif et limité dans le temps. L’isolement de Kim pourrait être durable et aboutir même à une solution radicale. Un autre point de différence. L’isolement de Poutine est direct, c’est-à-dire que ses juges, sans intermédiaire, lui appliquent leur sentence. Dans le cas de Kim, tout se passe, et tout continuera à se passer, par le truchement de la Chine. Pour Kim, comme ce fut le cas pour son père et son grand-père, la Chine représente le grand arrière, le parrain protecteur, le fidèle nourricier. Sans la Chine, Kim tomberait. Avec elle, il ose, il défie. D’où, pour Trump, l’obligation de s’adresser d’abord à Xi afin d’atteindre par ricochet l’objectif visé. D’où également l’incontournable démonstration de force qui a consisté à envoyer à portée de jumelles nord-coréennes un porte-avions et ses navires d’escorte.
S’adresser à Xi, mais en quels termes ? Trump nous le dit : « Le lendemain de ce fameux dîner, j’ai expliqué au président chinois que les accords commerciaux que nous pourrions signer seraient encore bien plus intéressants pour son pays s’il parvenait à résoudre le problème nord-coréen. » Du business et un zeste de chantage. Disons du troc entre personnes de bonne société : tu muselles Kim et je ferme les yeux sur tes tarifs douaniers. Trump apparaît comme l’homme de la situation. Il a fait cela toute sa vie. Seulement voilà, cette fois-ci, il se heurte à un mur. Il s’y cognera sans rien obtenir, affirme Doug Barlow, spécialiste de l’Asie au Cato Institute. Pour une seule raison : Xi a autant besoin de Kim que Kim a besoin de Xi. Si Kim chute avec son régime, le vide créé sera forcément rempli par des contre-révolutionnaires sensibles à la paix et à la réunification sous orchestration américaine. Un abcès pour Pékin, et même un cauchemar.
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Donald Trump convaincra-t-il la Chine de laisser tomber le dictateur Kim Jong Un ?Liu Xingzhe-VCG via Getty ImagesCet article Trump hausse le ton aux deux bouts de la planète est apparu en premier sur Présent.
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