Nous avions exprimé la crédibilité de « l’hypothèse Sleiman Frangieh » -, pour la première fois à l’Ecole de guerre le 19 octobre 2014, devant un parterre d’officiers de marine de plusieurs pays méditerranéens avec lesquels il s’agissait de réfléchir aux conséquences maritimes des crises terrestres déchirant les pourtours de Mare nostrum… Ces officiers de marine - qui sont en réalité des ingénieurs d’élite - avaient réagi très positivement en stratèges rompus à la logique formelle des rapports de force. Nous avons repris la même argumentation, adaptée à l’évolution des guerres civilo-régionales de Syrie et d’Irak - « Liban : la solution consensuelle, c’est Sleiman Frangieh » -, le 3 août 2015 dans les colonnes d’Afrique-Asie, de prochetmoyen-orient.ch et d’autres médias repris par les différentes revues de presse du Quai d’Orsay.
Les dernières accélérations terroristes, militaires et diplomatiques ont donné raison à notre ancienne hypothèse en passe de se réaliser concrètement. Au début de décembre dernier, François Hollande devait admettre que la question du départ de Bachar al-Assad n’était plus un préalable à la priorité stratégique d’une éradication de Dae’ch et de la nébuleuse terroriste ensanglantant les Proche et Moyen-Orient. Il prenait même la peine de téléphoner personnellement à Sleiman Frangieh, afin de s’entretenir avec lui de l’élection présidentielle libanaise et de la situation régionale pendant une trentaine de minutes.
Certes, la décision absurde d’Alain Juppé de fermer l’ambassade de France à Damas en mars 2012 et les multiples carabistouilles de Laurent Fabius n’ont pas consolidé le pouvoir d’influence de la France éternelle dans la région, mais un tel coup de fil prenait une importance politique très particulière. En effet, cette conversation Hollande/Frangieh n’aurait jamais été possible sans avoir préalablement reçu l’aval de Riyad et de Washington. D’après les informations de prochetmoyen-orient.ch, tel a bien été le cas, « le Département d’Etat américain se félicitant de voir ainsi ‘le chef français’ proposer son assaisonnement à la cuisine libanaise aux saveurs toujours très diverses », pour reprendre les propres termes de l’un des plus hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay… De plus, et c’est un élément capital : les attentats parisiens du 13 novembre 2015 sont passés par là, obligeant le pouvoir exécutif français à un changement de cap radical de sa diplomatie proche-orientale.
Moscou et Téhéran ne pouvaient que se féliciter d’une telle évolution ! Toujours est-il que toutes les puissances internationales, parties liées aux conflits proche et moyen-orientaux, trouvaient là un point de convergence essentiel : celui d’un dépassement des blocages empêchant l’élection d’un président de la république libanaise ; cette élection étant considérée comme un élément important de stabilité, sinon susceptible de favoriser une sortie de crise politique aux différents conflits avoisinants. Enfin, last but not least, un président « consensuel » mais fort, doté d’un gouvernement d’union nationale travaillant avec l’ensemble des communautés du Pays du cèdre constituait et constitue toujours l’une des nécessités permettant d’éviter un débordement des crises régionales sur le territoire libanais. On peut ainsi espérer garantir la sécurité à l’ensemble des habitants de ce pays magnifique qui a trop souvent servi de déversoir, voire de laboratoire aux guerres régionales et aux multiples pulsions terroristes transnationales et transcontinentales y trouvant soutiens, financements et profondeurs stratégiques…
C’est dans ce contexte historique exceptionnel que la rencontre du chef de file du 14-mars - Saad Hariri - et de Sleiman Frangieh - l’un des leaders du camp du 8-mars - eut lieu à Paris le 20 novembre dernier. D’après le compte-rendu des services de renseignement français dont prochetmoyen-orient.ch a pu prendre connaissance, Sleiman Frangieh a « accepté la main tendue, mais sans faire de concessions sur l’ensemble des points capitaux de son camp, notamment celui de la loi électorale ». Selon les mêmes sources, Sleiman Frangieh avait préalablement averti ses alliés du Hezbollah en leur demandant d’expliquer tout l’intérêt d’une telle rencontre au général Michel Aoun, qui demeure le candidat « officiel » du 8-Mars. Par conséquent, les ragots qui prétendent actuellement que le chef des Marada auraient fait des « concessions » en privilégiant son destin personnel au détriment de son camp, sont parfaitement affabulatoires, sinon mal intentionnés, poursuivant ainsi des intérêts malins et particuliers très éloignés de ceux de la majorité des Libanais…
A l’appui d’autres sources autorisées, prochetmoyen-orient.ch est aujourd’hui en mesure de réaffirmer que le jeune leader chrétien s’est bien placé en position de négociation, mais sans faire de « concessions » susceptibles d’affaiblir la plateforme politique du 8-Mars ! Cette vérité a été réaffirmée par Sleiman Frangieh lui-même au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, deux jours après l’entretien Aoun/Frangieh du mercredi 9 décembre à Rabieh, en présence de Gebran Bassil, le gendre du Général. Cet entretien, qui a duré moins d’une heure, n’aura pourtant pas été inutile. D’abord, il n’a pas provoqué la rupture attendue par tous ceux qui veulent affaiblir les Chrétiens du Liban et d’Orient, au premier rang desquels les partisans de Samir Geagea, le chef des milices de la guerre civilo-régionale (1975-1990), candidat de l’Arabie Saoudite et du 14-Mars. Ce dernier dirigeait le commando qui a assassiné le père de Sleiman Frangieh - Tony - à Edhen, dans la nuit du 12 au 13 juin 1978[1]. Fidèle aux enseignements de ce père disparu tragiquement et de son grand-père qui dirigea le Liban (1970-1976), le chef des Marada a su dominer cet événement ô combien traumatique et se mettre au service de sa communauté et des autres Libanais. Et les dernières péripéties du calendrier politique n’ont fait que confirmer la maturité du jeune leader chrétien.
Mais cette rencontre a surtout permis de confirmer l’évidence de l’équation politique de la présidentielle : Sleiman Frangieh continue à soutenir la candidature du général Aoun, mais pour le temps limité des prochaines sessions d’un Parlement libanais qui continue à ne pas vouloir d’Aoun. Passé ce « temps limité », raisonnablement évalué à quelques semaines, il faudra alors que Michel Aoun appuie franchement la candidature de Sleiman Frangieh, seule solution honorable et raisonnable, non seulement pour les Chrétiens mais aussi pour l’ensemble des Libanais.
Dans le cadre normal de ce processus inachevé de négociations dont les questions d’ego ne peuvent être totalement exclues, il s’agit aussi et surtout de ne pas perdre de vue le fond, le contenu et les enjeux immédiats d’un pays et d’une région au bord de l’implosion. Sans s’opposer à la solution Frangieh, certains jusqu’au-boutistes, dont nos amis du quotidien Al-Akhbar, estiment qu’il faut attendre la grande offensive d’hiver et la reprise d’Alep, la deuxième ville de Syrie par l’armée gouvernementale syrienne et ses alliés du Hezbollah, avant de négocier un gouvernement d’union nationale avec le 14-Mars, ainsi affaibli… Cette option essentiellement militaire n’est pas raisonnable, ni réaliste parce qu’elle fait fi des préoccupations quotidiennes des citoyens libanais : ramassage des ordures, accès à l’eau, l’électricité et autres services publics, sans parler des difficultés économiques et sociales aggravées par l’afflux continu des réfugiés syriens qui représentent désormais près du tiers de la population.
Comme le répète souvent Sleiman Frangieh, il ne s’agit pas de spéculer sur un effondrement de la rébellion syrienne majoritairement sunnite (quand bien même elle dispose de différents soutiens au sein du 14-Mars libanais) pour refaire les mêmes erreurs que celles commises par le premier ministre irakien Nouri al-Maliki (2006-2014), n’ayant eu de cesse que de chercher à marginaliser, sinon éradiquer les minorités sunnites de son pays, nourrissant ainsi durablement la violence communautaire et le terrorisme. En définitive, et le chef des Marada l’a toujours souligné, « il ne s’agit pas d’amoindrir et de jouer contre telle ou telle communauté d’un Liban qui doit rester riche de son pluralisme, de ses diversités et de sa spécificité ». Constitutionnellement, l’élection d’un président chrétien ne concerne pas seulement les membres de sa communauté d’origine mais l’ensemble des Libanais. L’élection d’un président chrétien sera le fruit d’un compromis qui débouchera sur la formation d’un gouvernement national, partageant les grandes options d’une plateforme politique commune négociée. Ses grands axes, comme ses lignes rouges, sont connues et parfaitement ajustables.
Comme nous l’avons rappelé précédemment, la convergence des grandes puissances sur la solution Frangieh est un facteur essentiel. C’est parce qu’il peut parler à la fois à Bachar al-Assad, aux Iraniens, au Hezbollah et en même temps aux responsables saoudiens, que Frangieh est en capacité de ramener le débat dans un cadre inter-libanais. C’est l’une des composantes majeures de l’opportunité historique dont il est ici question. Au nom de l’avenir du Liban et des Libanais, il y a désormais urgence ! C'est à l'été 1792 que Danton lance son célèbre appel. L'Assemblée législative est réduite à l'impuissance par les menées séditieuses de la Commune insurrectionnelle de Paris... Le pays est menacé d'invasion par les Prussiens et les Autrichiens. Le 21 juillet, il proclame « la Patrie en danger » et contribue ainsi à sauver son pays des plus grands périls…
Être à la hauteur de ce rendez-vous historique nécessitera une certaine hauteur de vue, donc des concessions de part et d’autre. De son héroïque résistance de Baabda en 1990 où il a eu à affronter les miliciens de Geagea à son entente politique avec le Hezbollah en 2006, le général Michel Aoun à toujours été fidèle à « une certaine vision » du Liban, pour reprendre l’expression du politologue Frédéric Domont[2]. Ce grand général a toujours fait bouger les lignes internationales en redonnant aux libanais une certaine dignité, conforme à leurs capacités à s’occuper de leurs propres affaires. Plus que tout autre, il est aujourd’hui en position de récidiver en rendant un grand service à son pays et l’élection de Sleiman Frangieh serait sa plus grande victoire.
Il entérinerait ainsi le changement de génération d’une classe politique qui ne s’est guère renouvelée depuis la guerre civilo-régionale. De fait, Sleiman Frangieh a le privilège de la jeunesse, de la popularité et de la compétence. Tous les sondages d’opinion, certes non officiels mais pourtant révélateurs d’une attente du pays, le donnent largement en avance sur tous ses concurrents dans le cœur et l’esprit de ses concitoyens. Plusieurs fois ministre, en charge de portefeuilles techniques et dans des situations difficiles, le chef des Marada s’en est toujours bien sorti. Contrairement à la plupart des caciques Old-fashion, il sait ce qu’est un schéma directeur d’aménagement du territoire, de développement local et quels chantiers mettre en œuvre en matière de réformes sociales et de protection de l’environnement. Je l’ai vu souvent planter toutes sortes d’arbres. Comme le dit Jean Giono, justement dans son beau livre « l’homme qui aimait planter des arbres » : celui qui fait cela ne peut pas être foncièrement mauvais…
Notre haut fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères – cité au début de cet article – conclut que « le général Michel Aoun s’inscrira durablement dans l’histoire comme un homme d’Etat à l’instar d’un Fouad Chehab, s’il favorise l’accession de Sleiman Frangieh à Baabda ». En effet, le Liban a rendez-vous avec l’Histoire. Ses enfants répondront-ils présents ? A défaut d’être absolument certain, ce sursaut de dignité, de réalisme et d’espoir s’inscrit dans l’ordre du possible…
Richard Labévière, 14, 12, 2015
[1] Richard Labévière : La tuerie d’Ehden ou la malédiction des Arabes chrétiens. Editions Fayard, 2009.
[2] Michel Aoun et Frédéric Domont : Une certaine vision du Liban. Editions Fayard, 2007.
si seulement votre pronostic pouvait s’avérer juste une entente entre tous permettrais au peuple libanais de vivre enfin!!c’est un pays que j’aime et qui le mérite