Petite géopolitique de la crise grecque… L’envers des cartes

Richard Labévière
Journaliste, Rédacteur en chef  du magazine en ligne : prochetmoyen-orient.ch

 

En définitive, Alexis Tsipras a su opposer à la machinerie de l’Union européenne les réglages politiques que François Hollande avait promis d’effectuer, durant sa campagne présidentielle, avant d’y renoncer aussitôt une fois élu. En effet, remettre à plat le fonctionnement du grand marché unique et de sa monnaie au service de l’hégémonie allemande et de la globalisation financière constituait l’un des engagements cardinaux du candidat socialiste ! Une fois à l’Elysée, le même se précipite à Washington pour déclarer qu’il faut accélérer la finalisation d’un Traité instituant un grand marché transatlantique… Hallucinant ! Et Tsipras restera certainement dans l’Histoire pour s’être levé contre cet à-plat-ventrisme généralisé face aux banques privées qui « régulent » la mondialisation économique, en veillant scrupuleusement à l’application drastique de la vieille loi d’airain du capitalisme : privation des profits, socialisation des pertes…

 

Sans jamais apparaître en première ligne de la gestion de crise, le président Barack Obama n’a pourtant cessé de « conseiller » téléphoniquement Angela Merkel et François Hollande « pour sauver la stabilité financière mondiale et la cohésion politique de l’Union européenne », reconnaît l’un des plus hauts-fonctionnaires de l’Elysée en ajoutant : « ce qui l’obsédait davantage était la sécurité du commandement militaire de l’OTAN en Méditerranée orientale ». Certes, la plupart des bases américaines - installées en Grèce durant la Guerre froide - ont été démantelées, mais la plus importante - celle de Souda, en Crète - fonctionne toujours à plein régime. Située à quelques encablures des côtes de Syrie, de Jordanie, du Liban et d’Israël, ce port en eaux profondes accueille les frégates, sous-marins, porte-avions, chasseurs et hélicoptères de la VIème flotte chargée de veiller au respect de l’ordre américain dans la zone.

 

Entre mars et octobre 2011, c’est de là que décolleront les F-16 et avions ravitailleurs pour bombarder la Libye et renverser le colonel Kadhafi. Des centaines de Marines et Forces spéciales américaines investiront alors le petit port voisin touristique de la Canée pour parer à toute éventualité, si les supplétifs français et britanniques venaient à faire défaut… C’est de là aussi que les bâtiments de l’US-Navy appareillent pour aller croiser au large de Tartous et Lattaquié, afin de surveiller la marine russe qui sécurise les côtes de Syrie. C’est de là encore que des avions d’observation décollent quotidiennement pour appuyer les unités offensives de la marine israélienne qui quadrillent les nouveaux blocs gaziers en cours d’exploitation entre Chypre, l’Egypte et le Liban. « Les violations israéliennes de l’espace maritime libanais sont dix fois supérieures en nombre aux intrusions de la chasse israélienne pourtant quotidiennes de l’espace aérien libanais », nous confie l’un des officiers généraux du renseignement militaire du Pays du cèdre…

 

Depuis le début de la crise, Alexis Tsipras ne cesse de le répéter : l’UE sous-estime le risque de déstabilisation régionale qu’entraînerait une sortie de la Grèce de la zone euro. « Le facteur géopolitique est en effet totalement absent du débat », souligne Georges Prévélakis[1], « garantir une Grèce stable politiquement et performante économiquement aide à stabiliser la région et à européaniser les Balkans. Malheureusement, aujourd’hui, c’est la Grèce qui se balkanise ». Le maintien des forces internationales veillant à l’application des Accords de Dayton[2] demeure indispensable face au durcissement des nationalismes dans les Balkans où les groupes jihadistes recrutent plus que jamais. En mai dernier, des affrontements meurtriers ont éclaté en Macédoine avec des mafias albanaises du Kosovo qui multiplient leurs infiltrations dans les Etats de la région.

 

En voie de radicalisation religieuse, la Turquie continue - malgré ses dénégations officielles – de favoriser Dae’ch et d’autres factions jihadistes ainsi que les flux migratoires clandestins en provenance du très Proche-Orient. La Grèce est ainsi devenue un couloir de passage vers l’Europe du Nord… Enfin, son affaiblissement isolerait considérablement Chypre face à la Turquie qui occupe toujours le nord de l’île depuis 1974. Dans ce contexte, le géant maritime chinois COSCO assure désormais la gestion des principaux terminaux conteneurs du port du Pirée alors que des investisseurs russes lorgnent sur le port de Salonique, le chemin de fer grec et la société nationale de nickel.

 

Au plan énergétique, Moscou cherche - pour la livraison de son gaz aux Européens -, des voies de contournement du territoire ukrainien. Echaudé l’année dernière, par l’opposition de la Bulgarie au projet de gazoduc South Stream, le Kremlin cherche activement de nouveaux partenariats méditerranéens, notamment en direction de la Grèce. Dans tous les cas de figures, et même si elle n’est pas encore d’actualité, une nouvelle relation gréco-russe constitue une autre hantise de Washington…

 

En définitive, l’une des principales conséquences géopolitiques de la résistance de la Grèce aux diktats politico-financiers de l’UE, fut de mettre au grand jour la complicité organique liant l’Europe actuelle aux redéploiements successifs de l’OTAN en Méditerranée et en Europe centrale. Cheval de Troie de l’OTAN, l’UE ne doit pas seulement corriger ses mécanismes monétaires et financiers. Elle devrait aussi conquérir et affirmer son indépendance, sinon sa souveraineté politique face à Washington et l’OTAN. Premier bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne, l’UE qui ne cesse de consolider ses partenariats militaires et industriels avec Israël, n’a toujours pas voix au chapitre en ce qui concerne l’improbable relance des négociations israélo-palestiniennes ! 

 

Avec Alexis Tsipras, il se pourrait bien qu’on sorte enfin des impostures abstraites de La République de Platon (les experts au pouvoir) pour renouer avec les rationalités opérationnelles de la Politique d’Aristote. Il se pourrait bien aussi que l’UE, géant économique mais « nain politique », soit obligée de revoir aussi son Organon, jusqu’alors au service de Washington et des banquiers de Wall Street et de la City. A voir… 

 

Richard Labévière, 13 juillet 2015               

[1] Georges Prévélakis : Géopolitique de la Grèce. Editions Complexe, 2005.

[2] Les accords de Dayton, signés le 14 décembre 1995, mettent fin aux combats interethniques qui ont lieu en Bosnie-Herzégovine.

2 commentaires

  1. Posté par marc le

    C’est donc pour cela qu’on nous dirige vers la guerre civile avec tous ces migrants et ces mosquées qu’on nous imposent…et l’OTAN.

  2. Posté par Erkangilliers le

    Lorsqu’un pays refuse de se soumettre à l’ordre mondial économique des usuriers (les banquiers privés), il est soit attaqué directement par les USA et/ou l’OTAN (Libye, Irak) sous un prétexte quelconque, soit mis en état de guerre civile par l’entremise de mercenaires formés et financés par les mêmes (Syrie), soit sanctionné économiquement tandis que des guerres de proximité sont déclenchées dans un ou des pays l’avoisinant (Russie, Iran).
    L’armée américaine occupant la Grèce comme elle occupe l’Allemagne, il sera facile pour les USA de faire plier Tsipras.

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