Pouria Amirshahi et Christophe Premat sont députés PS, respectivement de la 9ème et la 3ème circonscription des Français établis hors de France. Pour eux, "il est temps que les francophones du monde prennent conscience de l'atout inestimable qu'est le partage d'une même langue par des peuples d'Afrique, d'Europe et d'Amérique". Ils y voient en tout cas un outil exceptionnel pour mettre en place "une nouvelle alliance - y compris économique - de nations".
>>> Tribune parue dans Marianne daté du 27 mars
L'inlassable détermination des militants de la francophonie commence à produire ses effets : une prise de conscience est en train de s'opérer sur la fragilité en même temps que sur le potentiel de la langue française. Celle-ci est moderne et tout aussi sollicitée que l'arabe, l'espagnol ou le portugais, autour desquels des pôles de puissance et de coopération se sont d'ores et déjà formés. Mais les francophones sont en retard d'une stratégie, faute de vision entraînante, et les élites françaises ne sont pas toujours les plus actives.
Il y a en effet quelque chose d'incompréhensible à discourir sur la défense de la langue française dans le monde et à étaler chez soi des slogans en franglais - voire en anglais tout court - dans les spots publicitaires ou les démarches commerciales. La dernière période des soldes a vu fleurir les « My winter sale » et autres formules ridicules, aux côtés des enseignes permanentes, et donc plus dangereuses encore, telles « Carrefour City » ou « Dailymonop' ». Incroyable encore, l'attitude de certains responsables français de premier plan : ainsi le commissaire européen Pierre Moscovici qui adresse au ministre Michel Sapin une lettre entièrement en anglais ! Ou encore Valérie Pécresse, Louis Schweitzer, Christine Lagarde, Christophe de Margerie, Jean-Claude Trichet et bien d'autres, qui ont souvent choisi de parler anglais devant des auditoires pourtant équipés de traducteurs et d'interprètes (1) !
Inutile pourtant, comme le voudraient certains nostalgiques, de rejouer la guéguerre de Waterloo, car là n'est pas le propos. Ce qu'il convient de faire, c'est de donner corps à une politique publique résolue en faveur de la langue mais aussi autour d'elle. Tout en valorisant le multilinguisme et l'apprentissage des langues dès l'école primaire (et non pas du seul anglais, comme c'est catastrophiquement le cas), nous devons améliorer les dispositifs de soutien à la diversité culturelle, notamment en rendant effectifs les quotas de musiques francophones à la radio. Dans le même esprit, faisons la promotion de toutes les littératures francophones en sortant les écrivains non français de l'approche exotique sous laquelle on les étudie encore, afin de les introduire totalement dans le cadre scolaire et de cultiver un sentiment d'appartenance et un imaginaire francophones. Camus, certes, mais aussi Maalouf, au même titre et au même rang ! Cette nouvelle approche pédagogique peut constituer une véritable révolution dans une France qui doute et qui voit naître des crispations identitaires meurtrières...
L'espace francophone international, fort quant à lui de 270 millions de locuteurs, bénéficie d'un potentiel de cohésion fondé, comme le proposaient les plus visionnaires des architectes de la construction européenne, « par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ». Il est temps que les francophones du monde prennent conscience de l'atout inestimable qu'est le partage d'une même langue par des peuples d'Afrique, d'Europe et d'Amérique (Québec). Si nous nous en donnons les moyens, nous pouvons changer le paysage francophone, par la mise en place d'une politique de coopération renforcée autour, dans un premier temps, d'un noyau resserré de pays. Autrement dit : une nouvelle alliance - y compris économique - de nations œuvrant en une ou deux générations à la convergence de leurs contenus éducatifs, scientifiques, économiques et culturels. Il s'agit par exemple de mettre en place des plate-formes d'échanges entre professionnels et, pourquoi pas, à terme, d'instaurer un Erasmus et un visa francophones (2).
La solidarité francophone est essentielle dans cette mobilisation, par exemple en apportant une aide substantielle auprès des systèmes scolaires en péril - on peut penser au Niger où, à défaut d'un système scolaire fiable, l'école publique se fait doubler par les madrasas wahhabites... La France, quant à elle, peut inscrire ses institutions de rayonnement culturel au service de la francophonie. On pourrait alors imaginer à terme la transformation des instituts français en instituts francophones, réforme qui serait également applicable aux lycées français... gérés, un peu dans l'esprit multilatéral de TV5 Monde ou dans la démarche franco-allemande d'Arte, par plusieurs pays parties prenantes.
Le monde francophone ne manque plus que d'une volonté politique affirmée et de moyens en conséquence, au-delà des bons discours de Dakar de 2014 venus effacer celui de 2007... Pour faire de la francophonie une priorité politique, dans un esprit de réciprocité et de coopérations, affichons dès maintenant nos ambitions avec comme cap le prochain sommet de l'Organisation internationale de la francophonie à Madagascar, en 2016.
(1) Francophonie : une gifle à la langue française, de Pouria Amirshahi, Marianne, 11 mai 2013.
(2) Rapport d'information parlementaire La francophonie : action éducative, culturelle et économique, 22 janvier 2014.
Extrait de: Source et auteur
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