Journée libérale romande 2025 – Histoire et actualité de la liberté d’expression

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Aujourd'hui, 8 mars 2025, avait lieu La journée libérale romande 2025 sur le thème:

 

Histoire et actualité de la liberté d'expression.

 

Cette journée était organisée à Lausanne à l'Hôtel Apha-Palmiers, par l'Institut Libéral, en partenariat avec le Cercle Démocratique Lausanne et la revue mensuelle Le Regard libre.

Alain Laurent

Alain Laurent

Alain Laurent, philosophe, essayiste et directeur de collection aux Belles Lettres a pris la parole en premier sur le thème:

 

Les penseurs libéraux et la liberté d'expression.

 

Le contexte de cette conférence est celui de l'intervention du vice-président américain J.D. Vance, qui a déclaré le 14 février 2025 à la conférence sur la sécurité à Munich qu'il craignait que la liberté d'expression soit en recul en Europe et celui, deux semaines plus tard, de l'interdiction de la chaîne française C8 qui a cessé d'émettre le 28 février 2025 après vingt ans d'existence.

 

Pourquoi parle-t-on davantage de la liberté d'expression? Parce qu'elle apparaît menacée.

 

Qu'entend-on par liberté d'expression? Il ne faut pas la confondre avec les libertés de pensée et de conscience, qui sont personnelles. Elle comprend la liberté d'opinion mais pas seulement: elle est liberté de parole.

 

Les libéraux n'en ont pas le monopole, ce qui serait un comble. C'est un droit:

  • pour la personne elle-même qui, en contact avec les autres, est contrainte d'améliorer son argumentaire;
  • pour la société parce qu'elle permet le développement et le progrès: l'orateur parle de fécondité inter-relationnelle.

 

Rien n'est plus précieux donc que le pluralisme qui en résulte. Pourtant les libéraux en parlent peu dans leurs écrits. L'orateur cite:

  • John Milton, qui, dans son Aeropagitica, défend la liberté des journaux sur le plan religieux;
  • John Locke, qui la réserve aux anglicans et protestants et en exclut les catholiques;
  • Emmanuel Kant, qui en parle dans son opuscule Qu'est-ce que les Lumières ?
  • Alexis de Tocqueville, qui n'en parle absolument pas;
  • Wilhelm von Humboldt, qui parle de nécessaire diversité;
  • Édouard Laboulaye, qui, dans Le parti libéral, son programme et son avenir, n'en dit pas un mot;
  • John Stuart-Mill qui remarque que l'État n'est pas le seul à la menacer et qu'il y a aussi les groupes de pression;
  • Ludwig von Mises, Friedrich Hayek et Ayn Rand, qui n'en disent rien;
  • Jean-François Revel, qui, dans La nouvelle censure, s'en prend à la censure idéologique.

 

Pourquoi les libéraux en parlent-ils si peu? Peut-être parce qu'avec La déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en son article 11 1, pour eux, le problème est réglé 2.

 

En fait le problème ne se pose que dans la deuxième moitié du XXe siècle. C'est alors que le consensus libéral est rompu. D'aucuns, comme Elon Musk ou Murray Rothbard, sont pour une liberté totale, d'autres, tels que l'orateur, estiment que des limites sont nécessaires, mais qu'il faut les fixer avec prudence. Il y a, selon lui, deux types de restrictions:

  • à l'égard des autres personnes (les injures, par exemple, peuvent être admises jusqu'à un certain point): les paroles peuvent tuer;
  • quand la sécurité intérieure ou extérieure sont en jeu.

 

Sinon, comme l'annonçait John Stuart Mill, les groupes de pression peuvent empêcher la liberté d'expression sous deux formes:

  • en privatisant la censure,
  • en agissant sur la législation.

 

C'est ainsi que sont apparus de nouveaux inquisiteurs:

  • Il est interdit de parler d'invasion islamiste, encore moins de submersion, ce qui est considéré comme de l'islamophobie;
  • Il est interdit de mettre quelqu'un en insécurité émotionnelle.

 

Tout se passe au niveau de la langue, comme l'avait prédit George Orwell dans son livre 1984 - l'écriture inclusive en fait partie: il y a désormais des mots interdits, tels que Français de souche ou Shoah, et des mots obligatoires, tels que discours de haine, qui, si vous ne les employez pas, vous valent d'être interdits; ce qui conduit à l'autocensure.

 

En conclusion, l'orateur pense que la liberté d'expression ne doit pas être absolue, mais qu'il faut être restrictif sur les restrictions; il constate que les occidentaux sont, dans le monde, les seuls et derniers défenseurs de la liberté d'expression, qui apparaît comme un luxe.

Philippe Kaenel

Philippe Kaenel

Philippe Kaenel, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'Université de Lausanne, prend la parole sur le thème:

 

Caricature et censure: une histoire suisse et internationale.

 

La caricature apparaît dans l'Histoire avant le XVIe siècle avec les frères Annibal et Agostino Carrache.

 

Il s'agit d'un viol de la règle: la déformation (ou la difformité) donne cependant plus à voir que la réalité.

 

La caricature est alors considérée comme une image outrageante, honteuse. On parle aussi de méchantes images.

 

S'y sont livrés Le Bernin, Léonard de Vinci (Têtes grotesques), Albrecht Dürer (Proportionslehre).

 

Les caricatures ont été favorisées par:

  • Les guerres de religion.
  • La Révolution française.
  • Napoléon.

 

Trois livres retracent leur histoire:

  • Les moeurs et la caricature en France de John Grand-Carteret,
  • Die Karikatur der europaïschen Völker d'Eduard Fuchs,
  • La caricature en Suisse de Philippe Kaenel.

 

L'orateur donne les noms d'autres caricaturistes:

  • Érasme, qui a fait son autoportrait en marge de son Éloge de la folie;
  • Hans Holbein, qui a fait des caricatures en marge de la Nef des fols de Sébastien Brant.

 

Les images pamphlétaires viennent à l'appui:

  • du combat de Thomas Murner contre Martin Luther,
  • de la critique sociale avec La danse macabre d'Albrecht Kauw,
  • des Horreurs de la guerre d'Urs Graf,
  • des portraits de Voltaire par Jean Huber.

 

La caricature a un double effet: elle dégrade l'image et accroît la notoriété de sa cible...

 

L'orateur cite d'autres artistes suisses en projetant leurs oeuvres à l'écran:

  • Wolgang Adam Töpffer (1766-1847), socialiste,
  • Balthasar-Anton Dunker (1746-1807), hostile à la Révolution qui lui a fait tout perdre,
  • David Hess (1770-1843), qui est horrifié par l'occupation française,
  • Rodolphe Töpffer (1799-1846), fils de Wolfgang, qui est très conservateur et est considéré comme l'inventeur de la bande dessinée,
  • François Bocion (1828-1890), qui est influencé par Daumier.

 

Il remarque qu'il y a dans la Suisse de 1848, devenue lieu de refuge, un nombre impressionnant de journaux caricaturaux. Cette tradition se perpétuera avec Le Pilori de Georges Oltramare dans l'entre-deux-guerres, puis, aujourd'hui, véhiculant de tout autres idées, avec Vigousse et Jean-Luc Wenger.

 

L'orateur n'oublie pas Raymond Burki, Philippe Becquelin (Mix et Remix), tous deux décédés en 2016, Martial Leiter, Barrigue et Patrick Chapatte.

 

Une leçon de la caricature est qu'une personnalité politique doit accepter d'être caricaturée. Quant au caricaturiste, la publication d'un de ses dessins est une prise de risque qu'il doit mesurer, sachant qu'une caricature est un vecteur d'incompréhension et que l'humour agit comme un disjoncteur...

Jonas Follonier

Jonas Follonier

Jonas Follonier est le dernier orateur de la journée. Journaliste à l'Agefi, rédacteur en chef du Regard libre et essayiste, il prend la parole sur le thème:

 

Les politiques de l'identité contre la liberté d'expression.

 

Qu'est-ce que le wokisme? Le mot vient de awake qui signifie éveillé. Le wokisme est l'éveil à toutes les discriminations. Deux mouvements en sont l'illustration: Black lives matter et #MeToo.

 

Cette idéologie repose sur trois thèses:

  • l'omniprésence de l'oppression,
  • la construction sociale des identités,
  • l'autorité des personnes qui se disent victimes.

 

La Suisse n'est pas épargnée. L'orateur donne les exemples d'une statue vandalisée, d'une interdiction de conférence, du questionnaire de la SSR sur la diversité...

 

Les articles 16 et 17 de la Constitution garantissent les libertés d'opinion et d'information et la liberté des médias respectivement.

 

L'article 261bis du Code pénal fixe des limites. Sont condamnables: la diffamation, l'injure, la calomnie.

 

Le wokisme va plus loin. Nathalie Heinich parle à son propos de totalitarisme d'atmosphère puisque deviennent répréhensibles:

  • les regards de travers,
  • les intimidations,
  • les non-dits,
  • la silenciation silencieuse...

 

Quelles sont les limites de la liberté d'expression?

  • l'application du paradoxe de la tolérance de Karl Popper 3,
  • aucune limite, s'il ne s'agit que d'une opinion,
  • aucune limite, à condition que l'énoncé soit clair et falsifiable.

 

Yascha Mounk dit qu'il ne faut pas tolérer les actions violentes, et Peggy Sastre, qu'il faut interdire les menaces physiques immédiates et "crédibles".

 

Le wokisme:

  • les oppressions sont partout,
  • l'oppression est assimilée à une offense,
  • l'offense est assimilée à un tort,
  • les torts doivent être interdits.

Il s'agit d'un glissement sémantique.

 

Comme toute interdiction est une restriction de la liberté d'expression, le wokisme la restreint. Toutefois, comme on ne peut pas savoir avec certitude qu'un propos est faux, interdire est contre-productif:

  • cela rend impossible la confrontation entre le vrai et le faux,
  • le débat est nécessaire pour savoir le vrai,
  • savoir que le faux est défendu est un savoir,
  • interdire le faux, c'est rendre plus probable qu'il prospère.

 

Le wokisme défend le droit des groupes, or seuls les individus ont des droits...

 

Le wokisme est irrationnel:

  1. les identités sont définies par les oppressions
  2. il faut affirmer les identités
  3. il faut éradiquer l'oppression.

 

La vérité de deux de ces propositions entraîne la fausseté de la troisième...

 

Francis Richard

 

1 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

2 - Le premier amendement de 1791 à la Déclaration des droits américaine ne fixe aucune limite à la liberté d'expression...

3 - Voir le livre Faut-il tolérer l'intolérance? (2022), publié par l'Institut libéral.

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.