24heures.ch: Alors qu’une manifestation de soutien aux Palestiniens est prévue samedi à Lausanne, notre chroniqueur nous livre son analyse sur le terme génocide.
L'invité: Jacques Ehrenfreund - Historien
Publié: 21.03.2024
Une manifestation aura lieu samedi 23 mars, elle partira du parvis de la cathédrale de Lausanne et appelle à stopper «le génocide à Gaza». Manifester est un droit fondamental qui relève de la liberté d’expression. La critique de la guerre qui oppose Israël au Hamas fait partie du jeu démocratique.
La diffamation en revanche constitue un délit qui vise à saper la légitimité, à couvrir d’opprobre et à alimenter la haine. Que révèle l’usage récurrent et banalisé du terme de «génocide» associé au nom d’Israël? Pourquoi choisir précisément cette qualification infâme pour la plaquer sur le peuple qui a fait l’objet d’une tentative unique d’éradication systématique? Pourquoi la critique légitime de la guerre d’Israël se mue-t-elle en diffamation?
L’antijudaïsme a toujours procédé par inversion, il cherche à accuser les Juifs de ce qu’il rêve de leur faire subir. Les expulsions et les massacres du Moyen Âge étaient toujours précédés par les pires accusations, d’empoisonnement des puits, d’assassinat d’enfants chrétiens ou même de déicide. Ces accusations ont disparu aujourd’hui pour laisser la place à celle de génocide. L’État d’Israël est dorénavant accusé de ce dont on tenait pour responsables les Juifs.
Pourtant, la Cour Internationale de justice de La Haye dans son ordonnance du 26 janvier n’a pas demandé l’arrêt des combats dans la bande de Gaza; elle ne considère pas qu’Israël est en train de commettre ce crime dont l’accusait l’Afrique du Sud. Mais rien n’y fait, les médias, les tribunes, les murs des villes ne cessent de colporter le mensonge.
Le souvenir de ce qui est arrivé aux Juifs entre 1939 et 1945 embarrasse et pèse sur les consciences, il semble, de plus, rendre difficile la critique de l’État d’Israël. La singularité de la Shoah est, aux yeux d’une partie de la mouvance décoloniale, très active dans le mouvement de protestation, une injustice à l’égard d’autres crimes. Ce qui est visé par la diffamation, c’est précisément cela. Quelle meilleure manière de désingulariser la Shoah, de la banaliser, que d’accuser l’État mis en place pour veiller à ce qu’elle ne puisse plus se produire de se rendre coupable de ce même crime? L’inversion accusatoire, procédé récurrent de l’antijudaïsme, a repris du service.
Écarter le danger
Aujourd’hui chacun sait que les Juifs n’ont jamais empoisonné de puits, ni saigné d’enfant pour confectionner du pain azyme. La guerre que mène Israël, aussi critiquable soit-elle, n’a pas d’autre vocation que d’écarter le danger, dont les événements du 7 octobre – massacres systématiques de populations civiles, exactions sexuelles, acharnement sur les cadavres – ont démontré sa réalité.
L’usage du terme de génocide pour qualifier cette guerre participe d’une nouvelle diffamation des Juifs. Que la Municipalité de Lausanne autorise cette manifestation qui colporte la diffamation, depuis le parvis de la cathédrale, laisse sans voix. Qu’on ne s’y trompe pas, la diffamation est toujours le préambule à des exactions bien plus graves.
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