Wokisme: Nora l’exploratrice

 

Le wokisme existe. Nora Bussigny l’a rencontré…


Le wokisme existe. De nombreux et passionnants ouvrages ont déjà été consacrés à cette idéologie multiforme qui a gangréné tous les milieux, universitaires, médiatiques, culturels, associatifs, et certaines entreprises.

Dans La religion woke, Jean-François Braunstein soulignait que, pour la première fois dans l’histoire moderne, un « culte » né « dans les universités, avec ses dogmes et ses fidèles » avait envahi l’ensemble de la société, menaçant celle-ci de destruction. De son côté, Bérénice Levet notait que « de l’extension du domaine du wokisme, la langue est un autre puissant indice » (Le courage de la dissidence, Éditions de l’Observatoire). La novlangue woke imprègne en effet les discours les plus sophistiqués (universitaires) comme les plus simples (politiques et militants) et a pour but, comme toute langue totalitaire, de transformer notre perception du réel : l’écriture dite inclusive et des expressions comme « privilège blanc », « hétéronormativité », « cisgenre », « racisme systémique », « masculinité toxique », « écoféminisme », « grossophobie », etc. envahissent les lieux de savoir et les médias. La simplicité dogmatique d’une idéologie scindant le monde en catégories distinctes et antagonistes – Blancs/racisés, hommes/femmes, handicapés/valides, hétérosexuels/homosexuels, cisgenres/transgenres, gros/minces, etc. – facilite les revendications identitaires et victimaires au nom de la « justice sociale » et accélère la désintégration de la société.

Bienvenue au Wokistan

L’idéologie woke existe – ses militants sont nombreux et actifs. Une journaliste a plongé corps et âme dans cette galaxie étrange afin de montrer comment ce faux progressisme est en réalité un « fascisme ordinaire défendu par de nouveaux inquisiteurs ».

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Nora Bussigny, journaliste travaillant pour Le Point et le nouveau média Factuel, s’est immergée pendant un an dans différents espaces imprégnés de wokisme, réseaux sociaux, associations ou milieux universitaires, afin de tenter de comprendre les ressorts qui animent les militants, activistes et sympathisants de cette idéologie. Elle n’y est pas allée la fleur au fusil, pleine de convictions, mais au contraire remplie d’appréhensions, inquiète et soucieuse de ne pas laisser ses a priori l’emporter sur un travail de terrain dans lequel, écrit-elle, elle a voulu se perdre jusqu’à douter d’elle-même. N’étant, de son propre aveu, ni éditorialiste, ni sociologue, ni polémiste, elle a souhaité « vivre cet affect » directement dans des groupes de paroles, des manifestations ou des associations. Elle a rassemblé les faits, les discussions, les discours et les slogans récoltés au fil de ses expériences dans un livre qui vient de paraître, Les nouveaux inquisiteurs (Albin Michel). Bienvenue au Wokistan !

La première immersion s’effectue sur les réseaux sociaux et sur internet, à la rencontre de centaines de « communautés » ou de groupes se réclamant du féminisme, de l’antiracisme, du transgenrisme, etc. Le groupe « Féministe déprimé.e en relation hétéronormative » est difficile d’accès et se veut impitoyable : « Une preuve que l’orientation sexuelle n’est pas un choix : il existe des femmes hétéros. » Ces formules absolues et risibles foisonnent sur les sites les plus radicaux. De plus, au fur et à mesure qu’elle avance dans le dédale des « communautés » via les réseaux ou les podcasts des activistes, Nora Bussigny constate que la transphobie et l’islamophobie y sont régulièrement et singulièrement dénoncées. L’omniprésente intersectionnalité des luttes n’est souvent qu’un prétexte à la propagation de certaines causes pouvant être sujettes à un rejet dans la société – le transgenrisme, le « racialisme » ou l’islamisme (voile, burqini, abaya) – et qui, pour tenter de s’imposer, s’adossent à des causes considérées comme plus universelles et plus acceptables comme le mouvement LGBT, l’antiracisme et le féminisme. Le vocabulaire issu de l’idéologie woke compose une novlangue véhiculée par les plus éminents représentants des différentes branches du wokisme. Afin de « maîtriser pleinement le jargon et le processus de pensée » des nouveaux inquisiteurs en chef, la journaliste a écouté et lu entre autres Martine Harmange, Alice Coffin, Lauren Bastide, Rokhaya Diallo, Grace Ly ou l’inénarrable Paul B. Preciado. La mécanique sémantique totalitaire, mélange huilé de phraséologies absconses et de slogans émotionnels facilement assimilables, est rodée et répétée à satiété – elle sera gobée et régurgitée telle quelle par les militants.


Les chapitres sur la « Pride radicale » – une dizaine de collectifs luttant, pêle-mêle, contre le racisme, le capitalisme, l’handiphobie, la psychophobie, et pour les droits LGBT et la défense des migrants – relèvent de la tragi-comédie. La journaliste rencontre des « personnes aux cheveux roses, bleus, crêtes, etc. » qui se font appeler « Mirage », « Nuage » ou « Pensée » et dont les pronoms sont « iel », « ael » ou « ul ». Tout ce petit monde a l’air un peu perdu, pour ne pas dire plus – ce qui est, souligne la journaliste, une constante dans les milieux wokes. Déguisée – faux piercings, salopette déchirée, couettes hautes et Doc Martens aux pieds – Nora Bussigny suit une formation en vue de participer à un curieux service d’ordre pour cette fameuse « Pride radicale » : il s’agit de faire respecter la non-mixité dans les différents groupes victimaires qui participeront au défilé. Cela donne des dialogues savoureux entre activistes :

– « Le cortège des racisés et afro-descendants est non-mixte, donc le service d’ordre qui s’occupe de les aider ne peut pas être blanc !

– Attendez, vous vouliez mettre des Blancs pour gérer la non-mixité ?

– Bah, c’est le cortège qui est en non-mixité, pas les bénévoles ! Sinon on n’aura pas assez de bénévoles racisés »

Le wokisme est une source inépuisable de scènes tragi-comiques de ce genre. « À l’écoute de ce charabia, les bras m’en tombent », écrit Nora Bussigny qui découvrira plus tard les affres de la militante devant repousser à l’arrière, dans « le cortège mixte », des « manifestants non racisés » mécontents de ne pas pouvoir montrer ostensiblement qu’ils sont des « alliés » tout ce qu’il y a de plus « déconstruits » et « prêts à soutenir les personnes racisées dans leur combat ».

Les fous du moi

Nora Bussigny ne pouvait pas ne pas s’immerger dans l’antre universitaire du wokisme, l’Université Paris-VIII. Cette université n’en est plus une – les murs salis de tags anti-police, anti-capitalisme et anti-Israël, elle est devenue une sorte de ZAD politique et militante entièrement acquise aux théories wokes. La journaliste note une fois de plus le paradoxe suivant : des organisations universitaires se disant « inclusives » organisent des réunions « sans hommes cis » ou sans personnes non racisées (Blancs), au gré de « débats » qui ne sont en vérité que des tribunes victimaires et revendicatives. La sociologie et ses satellites sur le genre, le féminisme, le racisme et le décolonialisme attirent des étudiants panurgiques, conformistes, avachis sur de pseudo-certitudes rabâchées ne demandant aucun effort intellectuel. Et Nora Bussigny de conclure son chapitre : « La question du wokisme, pieuvre insaisissable pour la plupart des gens, est donc bel et bien en train de hanter les couloirs de nos universités. […] Elle s’étend, fait tache d’huile, fleuve en crue qu’il va être difficile de faire retourner dans son lit. » En effet, de plus en plus rares sont aujourd’hui les universités françaises n’ayant pas en leur sein un département sur les « études de genre » permettant aux étudiants de découvrir, par exemple, comme à Paris-VIII, les « stratégies d’écriture des désirs lesbiens et queers dans la littérature contemporaine espagnole ».

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Nora Bussigny s’attarde sur le cas très intéressant de Gabrielle Deydier, féministe obèse dont l’incroyable histoire révèle les véritables intentions du wokisme – remplacer les sociétés occidentales par des structures instables et fluides où tous les fous du « moi » règneront – et le fanatisme qui anime ses militants lorsqu’il s’agit de tuer socialement un contradicteur. Gabrielle Deydier a écrit et réalisé des documentaires sur l’obésité. Elle aurait dû logiquement recevoir le soutien des militants « progressistes » luttant contre toutes les formes de discrimination, y compris celles touchant les personnes obèses. Oui, mais voilà… Gabrielle Deydier, dans un papier intitulé « La sororité à deux vitesses », a soutenu Mila et dénoncé la duplicité de certaines « féministes » – dont Caroline De Haas et Rokhaya Diallo – accusant l’adolescente lesbienne d’islamophobie. Le lecteur découvre alors, effaré, les obstacles mis sur son chemin par des groupes de pression lui reprochant de ne pas être anticapitaliste, intersectionnelle et d’extrême gauche – bref, d’être une « facho » – ou lui conseillant de « surveiller son langage peu inclusif » : Gabrielle Deydier utilise en effet les mots « obèse » et « surpoids », termes jugés « stigmatisants » et « pathologisants » par les militants du fat-activism. Et le délire continue : ayant annoncé son intention de maigrir, elle sera alors également accusée de… “grossophobie intériorisée” » !

Bien sûr, Nora Bussigny a rencontré des militants peu convaincus par le wokisme ambiant. Isolés volontairement ou à cause de l’acharnement d’activistes radicaux, ils restent à la marge des mouvements ou disparaissent totalement des radars. Leurs voix sont devenues inaudibles – seules la fureur imbécile et la radicalité bruyante du militantisme intersectionnel ont droit au chapitre. Selon un principe révolutionnaire immuable, personne n’est d’ailleurs à l’abri d’une mise à l’écart : on trouve toujours plus radical, plus déterminé et plus « pur » que soi.

Derrière le « progressisme » revendiqué de ces milieux militants, la journaliste avoue avoir vu, et avoir voulu montrer, « l’enfer du décor ». Objectif atteint.

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