Au vu de son contenu, cette déclaration cojointe entre les États-Unis et l’Europe suscite des réactions, malheureusement pas de la part des centaines de millions d’Européens que madame von der Leyen est supposée « représenter », mais au moins au sein même de l’U.E.
D’abord, il est notable que cette déclaration n’est disponible qu’en anglais, pas en allemand ni en français, ni en aucune des autres langues officielles de l’Union européenne. Ceci est un signe évident de l’ascendant des États-Unis sur l’Europe.
Mais plus grave que la forme, cette déclaration commune adopte sur le fond une position clairement antagoniste par rapport à la Chine. En effet, elle identifie la Chine comme un « rival stratégique ».
Les velléités étasuniennes de considérer « rival » tout pouvoir indépendant qui représente un obstacle à l’hégémonie américaine sont bien connues. C’est le terme officiel que les États-Unis utilisent déjà pour qualifier la Chine. Pour Washington, « rival » est simplement un euphémisme pour « ennemi ». Considérer ainsi la Chine n’est qu’un signe de plus d’une politique étrangère paranoïaque d’un imperium américain subissant un rejet concerté de son modèle de monde unipolaire.
L’Europe n’a absolument aucun intérêt à adopter une telle position. Mais en signant cette déclaration, madame von der Leyen associe l’Union européenne, et par extension sa population, à une position commune avec les États-Unis contre la Chine. La présidente de la Commission est-elle encore dans son rôle ? Des sources au sein de l’Union européenne notent que les relations sino-européennes « vont au-delà de la simple compétence de la commission européenne » que Ursula von der Leyen préside.
Le texte accuse la Chine
Dans ce contexte, les deux cosignataires disent vouloir empêcher que « le capital, l’expertise et les connaissances de nos entreprises alimentent les avancées technologiques qui amélioreront les capacités militaires et de renseignement de nos rivaux stratégiques », la Chine et la Russie.
Cette phrase est quelque peu naïve car les Occidentaux surestiment ici les capacités occidentales en termes d’innovation technologique et de dépendance à l’Occident qu’aurait encore la Chine, et sous-estiment, comme si souvent, la capacité de la Chine dans ce domaine. Selon un récent rapport australien, la Chine est déjà leader dans 37 sur 44 industries clefs…
De plus, l’Union européenne et les États-Unis accusent dans cette déclaration la Chine de « politiques et pratiques non marchandes » (« non-market policies and practices »), alors que ni les États-Unis ni l’Union européenne sont des exemples en la matière. Ils font implicitement appel à un passé longtemps révolu, quand les sociétés occidentales étaient bien plus libres que maintenant, lorsque les États avaient surtout un rôle régalien.
Que dire par des derniers exemples en date ; la Inflation Reduction Act (IRA) votée l’été 2022, ayant soi-disant pour objectif de réduire l’inflation, ou bien le EU Green Deal Industrial Plan, qui tous les deux sont mentionnés avec fierté dans la même déclaration commune ? Cela a été dit déjà dans ces colonnes : le IRA est « une intervention massive de l’État fédéral américain dans l’économie, ce qui signifie donc encore une distorsion significative du libre marché aux États-Unis. »
Idem pour le Green Deal européen, qui mélange capitalisme de connivence avec une volonté de planification économique centralisée, cette fois au niveau européen. Il est évident que ces programmes ne font que confirmer des « politiques et pratiques non marchandes » qui existent depuis longtemps en Occident.
Une division européenne
Cependant, il faut noter comme le fait Politico, que « Joe Biden divise les élites de l’UE au sujet de la Chine». En effet, la Commission européenne et le Conseil européen ne veulent pas mener l’UE dans la même direction en ce qui concerne la Chine : la tête de la Commission européenne von der Leyen écoute le « faucon » Joe Biden qui lui dicte un durcissement de la politique envers Pékin, tandis que le plus modéré Charles Michel veut éviter la confrontation.
Les hauts fonctionnaires du Conseil européen, son président Charles Michel compris, insistent sur une approche moins conflictuelle envers la Chine. Le Conseil, où siègent les chefs d’États européens, est évidemment plus représentatif des intérêts des membres de l’UE ; certains pays membres considèrent que la position de von der Leyen ne correspond pas du tout à leur position vis-à-vis de la Chine.
Un fonctionnaire du Conseil Européen a dit, sous condition d’anonymat :
« Oui, nous sommes des partenaires des États-Unis mais nous ne sommes pas un État vassal. Nous estimons que nous ne devons pas pleinement nous séparer de la Chine ».
Il semble que l’U.E a depuis plusieurs années du mal à se positionner vis-à-vis de la Chine, car depuis 2019 celle-ci est officiellement « en même temps un partenaire de coopération et de négociation, un concurrent économique et un rival systémique ». Cette combinaison de rôles plutôt contradictoires ne donne sûrement pas beaucoup de clarté à Pékin. C’est un message ambigu et confus qui traduit bien la schizophrénie politique typique de la classe dirigeante européenne à cet égard : vouloir d’une part continuellement plaire à son maître américain et en même temps maintenir de bonnes relations commerciales avec la Chine. Aujourd’hui, madame von der Leyen et monsieur Michel incarnent ces deux positions divergentes.
Accepter le monde multipolaire
Cette déclaration commune entre Washington et Bruxelles est donc complètement contreproductive pour l’UE.
Elle met en évidence à nouveau non seulement l’absence de réalisme dans les relations avec la Chine mais aussi le privilège qui persiste en Occident, telle la vieille expression « Quod licet Iovi, non licet bovi» (« ce qui est autorisé à Jupiter ne l’est pas pour un bœuf »). C’est la même attitude qui consiste à soutenir un « ordre international basée sur des règles », qui n’a jamais été clairement défini et qui ne sert qu’à légitimer le monde unipolaire centré autour de Washington.
Quoi que l’on puisse dire du gouvernement chinois en matière de politique intérieure, celui-ci préconise un monde multipolaire d’égalité entre les nations, basé sur le commerce et la non-ingérence. C’est le contraire de la politique de confrontation et d’intervention constante dans les affaires d’autrui menée par Washington.
Les libéraux ont plusieurs raisons de préférer le monde multipolaire émergent et donc de dénoncer cette déclaration commune entre les USA et l’UE. Il faut se souvenir du cri de ralliement du libéralisme classique, déjà connu et bien compris depuis le XVIIIe siècle en France : « Laissez-faire, Laissez passer ! ».
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