Les doctrinaires du Déclin et de l'Apocalypse veulent nous figer dans l'effroi pour nous fixer chez nous et attraper l'oreille des jeunes générations. Qu'importe la justesse ou non du diagnostic, il est le symptôme d'un état d'esprit qui précédait l'événement et qu'il a confirmé.
Cet état d'esprit est l'allergie du Dehors qui précédait l'événement que fut la Covid, laquelle a ressuscité les deux grandes phobies modernes: la paranoïa, la peur de l'autre, et l'hypocondrie, la peur de soi.
La peur du Dehors, lieu de tous les périls, s'est traduite par:
- La désertion sexuelle: L'appétit amoureux décline puisque le simple contact des épidermes est à la fois passible de poursuites, en cas de litige, et gros de menaces démesurées en matière de santé.
- L'acceptation du sacrifice de certaines libertés au profit de la sécurité: face à la pandémie, il est une seule issue raisonnable: rester chez soi.
- La réduction de la vie autant que possible: être sobre (c'est bon pour la planète), ne plus se déplacer, rester couchés, c'est-à-dire allongés et soumis en même temps, si possible ne plus travailler (ce qui serait réservé à une élite) grâce au chômage ou au revenu minimal.
Pourtant le Dedans n'est pas non plus sans dangers: il nous livre aux puissances de la solitude, de la banalité, à l'inexorable ennui, à la fatigue d'être, aux brouillards de l'âme.
Certes, mais le Dedans ne manque pas de séduction pour qui veut se laisser porter par le passage du matin à l'après-midi et de l'après-midi au soir. C'est un plaisir sédatif où l'on fonctionne en régime quasi automatique...
Et puis il y a la trouvaille géniale qu'a constitué le téléphone portable à la fin du XXe siècle: il nous offre une existence trépidante qu'il nous dispense d'éprouver. Alors qu'il ne devrait être qu'une simple machine, nous sommes à son service...
S'enfermer dans son Dedans - une chambre, un appartement, une maison - ne veut pas dire abandonner le Dehors, c'est le mettre en suspens pour mieux y retourner: Avant d'être un espace clos qui enferme, la chambre est une conquête qui protège et abrite.
A contrario, si la maison devient cachot, elle tue le corps à corps avec le réel, elle n'est plus le logis, elle est le bunker, un camp retranché. C'est pourquoi s'il n'y a plus de Dehors, le Dedans perd sa raison d'être: il devient un enclos sans envers.
Dans le monde d'avant le présent siècle, l'homme oscillait du Dehors au Dedans et inversement, comme une alternance d'engouements et de déceptions. Depuis deux choses ont changé:
- La politique de la peur, pour la peur et par la peur: elle a émergé au niveau mondial, portée par l'Onu et les ONG autour du climat, du terrorisme et de la pandémie et installe un sentiment d'insécurité globale.
- La connexion universelle: elle est supposée agrandir la psyché au niveau de la planète; mais, en fait, autrui est mis entre parenthèses, présent en effigie, pas en chair et en os.
Aussi la réalité virtuelle apprend-elle à rester couchés ou assis, les yeux rivés à l'écran, pour lesquels il est une tisane: il n'interdit ni ne commande rien mais rend inutile tout ce qui n'est pas lui, il nous divertit de tout y compris de lui-même.
Autrement dit, une fois que l'ordre règne au Dedans, grâce aux robots, aux éclairages et aux machines connectées, c'est Le Sacre des pantoufles: Qu'est-ce qu'une pantoufle? La prolongation apaisée de la chaussure et de la botte, la transformation du pied marcheur en pied dormeur:
Le moyen de locomotion est devenu moyen de stagnation.
Déclinistes ou alarmistes invitent à rester chez soi: Le défaitisme est [...] la résidence secondaire des peuples privilégiés, le soupir de gros chats ronronnant dans le confort. Le discours catastrophiste voudrait nous éveiller, il nous engourdit.
Pascal Bruckner répond aux uns et aux autres:
À l'angoisse paralysante, on doit opposer l'élégance du risque assumé. Ce qui nous rend forts n'est pas la fuite mais la confrontation avec l'adversité. Au dogmatisme du clos et de l'ouvert, il faut préférer la porosité, le bon intervalle entre la modération et la bravoure qui seul permet les chocs créateurs.
Francis Richard
Le Sacre des pantoufles, Pascal Bruckner, 162 pages, Grasset
Livres précédents chez le même éditeur:
Le mariage d'amour a-t-il échoué? (2010)
Le fanatisme de l'apocalypse(2011)
La maison des anges (2013)
La sagesse de l'argent (2016)
Un racisme imaginaire - Islamophobie et culpabilité(2017)
Une brève éternité (2019)
Un coupable presque parfait (2021)
Publication commune Lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard
Y aurait-il un lien ?
”La réduction de la vie autant que possible: être sobre (c’est bon pour la planète), ne plus se déplacer, RESTER COUCHÉS, c’est-à-dire ALLONGÉS et soumis en même temps, si possible ne plus travailler (ce qui serait réservé à une élite) grâce au chômage ou au revenu minimal.”
et
https://lesobservateurs.ch/2022/10/04/des-militants-de-renovate-switzerland-ont-bloque-un-acces-de-lausanne/
https://www.letemps.ch/suisse/militants-renovate-switzerland-ont-bloque-un-acces-lausanne
Ils sont assis, ne travaillent pas et perturbent les automobilistes qui veulent aller travailler !