Douguine prône une renaissance orthodoxe euro-asiatique, via la déstabilisation, la désinformation et l’annexion

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Carla Montet

Toute notre compassion va à la famille Douguine. Cette famille vit un drame terrible, tout comme des dizaines de milliers d'autres familles anonymes, victimes de cette guerre perverse en Ukraine qui dure depuis 2014.

Jadis, lorsque la Russie était en reconstruction, Poutine avait proposé de s'allier avec l'Occident, mais l’orgueil démesuré des Américains avait moqué cette proposition, qui aurait pourtant placé l'Occident dans une situation win-win, face aux pays dits émergents.

Mais les Américains avaient aussi leur éminence grise, comme Brzezinski, prônant de séparer l'Europe de la Russie afin d'éviter que leur alliance ne fasse de l'ombre à la position dominante des États-Unis. L'arrogance des Américains a été sans limite durant les trente dernières années, persuadés qu'ils étaient de détenir à jamais le monopole des valeurs humaines… et du dollar.

Orban a rapporté un épisode révélateur lors de son exposé à l'Université d'été de 2022: en 2014, le ministre des Affaires étrangères Szijjártó a reçu la visite d'un émissaire américain, qui a agité devant son nez un papier en disant: "Voici les points que vous devriez changer dans votre Constitution pour qu'on redevienne des pays amis!"

Hors des pays vassalisés par les USA, comme la Suisse l'est devenue, le reste du monde souhaite seulement des échanges commerciaux et scientifiques avec l'Occident, mais refuse le forcing pour reprendre ses "valeurs universelles", ce qui est vécu par d'autres civilisations comme une ingérence humiliante.

Nos médias n'arrêtent pas de rassurer la population par des interviews de personnalités qui affirment que la Suisse, emblème de ces grandes valeurs, est restée neutre en dépit de son alignement sur la politique de Washington et des sanctions. Ceci témoigne d'un auto-aveuglement et d'un nombrilisme pathétiques.

Le rôle de la Suisse aurait dû être d'œuvrer pour la paix en Ukraine, de tout faire pour que la guerre cesse, et de condamner non seulement "l'agression russe" mais aussi clairement et fermement les revendications irréalistes de Zelensky, qui est responsable, conjointement avec les Occidentaux, de la situation actuelle.

Entre le story telling de nos médias et la réalité, il y a un décalage abyssal. L'exemple de Douguine est flagrant. Les médias occidentaux le désignent comme l'éminence grise de Poutine, affirmation reprise en boucle sans aucune vérification.
En réalité, Douguine ne fait pas partie des maîtres à penser de Poutine, même s'il le lit, comme Nicolas Berdiaev, Ivan Iline ou encore Troubetskoy, auxquels Poutine fait souvent référence.

Douguine patriote est catalogué d'extrême droite par les médias subventionnés, car qui n'a pas comme idéal la Gauche mondialisée se retrouve nazifié par les journalistes. Voici deux citations de lui (source):

« Nous sommes du côté de Staline et de l’Union soviétique.

Nous voulons un État fort et solide, nous voulons l’ordre et une famille saine, des valeurs positives, le renforcement de l’importance de la religion et de l’Église dans la société. »

« Nous voulons une radio et une télévision patriotiques, des experts patriotiques, des clubs patriotiques. Nous voulons des médias qui expriment les intérêts nationaux. »

Douguine est connu pour son caractère pénible, il se prend pour le nouveau Soljenitsyne, mais hélas, il est loin de l'être.
Il fait partie de l'aile dure de l'entourage de Poutine, tout comme Dimitri Medvedev
, le camp qui critique ouvertement le pouvoir pour sa mollesse, exigeant plus de résultats, plus de pression sur ses adversaires. Ses œuvres témoignent d'une vaste connaissance livresque mal digérée, sa prétention à faire office de guide spirituel et géostratégique est teintée de mégalomanie.


Douguine cherche à donner une base idéologique euro-asiatique pour contrebalancer le postmodernisme occidental, ainsi décrit par lui :
"ce mélange morbide de société du spectacle et de consommation imposé par l’empire anglo-saxon et ses projets de domination mondiale définitive".


Il y a une vision assez juste dans ses analyses sociologiques sur la Russie, mais ses recommandations en tant que guide spirituel ne veulent pas vraiment du bien à l'Occident.
En réalité, l'enjeu de ses œuvres est loin d'être seulement spirituel, mais consiste plutôt en recettes pour que la Russie redevienne un super-pouvoir global de l'Eurasie, et des conseils pour mener une lutte à mort pour y parvenir, le tout enrobé de moralisme patriotique et d'un mélange de mysticisme religieux et d'ésotérisme. 

Douguine a donné une interview en 2014, suite à l'incendie de la Maison des Syndicats à Odessa, en disant: "Tant que ces cloportes de Kiev sont au pouvoir, aucun Russe ne pourra trouver le repos. Il faut tuer, tuer, tuer. Et rien d’autre."
Suite à cela, il a perdu son poste de directeur du Département de sociologie de l’Université d’État de Moscou, qu'il n’occupait que depuis un mois.

Les penseurs qui se prennent pour des maîtres qui vont façonner la planète, que ce soient Mao, Marx, Brzezinski ou Douguine, sont tous dangereux, et d'autant plus s'ils sont écoutés ou s'ils ont le pouvoir.

Douguine avait déjà appelé en 2014 au rattachement de la Crimée, mais également à ce que la Russie "se fonde" avec d'autres territoires et pays russophones, qui devaient naturellement lui revenir.

Il a écrit en 1997 les "Fondamentaux de géopolitique", une sorte de traité dans l'esprit du "Prince" de Machiavel.

Dans ses œuvres, Douguine insiste sur l'importance que le pouvoir en place devienne le garant de la souveraineté spirituelle de la Russie, de son identité culturelle, en opposition à l'Ouest et à son libéralisme, afin qu’elle reconquière sa position de superpuissance dans un monde multipolaire. Il a donné une feuille de route pour la renaissance de l'esprit, du logos russe.
L'autre versant de ses recommandations concernait la reconquête des territoires, pour former une seule entité géopolitique et dominer les deux sphères – l’'Europe et l'Asie.

Douguine recommande d'utiliser la déstabilisation, la désinformation et l'annexion pour parvenir à cette position dominante au niveau mondial.

Douguine a écrit noir sur blanc que l'une des cibles de l'annexion russe devrait être l'Ukraine, car "l'esprit" actuel en Ukraine empêche la Russie de devenir une superpuissance transcontinentale. Douguine a également conseillé d'encourager la Grande-Bretagne à quitter l'UE, le Brexit figurait parmi ses plans.

En ce qui concerne la déstabilisation et la désinformation, Douguine dit vrai, le travail du KGB post-soviétique n'a pas cessé en Occident, alors que notre vigilance envers la Russie en déliquescence est tombée proche du zéro.

Après la chute de l'URSS, le KGB a continué son travail, sous ses nouveaux noms SVR/FSB, et sa revanche se prépare depuis longtemps (voir: https://www.contrepoints.org/2022/04/06/424931-le-kgb-na-jamais-disparu-lhistoire-sombre-de-la-russie-moderne). La décadence de l'Occident est le résultat de l'infiltration de la société depuis la deuxième guerre mondiale, et ce travail de sape n'a jamais été aussi visible que maintenant. Le camp des conservateurs est en recul partout, le néomarxisme a progressé et a rendu l'avenir de l'Occident plus qu'incertain.

Les idées hors sol qui ont pris le dessus sur le bon sens dans les pays occidentaux ne sont pas le pur produit des Gauches locales, comme le croient les naïfs occidentaux, ramollis par leur confort depuis 75 ans.
Le multiculturalisme, l'islamisation, la démoralisation via le climat, l'auto-sacrifice pour sauver la planète, le féminisme émasculant, la culpabilité des Blancs, l'économie marxiste, l'assistanat écrasant la classe moyenne, toutes ces choses prennent leurs racines, en assez grande partie, dans le travail de sape des services secrets étrangers, même si la machine déconstructionniste occidentale tourne désormais toute seule avec ses propres opportunistes, sans plus avoir besoin de l'aide des taupes russes ou chinoises.

Le travail du KGB en Occident a d’abord infiltré le monde académique, puis les médias, mais c'est surtout avec l’avènement d'internet que les jeunes générations sont à la merci des forces de l'ombre. L'arrivée des services d'espionnage chinois aux États-Unis a potentialisé le travail préalable des Russes, notamment par la corruption des élites qui devient de plus en plus visible (le fils de Biden et son laptop, les affaires de Jeffrey Epstein...)


En Suisse, nous n'avons jamais vu un balbutiement de réflexion officielle allant dans ce sens. Le focus des médias était fixé sur le scandale des fiches, généré par la gauche, ce qui a remplacé durant des décennies les interrogations sur l'infiltration marxiste.

Actuellement, la bienpensance envahissante est renforcée par une armée de flics d'internet et d'ONG, dont la lutte contre diverses "phobies" empêche toute remise en question du camp du bien.
Comment un pays pourrait-il lutter et résister aux dangers externes si les problèmes réels sont étouffés et remplacés par des problèmes artificiels ?

 

Une bonne partie de la Droite traditionnelle voit la Russie comme un sauveur. Cette Droite diabolisée cherche même à faire alliance avec des nationalistes comme Douguine, croyant y trouver une main amie.

En réalité, la Russie défendra ses intérêts, elle ne sacrifiera rien pour autrui.
Medvedev a même conseillé à Poutine de "tout faire pour que ces dégénérés d’Occidentaux disparaissent".

*****

Voir aussi une série d'articles de Douguine traduits en français:
http://euro-synergies.hautetfort.com/tag/alexandre+douguine

dont celui-ci: https://katehon.com/fr/article/alexandre-douguine-le-liberalisme-pris-la-place-de-la-religion

 

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