Il y avait eu l’affaire des sapins de Noël. Avec son souhait d’instauration d’une « charte des droits de l’arbre ». Mais aussi les déboulonnages de statues, les suppressions de calvaires, et bien sûr aussi les « déconstructeurs » en tous genres. Le tout dans un esprit de victimisation prêt à tout pour faire régner la terreur, au profit de la volonté féroce de remettre en cause nos valeurs « passées » et d’en imposer de nouvelles, basées sur le reniement de siècles d’évolutions lentes, de pensées, de réflexions philosophiques, de traditions, d’histoire, de science, et au détriment de la liberté d’expression.
Les contempteurs de notre civilisation ne sont jamais à court d’idées. Voici donc maintenant qu’ils nous inventent la « fête des gens qu’on aime », nouvelle lubie destinée à lutter contre les discriminations et à poursuivre l’œuvre de « déconstruction ».
Ne dites plus « la fête des mères »
Car il y avait une sorte de discrimination, contre laquelle se sont semble-t-il érigées un certain nombre d’écoles en France, à célébrer les mamans, alors même que certains enfants ont connu l’immense tristesse de perdre la leur. Ou pour d’autres considérations plus dans l’air du temps dont je vous laisse apprécier la diversité.
Mais ce qui nous interpelle ici surtout est cette ténacité à pourchasser tout ce qui fait ou a fait notre culture pour tenter d’y substituer une sorte de no man’s land inconsistant, sans saveur et sans passé, où tout se vaut et où tout peut rapidement devenir suspect. À commencer par une transformation du vocabulaire, dont nous montrions récemment encore la perversité dans l’évocation de la Révolution française à travers le roman d’Anatole France Les dieux ont soif.
Une culture et une civilisation en péril
Allons-nous renoncer à la liberté ? demandait Carlo Strenger. Ou à la démocratie telle que nous l’avons connue ? (Chantal Delsol et Myriam Revault d’Allonnes). Dans une excellente émission que je vous conseille d’écouter, Alain Finkielkraut nous invite à nous intéresser à ce petit livre que nous avions déjà présenté, Un occident kidnappé, de Milan Kundera qui est riche de leçons.
« J’ai beaucoup réfléchi à cette réflexion de Kundera : « La culture cède la place ». Et je me demande, depuis que j’ai lu ce texte, « à quoi la culture cède-t-elle la place ? ». Mon hypothèse actuelle est que la culture cède la place, curieusement, à la démocratie. Non pas à la démocratie entendue comme régime politique, fondé sur le suffrage universel et la séparation des pouvoirs, mais la démocratie selon Tocqueville, comme mouvement, comme processus d’égalisation des conditions. Parce que nous entrons, justement, dans le monde du « Tout est égal ». Aucune hiérarchie ne vaut, on n’a pas le droit de préférer Beethoven à Booba, un rappeur, c’est faire preuve de préjugé, d’élitisme, voire pire. À ce moment-là, si tout se vaut, la culture n’a pas sa place, tout devient culturel et à ce moment-là l’industrie culturelle, la culture de masse, triomphe. C’est-à-dire, comme l’a écrit Gilles Lipovetsky, « L’Empire de l’éphémère ». On consomme des produits comme on mange des aliments, dans un mouvement sans fin, et c’en est fait de la culture. Voilà peut-être le moment historique dans lequel nous sommes entrés. »
Refuser le narcissisme de notre temps
L’Europe est non pas à concevoir comme une construction, selon Kundera, mais comme une civilisation. Fondée sur sa culture. C’est là qu’il nous interpelle sur ce dont nous n’avons pas conscience, sous-estimant notre fragilité et la sauvegarde de notre identité. Comme d’autres cultures et identités peuvent disparaître, sous l’assaut de leurs ennemis. Lisant un passage de l’intervention de Kundera, dans laquelle celui-ci donne une définition du vandalisme, Alain Finkielkraut constate qu’elle s’adapte parfaitement au wokisme, et au narcissisme de notre temps. La conférence de Kundera, juge-t-il, est à même de nous éclairer sur nous-mêmes.
« Le vandale, c’est la fière étroitesse d’esprit qui se suffit à elle-même et est prête à tout moment à réclamer ses droits. Cette fière étroitesse d’esprit croit que le pouvoir d’adapter le monde à son image fait partie de ses droits inaliénables. Et vu que le monde est majoritairement composé de tout ce qui la dépasse, elle adapte le monde à son image en la détruisant. Les hommes qui ne vivent que leur présent contextualisé, qui ignorent la continuité historique et qui manquent de culture, sont capables de transformer leur patrie en un désert sans histoire, sans mémoire, sans écho et exempt de toute beauté. »
Il est un fait que nous avons de bonnes raisons de nous inquiéter, et de refuser de vouloir céder à ces tendances destructrices à l’œuvre, de plus en plus nombreuses qui, sous leur aspect anodin, constituent une véritable œuvre de destruction et de nihilisme.
Extrait de: Source et auteur
Et vous, qu'en pensez vous ?