La victoire sur la mort même : pourquoi le 9 mai est si important pour les Russes

77 ans après la Seconde Guerre mondiale, le Jour de la Victoire reste la fête la plus importante du pays.

Le 9 mai est un jour férié particulier pour les Russes, et la grande attention que nous accordons à cette date semble souvent insolite pour les gens d'autres pays et cultures. Dire que "pour les Russes, la Seconde Guerre mondiale s'est terminée hier" n'est pas loin de la vérité.

Evgeny Dering était un vétérinaire qui traitait les chevaux. Il vivait à Saint-Pétersbourg, qui s'appelait alors Leningrad. Le 22 juin 1941, il est parti à la guerre. Avant de partir, il a demandé à sa femme Regina de prendre leurs enfants - deux filles et un fils qui venait de naître en avril - et de partir au fin fond de la Russie. Cette demande leur sauvera la vie. Quelques jours plus tard, Regina a emmené ses enfants dans le village de Makarevo, dans l'oblast de Nijni Novgorod (alors Gorki), et s'est installée dans un couvent du 15e siècle qui avait été aménagé pour accueillir des déplacés comme elle. Plus de 600 000 habitants de Leningrad sont morts de faim pendant le grand siège de la ville. Regina et ses enfants ont survécu, mais elle n'a jamais revu son mari. En octobre 1943, Evgeny Dering a été tué par un bombardement d'artillerie dans une petite tête de pont marécageuse sur le fleuve Dniepr...

Pour les Russes, le Jour de la Victoire est littéralement une célébration de la victoire sur la mort - une victoire à laquelle tout le monde a participé.
Presque chaque famille a une histoire sur ce que ses ancêtres ont fait pendant la guerre. Ces histoires varient beaucoup, mais elles sont presque toujours dramatiques. Il s'agit souvent de personnes qui ont perdu la vie. L'Union soviétique a perdu plus de 27 millions d'âmes pendant la guerre. Environ 12 millions étaient des soldats et des officiers, le reste étant des civils morts aux mains des nazis pendant les combats ou morts de faim.
Après la prise de Berlin et le suicide d'Adolf Hitler dans son bunker en 1945, l'URSS était un pays où presque tout le monde pleurait quelqu'un. Une personne qui n'avait perdu "que" des amis était considérée comme chanceuse.

Les nazis ont mené la guerre avec une extrême brutalité. Les Juifs n'étaient jamais épargnés, mais rien de bon n'attendait les autres non plus. Une base de données du gouvernement biélorusse contient les noms de 9 000 villages qui ont été brûlés par les envahisseurs pendant la guerre, et ceci ne concerne qu'une seule des républiques occupées de l'Union soviétique. Dans bon nombre des hameaux détruits, le nombre des victimes a été identique, ou presque, au nombre des habitants. La méthode d'extermination la plus courante était de faire entrer la population dans une grange et d'y mettre le feu. Les gens mouraient aussi des bombardements et de la famine ou étaient simplement abattus sans pitié. Les crimes contre la population civile étaient exemptés de toute poursuite en vertu d'un ordre spécial émis par Hitler.

Une croix rouge n'offrait aucune protection pendant la guerre - les ambulances et les bateaux étaient souvent détruits par des tirs directs. L'âge ne comptait pas non plus - les enfants étaient tués au même titre que les adultes.

Pour nous, cependant, cette guerre n'est pas seulement une histoire de cruauté monstrueuse. C'est la légende d'une incroyable unité nationale, où un ouvrier ordinaire et un compositeur de renommée mondiale pouvaient converger dans une brigade de pompiers volontaires, et où un jeune bohème de Moscou pouvait partager son pain dans une tranchée avec un mineur du Donbass et un conscrit asiatique d'un village de la steppe kazakhe.
C'est l'histoire d'une remarquable capacité à ne pas abandonner lorsque toutes les circonstances semblent être contre vous et que la résistance paraît vaine.

Après chaque bataille perdue, les officiers survivants analysaient leurs échecs, essayaient de comprendre ce qu'ils avaient fait de faux et comment changer la situation. C'est l'histoire d'une abnégation extraordinaire, où le recrutement de volontaires pour une nouvelle division ressemblait à un processus d'admission universitaire compétitif.

Et c'est une histoire de triomphe militaire. Le Troisième Reich était un ennemi mortel. L'armée d'invasion, forte de cinq millions d'hommes, a atteint les montagnes du Caucase et a failli prendre Moscou et Leningrad, mais a néanmoins fini par être vaincue. Pour nous, c'est une histoire où nous avons versé des torrents de sang, mais où l'armée qui venait nous tuer a été complètement détruite, où la capitale ennemie a été prise d'assaut, où le dictateur qui avait ordonné l'invasion s'est suicidé et où les bannières de l'armée perdante ont été jetées contre les murs du Kremlin. Nous avons payé un prix terrible, mais notre triomphe a été absolu.

En Russie, on emploie rarement d’expression "Seconde Guerre mondiale".
Le terme de l'époque, "la Grande Guerre patriotique", est toujours utilisé aujourd'hui. Il ne s'agit pas de faire fi de ce que la Seconde Guerre mondiale a été pour les autres, mais de souligner que, pour nous, elle reste une sorte d'événement spécial qui va au-delà d'un conflit armé ordinaire.
Pour nous, c'est une épopée véritablement héroïque. C'est l'Iliade, dont un certain nombre de héros sont encore vivants et marchent parmi nous aujourd'hui. Ils sont très vieux maintenant, et pourtant certains sont encore là. Notre Ajax sort encore parfois dans sa cour le soir pour s'asseoir sur un banc, en faisant tinter les médailles reçues pour avoir pris Vienne d'assaut ; notre Diomède peut être vu chaque matin en train de promener son chien.

Le souvenir de la guerre a influencé de nombreux aspects de la vie en Russie. On peut l'entendre dans les histoires personnelles, la voir dans la culture, et même la ressentir dans la politique. L'obsession de notre gouvernement pour la sécurité des frontières occidentales du pays est en partie un vestige de cette catastrophe, lorsque nous avons dû nous replier jusqu'au bout, le dos au mur. Ce souvenir affecte sérieusement nos relations avec nos voisins et est presque impossible à effacer.

Mais la principale leçon que nous avons tirée des bouleversements de cette époque est peut-être une vérité simple : nous pouvons supporter toutes les difficultés, tenir bon et reconstruire notre pays après n'importe quelle épreuve. C'est le souvenir non seulement d'une fête de la mort, mais aussi du triomphe de la vie.

… Le fils d'Evgeni Dering, Guennadi, n'a jamais vu son père. Il n'est pas retourné à Leningrad et a passé son enfance et sa jeunesse à Makarevo. Quinze ans après la guerre, il a rencontré une fille nommée Albina, qu'il a épousée. Ce sont mes grands-parents. Ils sont toujours en vie. Leur fille est ma mère. Les événements historiques sont souvent étonnamment proches de nous aujourd'hui.

Russia Today

Source : https://russialover.com/victory-over-death-itself-why-the-9th-of-may-is-so-important-for-russians/

Traduction Albert Coroz

Un commentaire

  1. Posté par Thor le

    Magnifique récit ! Merci pour partager l’histoire de vos ancêtres !

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